Coronavirus : la France, à la veille du confinement

Paris, le lundi 16 mars 2020 – « Restez chez vous ». Ces samedi et dimanche, le mot d’ordre a envahi les réseaux sociaux. Il émane de citoyens, de responsables politiques, mais également et surtout de professionnels de santé. Différents services hospitaliers notamment dans le Grand-Est et en Ile de France ont ainsi diffusé sur internet des messages angoissés évoquant un risque de saturation qui pourrait conduire dans les jours à venir à devoir sélectionner les patients admis dans les unités de réanimation. Le Collectif inter-hospitalier de Saint-Louis écrivait ainsi hier : « Nous ne voulons pas être amenés à faire un tri qui posera des questions éthiques majeures et une souffrance insupportable à ceux qui feront ces choix » et exhortait « Soyons solidaires, soyons responsables, restons chez nous pour nous protéger les uns des autres ». Parallèlement, à ces messages, certains infectiologues ont alerté ce week-end sur l’existence de signes suggérant que le nombre de cas graves chez des sujets relativement jeunes (moins de 70 ans) et présentant peu de comorbidités pourrait être plus élevé qu’attendu.

« C’est un phénomène inquiétant, même s’il y a peu de cas en France. Mais il y en a à Milan et ailleurs en Italie. L’idée n’est pas de provoquer la panique, mais on ne peut pas ignorer que le profil des patients admis en réanimation pour des détresses respiratoires aiguës évolue. Ces derniers jours, on a vu arriver dans un état sérieux des malades âgés de 20 à 60 ans, qui ont peu de comorbidités (…). Les cas sérieux ne concernent donc plus seulement des personnes âgées avec des comorbidités comme c’était le cas au tout début et comme cela l’est avec la grippe. Dans une analyse scientifique publiée dans « The Lancet » le 21 février dernier, portant certes sur peu de cas (cinquante-deux), mais présentant tous une forme grave en réanimation à Wuhan, 38 % des personnes avaient moins de 60 ans » relate ainsi Gilles Pialoux chef du service des maladies infectieuses de l'hôpital Tenon, interrogé par l’Observateur.

Détérioration rapide de la situation

Si ces messages ont été répétés avec tant d’insistance c’est parce que dans de nombreuses villes, les regroupements dans les parcs et les allers et venues n’ont pas cessé en ce week-end printanier. L’annonce de la fermeture des cafés, des restaurants et des commerces non essentiels ce samedi soir n’a pas créé chez un nombre important de Français le réflexe de demeurer chez eux et certains ont investi les jardins, voire les quelques rares cafés ouverts, profitant de l’ambiguïté créée par l’autorisation d’activité des tabacs. Par ailleurs, le choix des pouvoirs publics de maintenir les élections municipales pouvait être perçu comme le signal de la possibilité de conserver une certaine liberté de déplacement. Pourtant, ce lundi 16 mars, des responsables sanitaires ne cachent pas leur surprise et leur déception de constater ce qu’ils considèrent comme un refus des Français de répondre au mot d’ordre (non officiel et sub-luminal) de rester chez soi. La situation « est très inquiétante » et « se détériore très vite » a ainsi déclaré ce matin le directeur général de la Santé, Jérôme Salomon redoutant lui aussi une « saturation des hôpitaux » (saturation qui ne peut être en rapport avec ces promenades familiales du week-end dernier pointées du doigt par les chaines de télévision puisque l’incubation moyenne de la maladie est de 5 jours !).

On recensait ce dimanche soir 5 423 cas confirmés et 127 décès (soit 36 de plus que la veille) ; des chiffres dont l’interprétation est on le sait est complexe mais qui témoignent de la progression de l’épidémie. « Je voudrais surtout que nos concitoyens se rendent compte qu'il y a des personnes qui sont malades, en réanimation et dont le pronostic vital est engagé, et ces personnes se chiffrent en centaines », a insisté le directeur général de la Santé.

Un confinement, mais quel confinement ?

Dès lors et même si l’Elysée a tenu à démentir les premières rumeurs sur le sujet dans la nuit, le gouvernement se préparerait à un confinement de toute la France ou tout au moins des régions les plus touchées (le Grand-Est et l’Ile de France) qui pourrait être annoncé à 20 h par le Président dans une nouvelle allocution solennelle. Il s’agirait d’interdire tous les déplacements à l’exception des trajets professionnels impératifs (avec un télétravail impossible), ceux destinés à se rendre chez un professionnel de santé et les sorties pour aller faire des courses alimentaires. Telle est aujourd’hui la situation d’un grand nombre d’européens, notamment les Italiens et les Espagnols.

On peut cependant s’interroger sur les modalités d’application d’un tel confinement. En Chine, les restrictions concernaient jusqu’à l’approvisionnement alimentaire : les denrées étaient ainsi livrées en bas des immeubles ; tandis que des contrôles stricts étaient réalisés dans les rues. En Espagne, des drones et des militaires organisent également des rondes dans les rues pour rappeler à l’ordre ceux qui n’auraient pas les autorisations nécessaires pour se déplacer. En Italie, de la même manière, les personnes qui se déplacent sans justificatif (médical ou professionnel) encourent jusqu’à trois mois de détention et une amende de 206 euros. En France, il n’existe cependant pas (jusqu’ici) de sanctions prévues en cas d’irrespect des mesures de confinement.

Des masques pour voter mais pas pour soigner !

Outre l’exhortation répétée à la population française de restreindre les contacts inutiles, les professionnels de santé ont continué à exprimer leur colère vis-à-vis du manque de moyens dont ils disposent. La raréfaction des masques se fait en effet sentir jusque dans certains services hospitaliers, tandis qu’en ville, les professionnels de santé désespèrent d’obtenir de nouveaux équipements. Le Syndicat des médecins libéraux (SML) relève ainsi ce matin : « Depuis le 13 mars, le gouvernement assure que des masques vont être livrés aux médecins libéraux et à l’ensemble des soignants de première ligne. Mais rien n’arrive. Y compris dans les zones où l’épidémie flambe, les médecins assument leur devoir en exposant leur santé. Ils travaillent sans masque et sans solution hydroalcoolique. Hier, dans les bureaux de vote, chacun a pu constater que la rupture d’approvisionnement de solutions hydroalcooliques et de masques, notamment de masques FFP2, n’existait pas. D’énormes bidons de gel étaient disponibles ainsi que des lingettes désinfectantes, des masques et des gants en grande quantité. Au même moment, des médecins pratiquaient une médecine de catastrophe sans moyen pour se protéger. Le SML tient à exprimer sa profonde colère face à une telle situation qu’il juge inamissible. Soigner et porter secours aux patients atteints du Covid 19 ne peut pas être reporté, contrairement aux élections ! Et si les médecins libéraux sont à leur tour contaminés, c’est la première ligne de défense qui s’effondre » écrit le syndicat, qui exige que le gouvernement puisse répondre immédiatement au cri d’alarme des professionnels de santé.

Crispations

La multiplication de ce type de messages n’est pas sans créer une forme de crispation. Ainsi, l’éditorialiste Jean-Michel Apathie a provoqué la colère de nombreux professionnels en reprochant à certains médecins de n’avoir pas eu conscience de la gravité de la situation suffisamment précocement et d’avoir envoyé des messages trop rassurants à la population. Cette prise de position a été sévèrement dénoncée par le docteur Jérôme Marty, président de l’Union française pour une médecine libre (UFML) qui a durement rappelé au journaliste que les praticiens étaient en première ligne et réclamaient depuis déjà plusieurs semaines une distribution efficace des moyens de protection. Cette passe d’arme est à l’image du mélange d’émotion et de sidération qui aujourd’hui saisit la France, à la fois paralysée par la peur de l’épidémie et par les inévitables répercussions des mesures qui doivent être prises.

Aurélie Haroche

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