Covid-19 en Italie, bella ciao*…

L’Europe est devenue l’épicentre de la pandémie de Covid-19 et l’Italie a devancé de peu les autres pays dans ce qui est devenu une véritable course contre la montre. Les systèmes de santé mondiaux sont, pour la plupart, sur le pied de guerre car seule une réponse globale et coordonnée permettra de venir à bout de ce nouveau fléau. Les mesures de confinement extrême ont porté leurs fruits en Chine à ce que l’on sait, puisque même dans la région de Wuhan, il semble que le nombre quotidien de nouveaux cas ait diminué de plus de 90 %.

C’est une lueur d’espoir pour l’Italie qui est actuellement le pays européen le plus touché, les autres pays n’étant qu’en décalage de quelques jours par rapport à elle. Le facteur critique dans l’évolution de la pandémie est la saturation des hôpitaux, tout particulièrement des unités de soins intensifs (USI) dont les capacités d’accueil sont rudement mises à l’épreuve.

Au jour le jour, une inquiétude croissante

Ce 18 mars 2019, le nombre de cas déclarés en Italie était de 31 506 et celui des décès de 2 503. Le nombre de patients en USI en raison d’une pneumonie à SARS-Cov2 est à ce jour de 2 060, en constante augmentation depuis le début de l’épidémie (21 février 2020), à raison de 9 % à 11 % par jour, entre le 1er et le 11 mars. La progression a été exponentielle et si ce rythme se poursuit, il est clair que les capacités du système de santé italien seront largement débordées.

Le pic de l’épidémie en Italie serait attendu pour le 24 mars 2020 et un article du Lancet (12 mars) reflète l’inquiétude du corps médical et des autorités sanitaires face à cette progression. Les chiffres parlent d’eux-mêmes. Le nombre de patients infectés était estimé par les auteurs à 30 000 autour du 19 mars : il est d’ores et déjà dépassé. Les USI du pays dans ce scénario seront totalement saturées et il faudra libérer plus de 4 000 lits tout en mobilisant de plus en plus de personnel soignant d’ici la mi-avril pour répondre à la demande si tant est qu’elle reste stable ou diminue quelque peu.

Si l’épidémie italienne suit la tendance observée dans la province du Hubei après les mesures de confinement, le nombre de nouveaux cas devrait commencer à diminuer dans les jours qui viennent : une tendance qui semble s’amorcer en Lombardie, en sachant qu’en Chine, le confinement a été drastique, avec des hôpitaux construits dans l’urgence, suscitant une immense perplexité mondiale. En Italie, le confinement total a été adopté le 8 mars principalement en Lombardie puis rapidement étendu à la totalité du pays.

Des projections préoccupantes

En Italie, selon les statistiques officielles, l’âge moyen des patients décédés du Covid-19 est estimé à 81 ans et, dans plus de deux tiers des cas, il existait au moins un des facteurs de risque suivants : diabète, maladie cardiovasculaire, cancer ou tabagisme chronique. Le pourcentage des décès est à l’évidence corrélé à la tranche d’âge : 80–89 ans: 42,2 % ; 70-79 ans : 32,4 % ; 60-69 ans : 8,4 % ; 50–59 ans : 2,8 % ; > 90 ans : 14,1 %).

Dans ce pays, le nombre total de lits en USI est estimé à 5200 et au 11 mars 2020, 1 028 de ceux-ci étaient occupés par des patients infectés par le SARS-Covid-2 : ces chiffres sont assez voisins ce 18 mars 2020 en France, preuve que notre pays suit de près l’Italie dans la dynamique épidémique. La crainte est que, dans la semaine à venir, dans les deux pays, il faille libérer des milliers de lits supplémentaires : combien exactement ?

Une équation sanitaire douloureuse

Il est impossible de répondre avec précision, mais un minimum minimorum de 2 500 semble être une éventualité plausible en Italie pour faire face à l’augmentation du nombre de cas sévères. Le déséquilibre entre l’offre et la demande sera plus ou moins criant selon les régions et la crainte est grande en Italie du Sud ou en Corse, par exemple. La réponse tant en Italie qu’en France : c’est libérer des lits en USI en transférant les patients non infectés des régions les plus touchées par l’infection vers d’autres moins touchées, c’est faire appel à l’armée etc. L’imagination au service d’un désastre où la contrainte sanitaire est la principale variable de l’équation.

Il faudrait plus de 5 000 respirateurs et plus de 20 000 soignants - médecins et infirmières- pour répondre en Italie comme ailleurs aux tendances épidémiologiques actuelles, mais si cette mesure est dans la bonne direction, il faudrait qu’elle puisse s’appliquer dans l’urgence… Faute de quoi, le nombre de décès potentiellement évitables va augmenter considérablement, une éventualité qui est clairement illustrée par ce qui se passe en Italie et l’expérience de ce pays est celle que d’autres vont vivre inéluctablement à court terme, tant que la propagation du virus ne sera pas contrôlée. C’est en ce sens que l’équation sanitaire définissant l’adéquation de l’offre à la demande est douloureuse, d’autant plus que ses solutions à court terme sont à la fois limitées et peu nombreuses.

Cependant que la vie reprend progressivement son cours en Chine – où le nombre de décès a été bien plus élevé que celui annoncé dans les statistiques officielles, la situation devient explosive dans le nouvel épicentre de la pandémie : tout est fait pour minimiser le prix à payer en termes de vies humaines et rares sont les pays où le Covid-19 est pris à la légère. C’est heureux car une prise de conscience mondiale s’imposait face à une pandémie qui n’est pas sans rappeler celle de la grippe espagnole par ses dimensions, il y a un siècle.

Peut-être la fin du commencement

Plus jamais ça ? C’est ce qui vient à l’esprit devant ce chaos et l’on peut espérer que la gouvernance mondiale l’intègrera définitivement pour assurer de meilleurs jours à un monde qui décidément sera en un siècle passé d’un drame à l’autre. Certes, la crise sanitaire du Covid-19 va être surmontée dans les semaines qui viennent grâce à des mesures barrières simples que sont la distanciation sociale et le lavage des mains ou tout simplement car le génie épidémique du SARS-Cov2 va regagner sa bouteille. Mais espérons que les leçons qu’il faudra en tirer ne seront pas perdues ; elles concernent en premier lieu l’organisation des systèmes de soins que ce soit en Occident ou ailleurs qui doivent être prêts à affronter d’autres tempêtes. Le 10 novembre 1942, après la victoire d'El-Alamein, Winston Churchill déclarait: « Ceci n'est pas la fin, ni même le commencement de la fin, mais c'est peut-être la fin du commencement »… une phrase d’une brûlante actualité au cœur de la crise sanitaire…

*Bella ciao était à l’origine une chanson populaire italienne devenue l’hymne des partisans italiens en lutte contre les Allemands à la fin de la seconde guerre mondiale. Ce chant de combat et d’espoir est entonné ces derniers jours par un grand nombre de transalpins confrontés à l’épidémie de Covid-19.

NB: Cet article du Lancet publié en ligne le 12 mars 2020 ne pouvait tenir compte de l'évolution péjorative de l'épidémie en Italie ces tous derniers jours que nous évoquons dans nos colonnes aujourd'hui même dans notre rubrique "Pro & Société". 



Dr Peter Stratford

Référence
Remuzzi A et coll. : COVID-19 and Italy: what next? Lancet 2020 ; publication avancée en ligne le 12 mars. doi.org/10.1016/ S0140-6736(20)30627-9

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