
Un apprentissage sur plus de 12 millions d’images
A partir de coupes conventionnelles de tissu tumoral, colorées
à l'hématoxyline et à l'éosine, fixées au formol et incluses en
paraffine, plus de 12 millions d’images obtenues chez des patients,
issus de 4 cohortes de CCR, comportant un pronostic nettement bon
ou mauvais ont été numérisées pour former un réseau de neurones
convolutionnels (CNN) comportant dix couches et spécialement conçus
pour classer les images hétérogènes, difficiles à classifier. Un
biomarqueur pronostique intégrant le CNN a été déterminé en «
utilisant » des patients avec un résultat imprécis. Le marqueur a
ensuite été testé sur 920 patients avec des lames préparées au
Royaume-Uni, puis validé indépendamment selon un protocole
prédéfini chez 1 122 patients traités avec de la capécitabine en
monothérapie à l'aide de lames préparées en Norvège. Toutes les
cohortes comprenaient uniquement des patients atteints de tumeurs
résécables. Le résultat principal était la survie spécifique au
cancer avec un bon pronostic (survie à 6 ans et plus) ou un mauvais
pronostic (décès entre 100 jours et 2,5 ans) après chirurgie
curatrice.
La cohorte de formation ou d’entrainement a comporté 828
patients issus des quatre cohortes avec un résultat distinct. Au
total 1 645 patients ont eu un résultat intermédiaire et ont été
utilisés pour la mise au point. Le rapport de risque de ce
biomarqueur distinguant un mauvais pronostic par rapport à un bon
pronostic est de 3,84 (p <0 • 0001) dans l'analyse de la cohorte
de validation rétrospective, et 3,04 (p < 0,0001) après
ajustement pour les marqueurs pronostiques classiques (stade pN, le
stade pT, invasion lymphatique et veineuse) dans les analyses
univariées de la même cohorte. Le biomarqueur DoMore-v1-CRC a ainsi
été largement évalué dans de grandes populations indépendantes de
patients. Il est corrélé à certains marqueurs pronostiques
moléculaires et morphologiques établis, et donne des résultats
cohérents à travers le stade tumoral et nodal. Le biomarqueur a
stratifié les patients de stade II et III en groupes pronostiques
suffisamment distincts, pour potentiellement guider le choix du
traitement adjuvant. Il éviterait alors, d’après les auteurs, une
chimiothérapie dans les groupes à très faible risque et
identifierait les patients pouvant bénéficier de traitement plus
agressif.
Des faiblesses et des biais
Les commentaires des 2 éditorialistes pointent les faiblesses
et les biais de ce classificateur DoMore-v1-CRC, associé à la
survie spécifique au cancer (RR= 3,04 ; p <0,0001)
indépendamment de covariables significatives. Des limites
importantes existent : si l’inclusion a concerné les patients
présentant des stades tumoraux groupés, les données de
stadification, comme le nombre de ganglions lymphatiques examinés
en peropératoire n'ont pas été fournies. Le traitement et
l'évaluation de suivi n'étaient pas uniformes et le statut
d'instabilité des microsatellites était absent, tandis que le BRAF
n’a pas d’intérêt à ce stade non métastatique. Les cancers
colorectaux restent enfin des tumeurs très hétérogènes qui n’ont
pas encore été clairement démembrées par les progrès de la biologie
moléculaire ; la proportion relative d’une tumeur à son stroma
inflammatoire reste un problème important pour le deep learning
appliquée à l’anatomo-pathologie numérisée. Certains patients
atteints d'un cancer de même stade ont reçu un traitement adjuvant,
et tous les patients atteints d'un cancer de stade III n'ont pas
reçu de traitement adjuvant standard (capécitabine ou fluorouracile
associé à l'oxaliplatine (CAPOX ou FOLFOX3), source importante de
biais. Si les résultats rapportés dans l'étude sont bien ajustés
pour le pronostic, ils ne paraissent pas suffisants pour montrer
que le classificateur DoMore-v1-CRC est un marqueur prédictif de
l’efficacité d’une chimiothérapie adjuvante.
Une intervention humaine experte demeure indispensable
Dr Sylvain Beorchia