Paris, le samedi 11 avril 2020 - Des bavardages stériles, des
élucubrations vaines, des réflexions éphémères : certains de nos
lecteurs considèrent que l’heure n’est pas à refaire le monde, en
s’interrogeant par exemple sur les orientations qui face à
l’épidémie auraient pu être préférées si nos ressources (en
masques, en tests, en lits de réanimation) avaient été différentes.
Ces réticences s’expliquent par la nécessité de ne pas nous
détourner des mesures décidées par les autorités pour éviter des
conséquences désastreuses, de concentrer l’énergie sur les actions
et informations essentielles et de conserver une certaine humilité
face à la tâche qui incombe aux décideurs. Pourtant, parallèlement
à ces appels, la colère partout s’exprime, portée par de nombreux
professionnels de santé.
Orage d’été
Elle était dans les lignes du professeur Laurent Thines (chef
du service de neurochirurgie du CHU de Besançon) dès l’annonce des
mesures de confinement. « Le calme, sous les flammes du doute et
de la colère, face à tant d’hésitations, de négligence, d’incurie.
Et on a beau jeu de critiquer les petites gens qui ne respectent
pas pendant quelques jours les consignes. Comment les blâmer face à
des responsables qui ont tant changé de discours (…). Colère et
écœurement intensifiés par la grenade de désencerclement politique
lâchée par l’ex-ministre de la Santé, prise de peur ou de remords,
et révélant qu’elle avait informé le Président et le Premier
Ministre de la gravité de la situation depuis…fin janvier, en
particulier de la nécessité de reporter les élections municipales…
Catastrophe sanitaire doublée d’un scandale d’État ? »
écrivait-il dans un premier post de blog, avant de poursuivre
quelques jours plus tard : « Face à l’imprévoyance, face à
l’incurie, face à la mise en danger d’autrui et face au cynisme, se
déploie à présent en nous, en petites volutes sombres, une colère
sournoise qui infuse ensuite dans nos veines puis s’agglutine dans
nos pensées, comme la promesse d’un orage d’été ».
Tout faux
Parallèlement à cette colère qui porte ici le masque d’un
certain lyrisme, le président du syndicat Union Généraliste, le
docteur Claude Bronner évoque l’irritation des professionnels de
santé dans un de ses récents éditoriaux : « Ils ont tout faux.
On a vu venir le danger et les solutions de l’Asie et rien n’a été
préparé. Aucun inventaire des stocks, aucune mise en route de
fabrication (masques, gels, surblouses, oxymètres,
O2, respirateurs, tests biologiques
etc…) (…). La colère des soignants suinte partout »,
remarque-t-il citant par exemple la lettre envoyée par l’Union
régionale des professions de santé (URPS) de la région Grand-Est
fin mars à Emmanuel Macron pour dénoncer la gestion «
inadmissible » de la distribution des
masques.
Souviens-toi, l’été dernier
Cette colère se nourrit du souvenir du monde d’avant, ou plus
exactement des images d’Epinal de ce monde rêvé. « Il n’y a pas
si longtemps, il était fréquent d’entendre que le système de santé
français était le meilleur du monde, l’un des plus chers certes
grâce à une sécu généreuse, mais dont la qualité était enviée par
de nombreux pays. Cocorico. De réformes en réformes (une en moyenne
tous les cinq ans), de ministres en ministres (un ou une en moyenne
tous les deux ans et demi), de grèves en grèves (on ne les compte
plus), voilà le maçon au pied du mur : un virus venu de Chine d’une
contagiosité extrême, une situation inconnue depuis la grippe
espagnole de 1918, et voilà, patatras, rien ne marche, notre beau
modèle de gouvernance sanitaire démontre son inanité » résume
ainsi le journaliste Vincent Fromentin sur son blog La Lettre de
Galilée. Le professeur André Grimaldi, dans une lettre adressée à
ses confrères, révélée par le journaliste scientifique Sylvestre
Huet sur son blog ironise également : « On nous expliquait
l’importance pour la France de se positionner sur le "tourisme
médical haut de gamme" et de développer la conciergerie
hospitalière (rapport de Jean de Kervasdoué en 2015 à la demande de
Marisol Touraine). C’était le temps où l’hôpital Emile Muller de
Mulhouse vantait son partenariat avec la société Happytal qui
offrait "des services pour les patients ayant choisi la chambre
particulière"… C’était en 2017. Il y a un siècle ! ».
Reconnaître ses fautes
Ce rappel des erreurs du passé converge vers la même
dénonciation d’une impréparation coupable. A cet égard, André
Grimaldi exhorte les pouvoirs publics « Reste que pour avoir et
garder la confiance des citoyens, il faut certes communiquer dans
la transparence, mais il faut aussi être capable de reconnaître ses
fautes ». Le chef de service des urgences de l’hôpital La
Fontaine de Saint-Denis, le docteur Mathias Wargon, mari d’une
ministre du gouvernement Philippe, s’il préfère se concentrer sur
d’autres aspects de la crise, remarque lui aussi dans un billet de
blog publié sur le Huffington Post : « Le sentiment
d’impréparation domine, non seulement le manque de lits de
réanimation mais également le manque de matériel de protection de
première nécessité (masques, blouses) ».
Mépris, sclérose et amidonnage : des symptômes
accablants
Syndrome général, l’impréparation cache de multiples
symptômes. Vincent Fromentin en énumère certains, tel le mépris
pour les « professionnels non publics ». « Depuis le
début de la pandémie, l’image du système de santé est biaisée.
L’attention reste focalisée sur l’hôpital public, essentiellement
les CHU où, il est vrai, l’essentiel des moyens de réanimation se
trouve. Or, la France est l’un des pays au monde les plus fortement
médicalisés. Selon l’annuaire du CNOM, sur les 190 000 médecins en
activité, les deux-tiers se trouvent en exercice libéral. Malgré
les exhortations répétées de Jean-Paul Ortiz et les appels
constants de la Confédération des syndicats médicaux français
(CSMF) au ministère pour prendre en compte l’activité des médecins
de première ligne et leur permettre de se protéger, et malgré les
coups de gueule de Jean-Paul Hamon qui, contaminé, témoigne dans Le
Parisien sur les dangers du métier de généraliste, les pouvoirs
publics restent amidonnés dans leurs convictions » observe le
journaliste. Autre symptôme désespérant : la sclérose de
l’organisation administrative de la santé. Il fustige ainsi les
errances des « préfectures sanitaires » que sont les Agences
régionales de la santé. « Ces organismes champions de
l’amphigouri, n’ont pas été en mesure de gérer l’approvisionnement
des masques, de prévoir la commande des tests où même de savoir,
pour ne les pas avoir recensés avant, le nombre de respirateurs en
état de fonctionnement. (…) Aujourd’hui, comme tout le monde en
télétravail, les équipes des ARS font des tableaux, et encore des
tableaux, avec des chiffres et des ratios. Excel va nous sauver
».
Démasqués
Parmi tous ces symptômes, celui qui suscite le plus
d’irritation est la tromperie volontaire du discours concernant
l’utilité du port du masque. André Grimaldi écrit sans nuance : «
Dire aujourd’hui que les masques sont inutiles sauf pour les
soignants, c’est pire qu’une faute ». De son côté, le physicien
Serge Galam, chercheur émérite au CNRS et au CEVIPOF de Sciences Po
écrivait dans Libération dès le 24 mars une tribune rythmée par une
épiphore rageuse : « Mais de qui se moque-t-on ? ». Dans ce
texte, le chercheur multiplie les questions rhétoriques : « Si
les masques ne protègent pas, pourquoi les soignants en ont-ils
besoin ? Ce n’est pas pour éviter d’infecter les malades comme lors
d’une opération chirurgicale, c’est bien pour se protéger des
malades déjà infectés. (…) Ainsi, il est affirmé que si le port du
masque empêche les contaminés de contaminer les autres, il ne
protège pas un non-contaminé d’une contamination : tiens donc,
alors le masque serait asymétrique ? (…) D’après nos autorités
sanitaires, un non-contaminé portant un masque et qui aurait croisé
un contaminé, aurait toutes les chances, une fois rentré chez lui,
de toucher la face externe de son masque souillé en l’enlevant, et
alors de se contaminer. Mais si la face externe du masque est
souillée, cela veut dire que son porteur a ainsi évité d’absorber
les virus qui s’y sont fixés : sans masque, il aurait été à coup
sûr infecté. Mais de qui se moque-t-on ? (…) Qu’on le dise donc
avec humilité : si on avait suffisamment de masques, on demanderait
déjà à tout le monde d’en porter. Mais de qui se moque-t-on ? »
écrit-il relevant les différentes absurdités du discours sur les
masques.
Solidarités silencieuses contre cannibalisme
coutumier
Il existe pourtant un remède à la colère. C’est l’observation
des solidarités qui ont émergé au cours de ces dernières semaines.
Elles sont rappelées dans de nombreux posts. « Des solidarités
incroyables émergent entre nous soignants, qui nous étions habitués
à gérer le rationnement des uns au profit des autres et à accepter
l’austérité, enfermés au sein de nos pôles hospitaliers devenus des
espaces de cannibalisme coutumier. Même si les vieux réflexes sont
toujours en embuscade, cette maladie émergente a réussi le tour de
force de nous réunir, tous comme un seul, autour de notre cœur de
métier : sauver des vies », note Laurent Thines alors que
Twitter voit également se multiplier les témoignages positifs de
collaborations publics/privés réussies.
Claude Bronner abonde : « Les coups de main des patients, des
industriels, des commerçants pour dépanner les professionnels de
santé ont été le moteur de toutes les initiatives destinées à
fournir du matériel pendant que la DGS, les ARS, l'armée restaient
assis sur leurs stocks réduits. Ça s'améliore enfin, mais c'est
totalement insuffisant ».Vincent Fromentin relève de son côté :
« Il faudrait certainement parler des autres, de ces millions
d’anonymes qui se dévouent, des éboueurs, des caissières de
supermarchés, des livreurs, des chauffeurs routiers, des facteurs,
des professeurs… et ces centaines de milliers de bénévoles, ceux de
la Croix Rouge, du Secours Populaire, du Secours Catholique et tant
d’autres, qui, avec des masques de fortune et des gants à
vaisselle, continuent d'aider les plus pauvres. Oui, en effet, il
faudra bien que la haute fonction publique se persuade que tout ne
se règle pas à coup de circulaires et de décrets, ou par de
pompeuses "stratégies" (mot utilisé une quinzaine de fois par
Olivier Véran (…). Mais bien, plutôt, le plus souvent, par cette
immense capacité humaine à réagir au pire. À s'adapter avec génie.
Dans le silence et l'inconsidération ».
Venues d’ailleurs
Dans cette même perspective, enfin, Mathias Wargon choisit de
rendre hommage aux médecins à diplômes étrangers. « Dans ce
grand barnum médiatique, si on félicite tous les personnels
soignants et de support de l’hôpital, on oublie une catégorie bien
particulière de soignants. Des médecins. Mais pas les médecins qui
se montrent dans nos médias, sur les réseaux sociaux et dont je
fais partie. On oublie ceux qui font tourner tous les jours nos
services dans nos hôpitaux publics. Non pas ces hôpitaux
universitaires qui nous déversent leurs vedettes médiatiques que ce
soit pour parler de grève ou d’épidémie. Non, ceux qui font tourner
nos services toute l’année dans nos banlieues et dans nos régions.
Et évidemment plus particulièrement dans nos urgences. Ces médecins
qui n’ont pas de diplômes français. Et beaucoup sont engagés dans
un parcours du combattant fait d’humiliations et de salaires
honteux avant de pouvoir atteindre le Graal de l’inscription au
conseil de l’ordre des médecins. (…) Sans ces médecins, la crise
serait encore plus grave. Certains ont bravé les frontières, le
confinement de leur propre pays, la séparation avec leur famille,
les trajets difficiles pour être à leur poste pendant cette crise.
Ce n’est pas du pathos, j’en connais personnellement. Ne les
oublions pas quand viendra l’heure des remerciements. Ils attendent
depuis des mois la publication d’un décret, l’article 70 de la Loi
Santé qui permettrait de réduire leur passage obligé dans nos
hôpitaux », implore-t-il.
Sans doute cette solidarité permet-elle de refreiner la colère
ainsi que le sentiment d’une certaine humiliation que des
commentateurs plus politiques ont pu évoquer.
Bon tableau de la situation. Malheureusement dès que le coup de vent sera passé,tout va redevenir comme avant...responsables mais pas coupables va refleurir...quid de certaines verbalisations stupides et abusives...contrôle en revenant de faire des courses il y a 15 jours, caducée sur le pare brise, carte professionnelle à jour avec attestation d’inscription au CDOM avec qualifications en évidence...la gendarme me déclare que je devrais être à l’hôpital au lieu de traîner dans les rues et me colle 135€ au motif que j’avais oublié de mettre la date sur une attestation par ailleurs parfaitement remplie... Tout cela en centre Bretagne, région plutôt épargnée...j’ai contesté...ce qui va sans doute me valoir 375€...mais il y a quand même des limites... Anecdotique mais certainement pas isolé...n’étant pas du coin,je m’étais signalé au CDOM de Loire Atlantique,et bien sur inscrit sur la réserve sanitaire...j’ai reçu 2 mails de l’ADOPH44 pour des consultations de médecine générale...(je suis Orl....et mes compétences en méd.g. sont bien lointaines) on devait théoriquement être rappelé pour des gardes de régulation SAMU... mais ils ont du se débrouiller sans nous...
Dr Alain Champemond
Coronavirus et surinfections, avons nous perdu notre sens clinique
Le 11 avril 2020
Depuis le début de la pandémie, on ne parle jamais des surinfections bactériennes qui existent je pense comme dans la grippe, autre infection virale. Ne serait il pas logique devant un patient atteint de coronavirus qui tousse et qui crache de le traiter par antibiotique et anti-inflammatoire comme nous le faisons lorsqu’au bout de quelques jours cette grippe s’aggrave et se surinfecte.
Or que faisons nous, après en avoir reçu la consigne, nous disons au patient de rentrer chez lui, de ne rien faire et d’attendre d’être en insuffisance respiratoire en se noyant dans ses sécrétions, que nous n’avons pas traitées, pour appeler le 15 , passer en réanimation et y être intubé.
Avons nous perdu notre sens clinique et notre capacité de réflexion et pourquoi réagit on en abandonnant nos patients, même si nous obéissons à ce qui est dit par nos conseils scientifiques.
Comme dit le Pr Raoult il faut dépister et traiter, donc dépistons avec notre sens clinique puisqu’on n’a pas de test et traitons les complications qui sont pour une grande partie des surinfections avec un anti-inflammatoire et un antibiotique comme nous le faisons habituellement. J’apprécie ce que dit Raoult mais nous ne sommes pas obligés de suivre à la lettre son protocole, limités par les contre-indications de la cortisone dans les infections virales, des AINS (la je découvre). Il reste éventuellement le PLAQUENIL pour son action anti-inflammatoire et ce qui est un plus son action immunologique. Ceci est une hypothèse mais qui est simple à vérifier, rendons aux généralistes leur liberté de prescription (aussi pour la prescription de PLAQUENIL) et de réaction et nous verrons rapidement si cela marche, pas besoin d’études, l’opinion de chacun peut se faire après quelques malades, les études peuvent attendre.
Pour ma part je suis ophtalmologiste et je traite les conjonctivites virales (avec pharyngite et adénopathie) par une association antibiotique et anti-inflammatoire par voie générale, avec des résultats spectaculaires et très rapides là où mes confrères mettent des antiviraux sans résultats pendant des mois, je n’ai pas attendu les études qui par ailleurs n’existent pas mais après 2 ou 3 résultats spectaculaires j’ai décidé que ce serait ma façon de faire et cela fait 30 ans que mes patients en sont heureux.
Probablement je ne traite que la surinfection et la réaction inflammatoire mais au niveau du résultat il n’y a pas photo.
Si en faisant ainsi nous sauvons ne serait-ce que quelques patients nous aurons retrouvé dans cette épidémie une utilité qu’on nous a enlevé. Au moins lorsqu’il s’agit d’une surinfection prescrivons un traitement antibiotique.
Dr Jean-François Nicolai
Verbalisation abusive
Le 11 avril 2020
Je me suis retrouvé dans la même situation pénible quand le gendarme qui m'a interpellé s'est comporté avec beaucoup de mépris. Avant de vérifier mon identité, il m'a fait savoir qu'il y a des gens comme moi qui ont des faux documents (attestation professionnelle signée et datée, carte professionnelle, caducée). J'ai dû leur montrer à quelle heure j'ai été appelé par le service car il a estimé que j'ai passé trop de temps au travail. C'était un dimanche ou j'étais censé être au repos. Finalement le gendarme m'a laissé rentrer à la maison, sans s'excuser. Les abus ne sont pas à accepter. Une diffusion auprès de l'Ordre des médecins, le préfet et les autorités locales me semble justifiée dans votre cas. Bon courage !