Passer notre masque à la machine…

Paris, le samedi 18 avril 2020 – Parmi les nombreuses précisions attendues du gouvernement concernant les conditions du déconfinement progressif (qui pourrait débuter le 11 mai), figure la place des masques. Le chef de l’Etat a indiqué dans son discours solennel du lundi de Pâques que leur port pourrait être « systématique » pour certaines professions et situations (transports en commun notamment). Outre l’interrogation sur le caractère obligatoire ou non de la prescription gouvernementale, la question de l’accès aux masques est prégnante.

Si les nombreuses commandes passées par l’état et l’effort général déployé permettent aujourd’hui d’atténuer les tensions d’approvisionnement des professionnels de santé, les ressources disponibles et programmées paraissent insuffisantes pour espérer fournir facilement des matériels de protection à l’ensemble de la population. Aussi, comme le suggère la formule de « masque grand public » utilisée par Emmanuel Macron, il est probable que les masques alternatifs compteront parmi les dispositifs employés.

Présentant des capacités de filtration moins importantes, les masques alternatifs ont cependant pour atout d’être plus faciles à produire (puisque les particuliers peuvent en confectionner eux-mêmes) et d’être réutilisables (à la condition d’un lavage à haute température, dont le niveau mériterait d’être mieux connu et précisé). Cette dernière qualité pourrait-elle être aussi celle des masques chirurgicaux et des FFP2, ce qui serait une réponse aux problèmes d’approvisionnement ?

… pour voir si les capacités de filtration d’origine peuvent revenir

Cette question est l’objet d’attention de consortiums de recherches partout à travers le monde, qui évaluent les différentes techniques de stérilisation sur les masques, afin de mesurer d’une part leur efficacité quant à l’élimination des virus et bactéries et d’autre part leur absence d’impact sur les capacités de filtration. Ainsi, la task force international ReUse réunit une multitude d’équipes concentrées sur le sujet. Parmi elles, figure un groupe français constitué début mars par le CNRS qui réunit « le Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA), l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses) et plusieurs universités et CHU » a détaillé dans une récente publication du CNRS le professeur Philippe Cinquin (médecin et docteur en mathématiques appliquées).

Est-ce qu’on peut les « ravoir » à l’autoclave ?

Les spécialistes (médecins, scientifiques, industriels spécialisés dans la stérilisation) ainsi regroupés se sont concentrés sur plusieurs techniques : « un lavage avec un détergent à 60 ou 95 °C, un passage en autoclave à 121 °C pendant 50 minutes, une irradiation par des rayonnements gamma ou bêta, une exposition à l’oxyde d’éthylène et un chauffage à 70 °C en chaleur sèche ou humide, ou dans l’eau ». Des résultats préliminaires ont été obtenus qui sont encourageants : « Concernant les masques chirurgicaux, nous avons montré qu’ils conservent leurs performances après un lavage jusqu’à 95 °C. Nous avons également de très bons résultats avec l’autoclave et les rayons gamma. Précisément, nous observons une perte d’efficacité de filtration inférieure à 2 %, ce qui conduit les meilleurs masques usagés et traités testés à de meilleures performances que celles de masques neufs moins bons.
 Sur les masques FFP2, les premiers résultats obtenus par l’agence Apave de Grenoble montrent que le traitement à l’oxyde d’éthylène en conserve les performances. En revanche, il apparaît que les rayons gamma ne les conservent pas. Enfin, Olivier Terrier et nos collègues tourangeaux, vient de réussir à démontrer que la chaleur sèche à 70 °C détruit très efficacement une charge virale calibrée déposée sur des masques chirurgicaux et FFP2 ». D’autres pistes sont également à l’étude (vapeur de peroxyde d’hydrogène, ultra-violets C, ou encore plasma d’oxygène).

On est foutu, on stérilise trop !

La confirmation de l’existence de techniques efficaces de stérilisation des masques est une première étape. Dans un second temps, il est nécessaire de définir les parcours de « recyclage » de ces masques quand ils sont utilisés dans le cadre médical. Pour ce faire, « un groupe de travail interministériel » a été constitué indique Philippe Cinquin. Mais se pose également la question, dans le cadre d’un port systématisé du masque en population générale, de la possibilité de proposer aux particuliers le recours à des techniques de stérilisation, qui ne les exposent pas à d’autres risques (notamment mais pas seulement de dissémination des agents viraux !) et qui puissent être facilement mises en œuvre pour être efficaces (en termes d’élimination des virus et de conservation des capacités de filtration). Alors qu’à l’instar des vidéos tutorielles expliquant comment fabriquer son masque, des clips présentant des méthodes diverses et souvent fantaisistes de décontamination maison fleurissent, il apparaît essentiel que des messages clairs puissent être transmis aux populations.

C’est déjà plus que ça

Sans doute, pour le grand public, plutôt que des techniques hasardeuses et potentiellement dangereuses, et pour permettre un accès à des systèmes de protection plus performants que le masque alternatif, la piste explorée par le collectif grenoblois VOC-COV est-elle intéressante. Ce dernier regroupe différents acteurs scientifiques (CEA), industriels (Ouvry entreprise spécialisée dans les équipements de protection biologique et chimique, Michelin, Scheider…) et institutionnels (Société française de médecine de catastrophe, ARS Rhône Alpes, CHU Grenoble Alpes…). Un masque réutilisable est le fruit de ce partenariat. Baptisé OCOV ce masque est un Face Mask (différent d’un Face Filter, tels les FFP) « qui comprend une pièce faciale souple qui recouvre le nez, la bouche et le menton, ainsi que des filtres remplaçables et réutilisables. Le taux de fuite requis par la norme FM est 5 fois inférieur à la norme FF (<2% pour FM et <8% pour les filtres FF) » explique un communiqué du CEA. Les filtres lavables pourraient être réutilisés (après avoir été lavés) une vingtaine de fois. Ainsi, alors qu’OCOV pourrait être commercialisé avec cinq filtres, le dispositif pourrait être utilisé une centaine de fois.

On avance, on avance, on avance

Cinq-mille exemplaires d’un premier prototype sont en cours de production par Ouvry (dont les chaînes de production ont déjà été sollicitées par les autorités sanitaires pour la production de masques classiques). Le collectif estime possible de produire un million de masques par semaine au mois de mai et propose un prix de commercialisation de 28 euros.
Ce type d’initiative est un témoignage positif des ressources qui pourraient être déployées pour répondre aux objectifs d’un déconfinement dans les meilleures conditions de sécurité sanitaire. Cependant, à l’instar des méthodes de stérilisation, elle ne répond pas à toutes les questions, notamment concernant les protocoles d’évaluation et les réglementations de distribution. 

Aurélie Haroche

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Vos réactions (4)

  • Lavez-vous les mains "à haute température" !

    Le 18 avril 2020

    Le lavage des masques en tissus doit être (<<évidemment, naturellement>>) fait à "haute température" ? cette "vérité" est répétée partout.
    Sauf que c'est incohérent avec tout ce que nous savons sur ce virus, dont l'enveloppe lipidique est détruite par un lavage des mains à l'eau savonneuse ... froide ou tiède. Ce virus si astucieux deviendrait-il résistant dans l'enceinte confinée d'un lave-linge ? Faudrait-il se laver les mains à "très haute température" ? Ou plus simplement suivre la recommandation du CHU de Grenoble, l'un des premiers à avoir mis en ligne un patron de masque, et qui recommande un lavage à 30 degrés.
    J'entends déjà dire "qui peut le plus peut le moins", ou "on n'est jamais trop prudent"... Eh bien, lavez-vous donc les mains à 70°, car en effet on n'est jamais trop prudent !

    Dr Gilles Grimon

  • Lavage des masques: quel conseil ?

    Le 21 avril 2020

    Je suis en accord parfait avec cette remarque, faute de masques à notre disposition, je lave mon masque chirurgical à la main et l'expose au soleil, jusqu'alors on a entendu tout et son contraire, j'ai invité mes amis à faire de même, personne n'a pris la parole d'une façon catégorique et scientifique pour nous engager ce dont nous devons faire, c'est affligeant et très déstabilisant, surtout si un membre de notre famille est atteint gravement par ce virus...

    Marie-Noël Ingouf (IDE)

  • Un virus fragile

    Le 24 avril 2020

    Totalement d'accord avec mon confrère Gilles Grimon : les virus enveloppés sont sensible aux détergents actifs sur les lipides puisque leur enveloppe est lipidique. Donc n'importe quel lavage avec un savon suffit.

    Je suis aussi surpris que, dans tous ces essais, personne n'ait testé le microonde. Il est pourtant efficace pour stériliser les milieux de cultures bactériennes.

    Donc, si j'avais à réutiliser un masque en tissus, je le laverais au savon vaisselle et le rincerait vers 30-40° (ça rince mieux qu'à froid) puis le sécherais au soleil comme Mme Marie-Noël Ingouf ou, si urgence, au microonde (en surveillant !).

    Dr Yves Gille

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