
Prendre acte du choix politique contraire à l’avis du Conseil scientifique
Demandée par les syndicats d’enseignants, la note du Conseil scientifique dédiée à l’école rendue publique samedi soir ne peut que conforter les préoccupations exprimées par les représentants des parents d’élèves et des personnels enseignants. En effet ce travail a été établi alors que le Conseil scientifique était favorable à une fermeture prolongée jusqu’au mois de septembre des crèches, écoles, collèges, lycées et universités. C’est prenant acte de la décision politique que le Conseil scientifique a précisé les règles qui devraient être adoptées entre le 11 mai et le 4 juillet dans les établissements scolaires.Contagiosité des enfants : des zones d’ombre et des éléments rassurants
Concernant le rôle des enfants dans la transmission du virus, le Conseil scientifique rappelle : « Quand les enfants font l’objet d’un dépistage ciblé en raison de leurs symptômes ou parce qu’ils ont été en contact avec des cas intrafamiliaux, la proportion de cas positifs par RT-PCR est la même que celle des adultes pour les enfants de 10 à 19 ans (autour de 15% ; plus élevée pour les garçons que pour les filles). Elle est en revanche plus faible (6%), et non différente entre garçons et filles, pour les enfants de moins de 10 ans (Gudbjartsson et al, NEJM, 2020) ». Le Conseil scientifique signale encore que chez les enfants, les formes asymptomatiques représenteraient un peu moins d’un tiers des cas. L’étude sérologique conduite par l’Institut Pasteur dans l’Oise offre également de nouveaux éléments d’appréciation concernant le taux de transmission du SARS-CoV-2 des adolescents (lycéens) vers leur famille : il était de 11 % vers les parents et de 10 % vers la fratrie. Ainsi, même si des zones d’ombres persistent encore concernant le rôle joué par les enfants, différents indices suggèrent une contagiosité moindre des (jeunes) enfants par rapport aux adultes. Pour en savoir plus, le Conseil scientifique invite à la réalisation d’enquêtes sérologiques pour une évaluation rétrospective de la circulation du virus, soit au moment de la réouverture des écoles, soit à partir de prélèvements pédiatriques.Le rôle essentiel des parents
Parallèlement à ces considérations épidémiologiques, le Conseil scientifique liste les conditions qui devraient s’imposer. D’abord, il se déclare « favorable à ce que le principe de volontariat et de non obligation de la part des familles soit retenu, avec la possibilité d’une poursuite de l’enseignement à distance ». Pour les personnes présentant des facteurs de risque, une évaluation en lien avec le médecin traitant est fortement recommandée afin de préciser si le travail à distance doit être privilégié. Outre ces principes généraux, le Conseil insiste sur l’importance de l’information et de la formation de l’ensemble des acteurs : personnels enseignants, enfants et parents. Le rôle capital de ces derniers est rappelé avec force qu’il s’agisse de la surveillance des symptômes chez leur enfant (avec une prise de température quotidienne fortement recommandée), du signalement d’une suspicion de cas à l’école ou du respect des mesures d’hygiène à la maison.Désinfection plusieurs fois par jour
Concernant l’organisation des établissements, le Conseil scientifique préconise des entrées et des sorties de classe échelonnées afin d’éviter que les enfants de niveaux différents ne se croisent, des installations scolaires aménagées afin de respecter le plus possible la distanciation sociale et une organisation des récréations et de la cantine adaptée (ce qui impose une restriction des effectifs et une adaptation des rythmes). Les préconisations du Conseil scientifique se concentrent également sur l’approvisionnement en matériels pour permettre le lavage fréquent des mains. Sur ce point, le Conseil précise que « La fourniture de solution hydroalcoolique peut être envisagée pour les élèves à partir du collège. Le Conseil scientifique considère que la mise à disposition de solution hydroalcoolique pour des élèves avant le collège peut être dangereuse (absorption, projection oculaire…) ». Le Conseil insiste également sur la nécessité de réaliser plusieurs fois par jour « Un bionettoyage de l’établissement (salles de classe mais aussi parties communes) en insistant sur les zones fréquemment touchées (poignées de porte, interrupteurs par exemple) ». Ces mesures de désinfection devront être évidemment renforcées si un cas était détecté au sein de l’établissement.Un dépistage de masse difficile à envisager et pas nécessairement pertinent
Le Conseil scientifique se prononce encore pour un port du masque (masque alternatif) obligatoire pour tous les personnels et pour les enfants à partir du collège. Pour les enfants plus jeunes, le Conseil l’estime impossible pour ceux de maternelle et à adapter en fonction de l’âge et du niveau de compréhension en primaire. Enfin, on le sait beaucoup, notamment au sein des syndicats de personnels enseignants, avaient préconisé la réalisation d’un dépistage massif soit par RT-PCR soit grâce aux tests sérologiques. Le Conseil scientifique se montre dubitatif sur la faisabilité et la pertinence d’une telle mesure.Isolement immédiat des enfants malades, de leur famille et des cas contacts
Quelle attitude, enfin, adopter face à un enfant présentant des symptômes évocateurs ? Si ces derniers sont repérés par la famille, l’élève ne doit pas être envoyé à l’école et l’établissement averti pour organiser le dépistage de tous les élèves de la même classe voire de toutes les classes du même niveau (grâce au déploiement d’une équipe mobile). Par ailleurs, la classe voire toutes les classes du même niveau devront être fermées pendant 14 jours. Si les symptômes sont repérés par le personnel enseignant, l’enfant doit être exclu immédiatement et « en cas de doute (…) une prise de température pourra être réalisée par un enseignant ou l’infirmière scolaire ». L’isolement des enfants malades suppose que les mesures de quarantaine soient respectées par l’ensemble de la famille (l’isolement du sujet mineur avec un de ses deux parents dans un hôtel ou un lieu comparable peut également être proposé et envisagé en cas de personnes fragiles au sein du foyer).Controverse
L’ensemble de ces éléments suppose donc une préparation très minutieuse et des adaptations au cas par cas en fonction des effectifs des établissements, de l’organisation des locaux, de la disponibilité des professeurs, etc. Ces prérequis confirment la complexité de cette reprise progressive d’autant plus que les plus grandes incertitudes demeurent quant aux moyens dont disposeront réellement les écoles. La liste des précautions établie par le Conseil scientifique, à laquelle fait écho celle de l’Académie de médecine, rappelle par ailleurs combien la réouverture des écoles est un sujet de controverse au sein de la communauté médicale et scientifique. Ainsi, l’Ordre des médecins a clairement considéré « illogique » une telle mesure, notamment en raison de l’impossibilité selon lui de mettre en œuvre les mesures barrières au sein des établissements. En écho avec cette position, de nombreux spécialistes ont également mis en doute la pertinence de la stratégie retenue par l’exécutif. D’autres cependant se montrent moins hostiles, jugeant que si les précautions essentielles sont respectées, avec notamment la protection des plus fragiles, la réouverture des écoles ne doit pas être vilipendée. « En ouvrant les établissements des plus petits, ce seront donc leurs parents qui risquent d'être contaminés. Généralement, les parents d'enfants à la crèche ou à l'école primaire sont plutôt jeunes ainsi que les enseignants. Ils présentent majoritairement moins de facteurs de risque qui pourraient rendre le virus fatal. Évidemment, tout cela ne doit pas se faire n'importe comment et il faut impérativement mettre en retrait les personnes fragiles ou à risque. » relève par exemple le professeur Frédéric Adnet (patron du Samu 93).L’Europe, un cas d’école
Témoignant de cette opinion médicale incertaine et changeante, les pays européens montrent également une grande disparité concernant la réouverture des établissements scolaires. Des réouvertures progressives ont débuté ou vont débuter dans certains états (Allemagne, Norvège, Islande, Danemark) avec des choix différents en fonction des classes privilégiées, du caractère obligatoire ou non. D’autres pays, principalement au sud ont déjà officiellement indiqué que l’école demeurerait fermée jusqu’en septembre ou s’apprêteraient à prendre une telle décision, qu’il s’agisse de pays où le bilan est très lourd (Espagne, Italie) ou plus favorable (Portugal où seuls les élèves de terminale pourront suivre quelques cours avant la fin de l’année), ce qui rappelle combien les corrélations entre gravité de l’épidémie et choix politiques sont difficiles à établir.A.H.