Accalmie de la Covid-19 en Europe : génie propre de l’Homme ou de l’épidémie ?

Alors qu’en cette mi-juin 2020, l’épidémie de Covid-19 en Europe, est « contrôlée mais pas terminée », l’Imperial College of London, auteur de prédictions catastrophistes pour les Britanniques, finalement prises au sérieux - tardivement et à l’insu de son plein gré - par le Premier d’entre eux qui « at the end of the day » n’a pas hésité à tester personnellement et en dépit de l’agueusie et de l’anosmie, le goût si particulier des tuyaux en matière plastique qu’un service de réanimation londonien s’est ingénié à lui placer dans moult orifices, l’Imperial College of London, disions-nous tente d’expliquer le pourquoi de ladite Covid Exit. Deux explications possibles et très différentes à ce déclin, sont mises sur la table d’autopsie qui valent leur pesant d’or pour les médecins et les responsables politiques du monde entier dont beaucoup ont mis en place des interventions gouvernementales sans précédent visant à réduire considérablement les voyages et les contacts physiques entre les individus.

To be or not to be “confined again”, that is the question

L'identification de l'explication la plus probable au déclin de l’épidémie en Europe et (partiellement) en Amérique du Nord, est la clé de tout projet futur visant à lever la distanciation sociale et les restrictions de voyage. Elle est également essentielle pour examiner les réponses ultérieures de santé publique destinées à réduire la morbidité et la mortalité, notamment dans le contexte des impacts économiques et sanitaires plus larges des stratégies d'atténuation et de suppression de la Covid-19. En clair, dans le cas bien probable où une nouvelle pandémie frapperait la planète, pourrions-nous faire l’économie d’un nouveau confinement et de la catastrophe économique et sociale qui en découle ?

Deux hypothèses

En premier lieu, la diminution observée du nombre de cas et de décès pourrait être due aux mesures de confinement, à la distanciation sociale et à d'autres interventions. Cela impliquerait que l'épidémie en est encore à un stade relativement précoce et qu'une grande partie de la population y est encore sensible. Dans un tel scénario, attendons-nous à un risque élevé de nouvelles transmissions si ces interventions ou modifications de comportement venaient à se relâcher complètement. Cette première explication est également compatible avec un taux de létalité élevé qui rendrait compte du nombre de décès survenus à ce jour.

En second lieu, ces diminutions de cas et décès pourraient être dues à l'obtention d'une immunité collective qui signifierait qu'une grande partie de la population est désormais protégée contre l'infection actuelle, soit par l'acquisition d'une immunité à la suite d'une infection récente à ce coronavirus, soit par d'autres moyens naturels (comme la protection croisée contre d'autres coronavirus réputés anodins). Dans un tel scénario, il devrait y avoir une nouvelle diminution du nombre de cas et de décès, même en l'absence d'interventions ou de modifications de nos comportements. Si l'on suppose qu'une grande partie de la population a été infectée, cette explication implique un taux de létalité très faible pour expliquer le nombre de décès survenus à ce jour.

Vous reprendrez bien un brin de méthodologie ?

L’équipe de Neil Ferguson a adopté une approche simple basée sur des données, afin de déterminer laquelle de ces hypothèses est la mieux étayée par ces données. Ses arguments se fondent sur les tendances des décès cumulés dans le temps dans un certain nombre de pays européens qui se sont mis en quarantaine à différents stades de leurs épidémies. Pour un sous-ensemble de pays, Neil Ferguson étudie également les données obtenues à partir d'études sérologiques (proportion de la population qui présente des preuves d'une infection antérieure).

Peu d’arguments en faveur du rôle de l’immunité collective

1 -  Des taux de létalité très différents selon les pays en Europe

La déclaration des décès dans les différents pays (NDLR : tous les pays d’Europe sont démocratiques et pratiquent la transparence des chiffres) disposant d'une bonne capacité de dépistage, bien que non sans difficultés, est généralement considérée comme l'une des statistiques les plus fiables sur la Covid-19 puisque le dépistage a été prioritaire chez les cas graves.

Dans le cadre de l'immunité collective, le taux de létalité cumulé par million d'habitants dû à la Covid-19 se serait stabilisé à peu près de la même façon dans les différents pays (en supposant que les chiffres de base de la reproduction soient similaires). Or, ce taux de létalité de la Covid-19 cumulé par habitant a plafonné à différents niveaux. Par exemple, en Allemagne, aux Pays-Bas et en Italie, tous pays dotés de soins de santé et de capacités de dépistage de bonne qualité, la différence de mortalité est frappante : l'Allemagne se situant à 95 décès par million d'habitants, les Pays-Bas à 332 et l'Italie à 525 décès par million d'habitants (au 17 mai 2020).

Si l'acquisition d'une immunité collective avait été seule responsable de la baisse de l'incidence dans tous les pays, alors l'exposition, la sensibilité ou la gravité de la maladie auraient dues être extrêmement différentes d'une population à l'autre. Ce qui est très peu probable, compte tenu de la similitude démographique, de la proximité géographique, des fortes similitudes génétiques, de la solidité des systèmes de santé et de la probabilité d'une exposition antérieure similaire à d'autres coronavirus humains, au sein de l’Europe.
En revanche, si la stabilisation du nombre de décès est due aux interventions et aux changements de comportement associés, alors ces écarts entre les pays européens peuvent s'expliquer par le calendrier et la rigueur des interventions par rapport à l'introduction du virus.

2 -  Les pays qui se sont mis en quarantaine tôt ont connu moins de décès dans les semaines suivantes

Dans les pays ayant appliqué des mesures strictes, les taux de décès par habitant au moment du confinement ont été comparés avec les taux de décès par habitant au cours des 6 semaines suivantes. Si l'immunité collective avait déjà été atteinte, il n’aurait dû y avoir aucune corrélation, ni même une corrélation négative, car le confinement n’aurait guère modifié le seuil d'immunité collective dans la population ni le taux de mortalité ultime par habitant. Une forte tendance linéaire suggère que les pays qui sont entrés en confinement plus tôt ont connu moins de décès au cours des six semaines suivantes. Cette tendance est donc en contradiction avec l'explication de l'immunité collective. Par contre, c'est exactement ce à quoi on pourrait s'attendre si l'on considère que le confinement réduit la transmission et le nombre de décès, ce qui le rend encore plus efficace lorsque la transmission avant confinement est faible.

3 - Une relation forte et cohérente entre la prévalence des anticorps contre le SARS-CoV-2 et la mortalité par Covid-19 dans les populations européennes

Il existe une forte relation linéaire entre la séroprévalence et la mortalité indiquant que des régions disparates ont connu une mortalité par infection similaire. Si l'immunité collective avait été atteinte parce qu'une grande partie de la population avait été infectée, on s'attendrait à trouver une séroprévalence plus élevée et une pente correspondante plus faible (équivalant à un taux de létalité plus faible). Or, les données actuelles en Europe sont compatibles avec un taux de létalité de 0,5 à 1∙0 %, ce qui est plusieurs fois supérieur à celui de la grippe saisonnière (<0,1 %).

Deuxièmement, si l'on suppose que les différences entre les pays européens dans cette analyse sont dues à des différences dans la déclaration de la gravité ou des décès, les pentes entre les pays devraient être très différentes, ce qui n’est pas le cas.

Enfin, si l'immunité collective a été atteinte dans toutes les régions d’Europe, on pourrait s'attendre à ce que la séroprévalence varie relativement peu. Si l'on prend l'exemple de l'Espagne, pour que le pays ait atteint l'immunité collective, il faudrait supposer que le seuil d'immunité collective diffère d'un facteur dix entre les régions. En revanche, tous ces schémas s'expliquent facilement si l'on suppose que les interventions mises en place ont maintenu les nombres de décès et d’infections à des niveaux d'immunité inférieurs à ceux de l’immunité de groupe.

Esprit es-tu là ? Ou quelques humbles réflexions de l’humble rédacteur de cet article

D’aucuns objecteront que le So British Imperial College of London, avait à cœur de justifier ainsi à postériori ses sombres prédictions, lesquelles étaient tout de même parvenues à faire infléchir la désinvolture de « Bojo » et finalement à confiner la Grande-Bretagne – et donc d’être à la fois juge et partie dans cette affaire.

D’autres feront remarquer que le génie évolutif des maladies infectieuses a pu finalement s’échapper de sa lampe magique et siffler la fin de la récréation, le même qui a inexplicablement mis un terme à l’épidémie de SARS-COV-1...

D’autres encore feront remarquer que dans une boite de Pétri expérimentale et flottante, dénommée porte-avions Charles de Gaulle, l’immunité croisée antérieure acquise grâce à d’anciens coronavirus, aurait dû empêcher la contamination de 70 % de l’équipage !

Parler de la Covid-19, n’est-ce pas, avant tout, aimer échanger des idées et pas seulement sous forme de postillons ?

Néanmoins, pour résumer cet article, il existe de grandes différences dans les taux de mortalité par habitant dans les différents pays européens, qui sont difficiles à concilier avec les seuls arguments d'immunité collective, mais qui s'expliquent facilement par le calendrier et la rigueur des interventions (NDLR : notamment l’énorme capacité de tests déployée précocement en Allemagne par rapport à la France).

Les études de séroprévalence constituent également une source d'information indépendante qui s’avère très cohérente avec les données de mortalité. L'argument de l'immunité collective est donc en contradiction avec les données de mortalité et de séroprévalence, alors que l'argument de l'intervention fournit une explication « parcimonieuse » pour les deux. Bien que les impacts des interventions de contrôle actuelles sur la transmission doivent être mis en balance avec leurs impacts économiques et sanitaires à court et à long terme sur la société, les données épidémiologiques suggèrent qu'aucun pays n'a encore connu de taux d'infection suffisant pour prévenir une seconde vague de transmission, si les contrôles ou les précautions comportementales devaient être assouplis sans que des mesures compensatoires soient mises en place. Alors, Haut les Masques !

Dr Bernard-Alex Gaüzère

Référence
Okell LC, Verity R, Watson OJ et coll. : Have deaths from COVID-19 in Europe plateaued due to herd immunity? Lancet, 2020 ; publication avancée en ligne le 11 juin. doi.org/10.1016/S0140-6736(20)31357-X

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Vos réactions (4)

  • Surf sur la deuxième vague

    Le 15 juin 2020

    Belle analyse, et conclusion probablement pertinente.

    Dr Bernard Hazon

  • Erreur commune

    Le 16 juin 2020

    Comparer des pays entre eux n’est pas scientifique, c’est de la politique. Phénomène ergodique, la pandémie se distribue de manière fractale avec invariance d'échelle. A chaque niveau dimensionnel naturel (famille, établissement de soins ou usine, quartier ou ville entière, département ou région...) on observe d'énormes disparités qui correspondent à une distribution en loi de puissance (à "longue traîne"). Ainsi, au sein d'un même "pays" (artifice dimensionnel) les écarts d'incidence sont énormes d'une localité à l'autre et d'un moment à l'autre. Comparer l'épidémiologie entre la France et l'Allemagne n'a pas de pertinence biostatistique. Il faut comparer des unités de dimensions comparables : par exemple, le Nord-Est de la France avec le Sud-Ouest, la Lombardie avec les Pouilles... On voit alors que les différences, majeures, ne s'expliquent ni par un équipement, ni par une politique sanitaire. Elles sont avant tout le fait de fluctuations statistiques de nature chaotique, amplifiées par de minuscules et multiples influences.

    Si l'Allemagne fait état de chiffres apparemment favorables, ce n'est nullement le cas dans toutes ses localités, et dans l'ensemble elle fait moins bien que la Nouvelle-Aquitaine - pourtant limitrophe de l'Espagne, un des pays les plus atteints. La Belgique, qui affiche une des plus fortes mortalités, ne peut pas être accusée de n'avoir pas mis en œuvre des moyens inférieurs à ceux de la Grèce. Comparer les pays n'est pas de l’épidémiologie, mais de la pure géopolitique ; ce peut même être une expression nationaliste malvenue. Sans compter, bien sûr, la faillibilité du recueil et les manipulations particulières auxquelles sont exposées les données produites par les diverses bureaucraties nationales. Il faut être très méfiant vis-à-vis des statistiques par pays.

    Beaucoup plus instructive est la passionnante analyse comparant les comtés voisins d'Illinois et d'Iowa au cours du mois de mars ( https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC7229521/ ). Elle met en évidence l'influence d'une mesure de confinement adoptée d'un côté et non de l'autre. La différence observée n'est pas gigantesque, et non exempte de confusions possibles, mais elle est très en faveur d'un ralentissement de la propagation épidémique par le confinement. Attention toutefois : la question reste de savoir si, à terme, il résultera de ce retardement un moindre nombre total de cas. Il n’est pas exclu que l’aplatissement de la courbe d’incidence s’accompagne d’une augmentation de sa durée. Cette hypothèse revient à poser celle d’une « deuxième vague » au déconfinement, et celle du rôle d’une « immunité de groupe ». A ce propos, une autre erreur est de considérer (dans un modèle SIR particulièrement) que la population est homogène. Si le degré d’infectivité du virus (sa capacité à envahir un tissu et à s’y reproduire) et sa contagiosité (son volume et sa durée d’excrétion) dépendent de l’hôte, tous les individus ne jouent pas le même rôle dans sa dissémination.

    Si les propagateurs ne sont qu’une petite fraction de la population et sont les premiers touchés par la maladie, le taux d’attaque s’effondre rapidement même si la grande majorité des personnes n’ont jamais été atteintes par le virus. S’il existe de nombreuses formes inapparentes, tout dépend de leur contagiosité : minime ou forte, brève ou durable : là encore, l’hétérogénéité des cas et la distribution locale des profils joue un rôle déterminant dans le devenir de l’épidémie. Or aucun de ces facteurs n’est connu.

    Dr Pierre Rimbaud

  • L'hypothèse multifactorielle

    Le 17 juin 2020

    J'ai pris beaucoup de plaisir à lire votre article et je me permets une réflexion.
    Les 2 hypothèses présentées par les auteurs de l'article du Lancet sont mises en opposition mais, à l'inverse, une action synergique du confinement-distanciation-hygiène avec l'immunité ne peut être exclue.

    Pour être plus précis, nous observons peut être actuellement la résultante de l'application des mesures de prévention (hygiène, masques, distanciation...) + l'immunité innée (avec un renforcement lié à l'augmentation du rapport jour/nuit) + immunité croisée + immunité acquise + affaiblissement estival du virus.
    Les petits ruisseaux font parfois les grandes rivières !

    Pr. Daniel Camus (Institut Pasteur de Lille
    daniel.camus@pasteur-lille.fr)

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