Biosurveillance : un outil essentiel mais non sans failles

Paris, le mardi 7 juillet 2020 – Le Bulletin épidémiologique hebdomadaire (BEH) consacre son numéro publié aujourd’hui à la biosurveillance. Dans son éditorial, le directeur scientifique de la direction de la santé environnementale et de la toxicologie de l’Institut national de santé publique du Québec, Daniel Bolduc rappelle le caractère indispensable de la biosurveillance. Outre son rôle en cas d’accidents ou de situations exceptionnelles, elle permet de mieux apprécier l’évolution de l’exposition de la population et de certains sous-groupes de population à différents polluants. La biosurveillance est également indispensable pour mesurer l’efficacité des mesures de santé publique.

Des mesures particulièrement complexes

Cependant, cette discipline encore caractérisée par sa jeunesse, connaît quelques limites. Ces limites peuvent tout d’abord concerner certains groupes de population. « Le portrait de la biosurveillance au Québec a contribué à identifier les lacunes dans les données : peu ou pas d’études ont évalué l’exposition des adolescents et des aînés aux contaminants environnementaux » note par exemple Daniel Bolduc. Par ailleurs, l’existence même de données chiffrées n’est parfois pas suffisante pour dessiner un portrait exact des niveaux d’imprégnation de la population. « Cela est dû par exemple à un manque de comparabilités des protocoles, à des lacunes statistiques, ou encore en raison de l’évolution des méthodes analytiques » relève Daniel Bolduc. Complétant cette observation, Kahina Slimani (Université de Rennes) et son équipe dévoilent dans les colonnes du BEH toute la complexité de l’évaluation de l’exposition de la population aux substances chimiques, organiques et inogarniques. « La mesure de ces marqueurs biologiques d’exposition doit reposer sur des méthodologies harmonisées afin de minimiser les biais analytiques et de pouvoir comparer les résultats. Cela nécessite en particulier de déterminer la forme chimique sous laquelle le biomarqueur doit être analysé (composé parent ou métabolites) et de recourir à la méthode analytique la plus appropriée au biomarqueur sélectionné. Les résultats devront être normalisés pour minimiser les variations physiologiques intra et interindividuelles et ainsi permettre une meilleure interprétation et comparabilité » décrivent les chercheurs dans leur introduction.

Une interprétation également complexe

Par ailleurs, pour être complètement utiles, les données de biosurveillance doivent pouvoir être interprétées par rapport à des valeurs de référence, non seulement d’exposition "classique" ou historique de la population, mais également par rapport à des valeurs de toxicité. Or, ces dernières font encore parfois (mais pas toujours et de moins en moins) défaut. Aussi, les conclusions des données de biosurveillance restent incomplètes : si elles permettent d’apprécier le niveau d’exposition des populations et l’évolution de ce dernier, elles n’offrent pas toujours de certitudes concernant la dangerosité réelle de cette exposition. Les zones d’ombre subsistent également en ce qui concerne les sources. C’est ce que rappellent Clémence Fillol (Santé publique France) et son équipe qui présentent les résultats de l’étude ESTEBAN (dont l’objectif est « d’estimer l’imprégnation de la population française âgée de 6 à 74 ans à plusieurs substances de l’environnement »). « Les associations mises en évidence dans l’étude ESTEBAN doivent être interprétées avec précaution car les études transversales ne permettent pas à elles seules de déterminer la causalité entre les sources d’exposition potentielles étudiées et les niveaux d’imprégnation mesurés. (…) Ainsi, l’absence d’association observée entre une source d’exposition potentielle et les niveaux d’imprégnation ne signifie pas que cette source d’exposition doit être exclue. À l’inverse, la mise en évidence d’une association entre une source d’exposition et les niveaux d’imprégnation mesurés suggère la nécessité de poursuivre l’exploration de cette voie d’exposition » notent les auteurs de l’étude (semblant donc considérer que le doute ici ne profite pas nécessairement à la substance incriminée).

Tabac, alimentation, alcool, produits ménagers, cosmétiques et industriels : des sources multiples

En dépit de ces doutes, Clémence Fillol et son équipe insistent sur le fait que « Les résultats montrent (….) que l’alimentation n’apparaît pas comme l’unique source d’exposition » aux substances recherchées (bisphénols, phtalates, éthers de glycol, parabènes, perfluorés, retardateurs de flamme bromée…). Néanmoins, on relève que la consommation de tabac a une influence négative sur l’exposition à plusieurs polluants (phtalates, retardateurs de flamme bromés, éthers de glycol) et que l’alimentation ou la consommation d’alcool jouent un rôle certain pour la plupart des substances recherchées, à l’exception des parabènes, très liés aux cosmétiques et les éthers de glycol associés aux produits ménagers et aux cosmétiques. Cependant, au-delà de ces constatations et du rappel du caractère très généralisé de l’imprégnation qui invite à la vigilance, font une nouvelle fois défaut des outils parfaitement précis pour apprécier le niveau de dangerosité associé aux teneurs retrouvées. A cet égard, pas sûr comme le suggèrent des travaux également publiés dans le BEH par A Cochet et coll. qu’en l’absence de « valeurs d’interprétation », « des approches consultatives et participatives pour la gestion de situations de pollution locale » soient parfaitement "avantageuses" pour reprendre le terme utilisé dans sa présentation par Daniel Bolduc.

Des projets en attente

Ainsi, on le voit la biosurveillance, indispensable, doit encore s’enrichir pour répondre à toutes les missions qui sont les siennes. Dans ce cadre, beaucoup est à espérer d’initiative telle celle de la Commission européenne à travers le développement du programme de recherche HBM4EU (European Human Biomonitoring Initiative).


Aurélie Haroche

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