
Les pays à revenu faible ou moyen, autrement dit en anglais
les LMICs (lower‐middle income countries), doivent optimiser
leurs moyens pour faire face à l’épidémie de Covid-19 qui ne les
épargne pas. Les stratégies ne sauraient être celles des pays à
haut revenu, du fait d’un environnement socio-économique moins
favorable qui fragilise leurs systèmes de santé peu -ou pas-
préparés aux défis actuels.
Le seuil financier qui définit les LMICs est le produit
national brut par habitant, soit en 2017 et en moyenne, 4 035 $ US.
Ce groupe est néanmoins hétérogène car il inclut notamment des pays
d’Afrique et d’Amérique du Sud ainsi que l’Inde. Une mosaïque
culturelle, ethnique, économique et sociale où la gestion de la
crise sanitaire actuelle a été le plus souvent chaotique, mais ceux
à haut revenu n’ont guère fait mieux, alors que leurs moyens
étaient bien supérieurs. Faute de préparation digne de ce nom,
malgré les recommandations de l’OMS, il fallait s’attendre au pire
à quelques exceptions près.
Quoi qu’il en soit, le nerf de toute guerre reste l’argent et
il est permis de s’interroger sur les besoins financiers de ces
pays face à la pandémie de Covid-19, dès lors qu’il s’agit de la
contrôler de manière soutenue et de limiter ainsi les dégâts tant
économiques que sociaux : une gageure que même les pays à haut
revenu peinent à relever tant l’incertitude du lendemain vient leur
compliquer la tâche. Difficile d’anticiper quand les sables sont
trop mouvants…
Un modèle SEIR et trois scénarios
Une étude publiée en ligne dans le Lancet Global Health
du 9 septembre 2020 donne une idée du gouffre financier qui menace
les pays en question. Les simulations ont reposé sur un modèle
compartimental classique du type SEIR à quatre classes : S =
susceptible, E = exposé, I = infecté, R=remis ou guéri
(recovered). Soixante-treize pays ont été inclus dans
l’étude et trois scénarios ont été abordés. Dans tous les cas de
figure, il a été admis que le R0 – nombre moyen de sujets
potentiellement contaminés par un patient infecté - restait
stable.
Le premier scénario est celui d’un statu quo ante. La
transmission du virus reste stable du fait de la pérennité des
gestes barrières qui sont respectés sans l’ombre d’un relâchement :
pour prétendre à une réponse sanitaire efficace en termes de moyens
les plus divers, la somme à débourser en l’espace de quatre
semaines (26 juin -24 juillet 2020) s’élève à 52 millions $ US,
soit par personne 8,60 $ US ce qui paraît peu… En fait, une telle
somme représente, dans ces pays, 20 % des dépenses de santé pour
une année per capita (41 $ US) , avec les chiffres de 2017.
Si la crise devait durer 12 semaines (26 juin-18 septembre
2020)- ce qu’elle est en train de faire, l’addition dans le
scénario pessimiste qui n’est pas le moins probable atteindrait
près de 200 milliards $ US… Difficile à assumer quand la chute du
PNB dépasse les 10 % dans de nombreux pays.
Ventilation des coûts propre au modèle
Pour atteindre une telle somme qui permettrait de gérer au
mieux la crise sanitaire, la modélisation a ventilé les coûts dans
les postes suivants qui sont à priori les plus critiques: (1) prise
en charge globale notamment médicale (54 %) : hôpitaux « de
campagne », équipements biomédicaux, médicaments, inhumations
sécurisées etc. (2) services essentiels (21 %) : équipes de
coordination, de sensibilisation et d’intervention, transports
médicalisés etc. (3) investigations diverses à type de traçage des
cas contacts, par exemple (14 %) ; (4) prévention de l’infection :
équipements de protection individuelle, masques, gel
hydro-alcoolique etc. (9 %).
C’est ainsi que les auteurs conçoivent l’efficacité de la
réponse sanitaire à court terme, laquelle implique des
investissements majeurs. Les limites du modèle apparaissent ainsi
en sachant qu’une préparation à la pandémie, selon l’OMS n’aurait
coûté, en 2017, que … 65 cents per capita et par an à un échelon
mondial et coordonné, de fait purement théorique. D’autres limites
prêtent à penser que les montants à débourser sont très
probablement sous-estimés.
Les systèmes de santé doivent, pour faire face, à une épidémie
être armés et résilients. A cet égard, trois composants jouent à
l’évidence un rôle critique : certes des équipes médicales et
paramédicales promptes à réagir au sein d’infrastructures adaptées
(et évolutives), mais aussi des laboratoires bien équipés et
réactifs – sans faire de jeu de mots - sans oublier des mécanismes
de coordination qui ne sont pas les plus faciles à élaborer dans
l’urgence… a fortiori quand les moyens font défaut.
Dr Philippe Tellier