
Au début de l’année 2020, certains utilisateurs de médias
sociaux ont suggéré que la 5G était la cause de la Covid-19 ou du
moins accélérait sa propagation. Le sujet, devenu « viral »,
se retrouve progressivement sur de multiples comptes Twitter
d’utilisateurs au Royaume-Uni. L’affaire prend de telles
proportions que dans 2 villes du pays des mâts 5G et des antennes
de téléphonie mobile sont incendiés (et notamment celui de
l’hôpital Nightingale à Birmingham). Sur ces entrefaites, des
démentis sont diffusés par Full Fact, un site Web indépendant de
vérification d’information, et par le directeur national du NHS
(National Health Service) Stephen Powis. Les recherches
entreprises retracent l'émergence de la théorie dudit complot et
l’attribuent aux commentaires d'un médecin belge en janvier 2020,
corrélant la 5G à la pandémie de Covid-19. Examinée a posteriori,
la propagation étendue et rapide du hashtag #5GCoronavirus
constitue un exemple et une source d’informations sur la manière
dont les fake news peuvent se disséminer. L’autopsie du
prosélytisme de cette théorie via Twitter fait l’objet d’un article
de recherche dans la revue Journal of Medical Internet
Research, avec une reconstitution en 4 actes…
#5GCoronavirus
Entre le 27 mars et le 4 avril 2020, 6 556 utilisateurs ont
tweeté, reçu une réponse ou sont mentionnés dans un message avec le
mot-clé « 5Gcoronavirus » ou le hashtag #5GCoronavirus.
Le réseau analysé comprend un total de 10 140 tweets (tweets
individuels, mentions, retweets et réponses). Pour interpréter le
graphe de ce réseau, les résultats se sont appuyés sur des
recherches antérieures ayant identifié plusieurs structures de
groupes d’échanges Twitter. On retrouve, entre autres : le «
groupe isolé » (formé par les utilisateurs qui tweetaient
sans se mentionner, forme souvent utilisée par les grandes marques
ou l’événementiel), le « groupe de diffusion » et le «
groupe polarisé » (constitué par un certain nombre de
comptes donnant lieu à un réseau de diffusion par les retweets,
parfois centrés sur un utilisateur influent), et un « compte
d'activisme » (titré « 5gcoronavirus19 » et mis en place
pour diffuser la théorie).
« Wuhan, la PREMIÈRE ville 5G complète »…
L’analyse a ensuite classé les utilisateurs influents par «
centralité d'intermédiarité » (« betweenness
centrality » de Freedman, qui décompte le nombre de plus courts
chemins du réseau passant par un sommet donné). La majorité des
utilisateurs influents étaient des membres partageant leur point de
vue avec des articles de presse ou des vidéos soutenant leur cause.
Des caractéristiques communes ont pu être mises en évidence sur ces
comptes : ils faisaient référence à d’autres théories du complot et
intégraient systématiquement des mots du champ lexical de «
découvrir » et « vérité ».
Fait intéressant, les résultats montrent que le cinquième
compte le plus influent était le compte d'activisme «
5gcoronavirus19 », son résumé rapportant : « La 5G
diminue notre système immunitaire et nous devenons plus sensibles
aux virus. Wuhan était la PREMIÈRE ville 5G complète! #Coronavirus
causé par la 5G ». Pour l’anecdote, à la dixième place,
l’(ex)président des États-Unis Donald Trump apparaît dans la liste.
Cependant, contrairement aux autres utilisateurs du réseau, Trump
n'avait pas directement tweeté mais était mentionné par d'autres
utilisateurs à travers des échanges entourant la 5G.
Des sites Web influents
Pour que la théorie du complot se propage, le public a besoin
d'informations et d'une source de référence. La source Web la plus
populaire partagée sur Twitter pendant cette période était le site
connu sous le nom d’« InfoWars », basé aux États-Unis et
reconnu pour diffuser des théories du complot.
L'article lui-même était lié à plusieurs vidéos dans
lesquelles des « scientifiques de haut niveau » révélaient
comment la 5G pouvait « affaiblir le système immunitaire d'une
population ». La majorité des autres références Web qui ont été
mentionnées sont considérées comme des sites d’information «
faux » ou « alternatifs ». Le domaine YouTube
lui-même a également joué un rôle par des vidéos spécifiques
hébergées pouvant être consultées par tous.
La théorie du complot dénoncée dans seulement un tiers des tweets
Sur l'ensemble des données globales, un échantillon de 10 %
des 2328 tweets individuels a été extrait, l'objectif étant
d'identifier la proportion de messages favorables et
anti-conspirationnistes. L'analyse a révélé que : 75 (n = 32,2%)
dénonçaient la théorie du complot, 77 (33,0 %) étaient des tweets
généraux n'exprimant aucune opinion et 81 (34,8 %) contenaient des
opinions selon lesquelles la 5G et le Covid-19 étaient liés. Dans
la première catégorie, les tweets ont soit attaqué, soit ridiculisé
avec humour ceux qui partageaient la rumeur. Dans le deuxième
groupe, les utilisateurs peuvent avoir utilisé les mots-clés et les
hashtags pour obtenir une exposition supplémentaire ou tenter d’«
appâter » en utilisant des sujets populaires.
Enfin, la plus grande catégorie avec 34,8 % des tweets,
interagissait et diffusait des messages reliant la Covid-19 et la
5G tels que : « La 5G c’est le coronavirus! Son rayonnement
éliminera facilement la population mondiale. A ton avis, pourquoi
la Chine s'est-elle débarrassée de ses tours 5G? C'est pour cela
qu’ils sont désormais libérés du virus. », « L’intensité 5G
a atteint un sommet quand les cas infectés de COVID-19 en Italie
ont atteint un sommet, ce n'est pas un hasard ! », ou bien «
Assurez-vous de FRACASSER ces mâts 5G !! ».
Comment lutter contre ce type de désinformation ?
Les fausses informations sont une véritable préoccupation
parmi les plateformes de médias sociaux, et ce d’autant plus depuis
le début de l’épidémie de Covid-19. Selon les auteurs de
l’article, pour contrer les fausses nouvelles, il faut être en
mesure de les détecter rapidement et de les traiter de front au
moment où elles se produisent.
Cette étude a révélé que le compte d’activisme mis en place
avait réussi, au moment de l'analyse, à envoyer un total de 303
tweets avant sa fermeture par Twitter. Avec le recul, si ce compte
avait été fermé beaucoup plus tôt, cela aurait stoppé sa diffusion.
En outre, si les autres utilisateurs partageant du contenu
humoristique sur le hashtag s'étaient abstenus et avaient à la
place signalé les tweets, le sujet n'aurait pas atteint un tel
statut. C’est pourquoi les auteurs suggèrent aux autorités de santé
publique de développer une communication en ce sens.
Par ailleurs, l'analyse spécifique des influenceurs met en
évidence l’absence de figure d'autorité combattant activement la
fake news. Une autre stratégie pour lutter contre la désinformation
consiste en effet à solliciter l'aide de personnalités publiques
(journalistes, personnalités connues), de comptes gouvernementaux
ou d’experts scientifiques. Il semble, de plus, judicieux que cette
lutte contre la désinformation ait lieu sur la plate-forme où elle
a débuté car il est moins probable que les gens aillent rechercher
un rapport de contestation sur un autre site Web. Il peut être
aussi pertinent de rechercher le contexte de la fake news et
sa cause. Les gens ont-ils peur ? Est-ce lié à une perte de
confiance dans les autorités ou dans les référents scientifiques ?
Dans tous les cas, tout contenu visant à corriger la désinformation
doit chercher à dissiper les craintes.
Anne-Céline Rigaud