Covid-19 : beaucoup de cas symptomatiques non détectés en France

Le confinement a été largement utilisé dans la plupart des pays européens pour freiner la propagation de la Covid-19 au sein de la communauté et pouvoir appliquer la stratégie « tester-tracer-isoler » au moment du déconfinement. Cette dernière n’est en effet concevable que face à une diminution drastique du nombre de nouveaux cas positifs détectés chaque jour, le seuil de 5 000 /jour apparaissant raisonnable. Elle est la seule capable de briser les chaînes de transmission tant qu’une vaccination de masse efficace à l’échelon individuel et collectif ne prend pas le relais. Il est possible de jeter un regard rétrospectif un tant soit peu critique sur les mesures appliquées dans les suites du premier confinement et leurs suites pour en tirer des enseignements en cas d’échec avéré.

Bases de données et modélisation mathématique

C’est la démarche adoptée par une équipe d’épidémiologistes française qui a publié les résultats de son étude dans Nature.

L’objectif était d’estimer le taux de détection des cas symptomatiques de Covid-19 en combinant deux méthodes : (1) le recours aux données issues de la surveillance virologique et syndromique à l’échelon national à partir des cas « autodéclarés » ; (2) une modélisation mathématique de la transmission virale calibrée par les hospitalisations régionales.

Sur 90 000 cas d’infections symptomatiques, il semblerait que 90 % d’entre eux aient échappé au système de surveillance au cours des sept semaines qui ont suivi le premier confinement national qui a été levé le 11 mai 2020. Pourtant, le taux de positivité des tests n’excédait pas le seuil de 5 %, considéré comme « raisonnable » par l’OMS. Ce  phénomène tient au renforcement des moyens de surveillance et surtout à une forte diminution de l’activité épidémique qui a succédé à deux mois de confinement. Le taux médian de détection des cas symptomatiques a augmenté au fil du temps, passant de 7 % [6-8] % à 38 % [35-44] % avec des variations régionales conséquentes : seulement cinq des 12 régions étudiées ont dépassé un taux de détection médian de 50 % à la fin juin 2020.

Moins d’un patient symptomatique sur trois a consulté un médecin

Il semble par ailleurs que seuls 31% des personnes symptomatiques aient consulté un médecin au cours de la période de l’étude (11 mai-28 juin) si l’on en juge notamment d’après les études sérologiques réalisées a posteriori. Sur près de 104 000 infections symptomatiques qui seraient survenues au cours de la période d'étude, seuls 14 000 cas auraient été officiellement enregistrés. Le renoncement à un avis médical a tenu à des facteurs multiples personnels et pas toujours irrationnels dans le climat de cette période inédite.

Quand bien même les comportements individuels changeraient en profondeur au point de rendre la recherche d’un avis médical systématique en cas de symptômes évocateurs, force est de reconnaître que les capacités de détection du système semblent actuellement bien insuffisantes pour optimiser la stratégie « tester-tracer-isoler » … même quand la circulation du virus diminue au point de devenir en théorie contrôlable. La moindre reprise épidémique suffit d’ailleurs pour mettre en échec le dit système comme le montre la situation actuelle, au terme du deuxième confinement et peut-être au début d’une troisième vague épidémique.

Des faiblesses conjoncturelles et structurelles

Si les tests sont pratiqués plus massivement que par le passé, il faut reconnaître que les particularités de l’infection par le SARS-CoV-2 ne facilitent pas le dépistage des cas contagieux, dont beaucoup sont asymptomatiques ou paucisymptomatiques : un rude coup pour le tester et tracer du mantra en vigueur. C’est un facteur conjoncturel parmi tant d’autres : la survenue d’une pandémie de cette ampleur à laquelle aucun pays n’était réellement préparé -même la Chine malgré l’épidémie fugace de SRAS en 2002- est l’autre grand facteur conjoncturel qui a affaibli les résistances mondiales de manière durable et révélé les faiblesses structurelles des pays démocratiques. Il est clair que la convergence des points faibles n’est pas faite pour aboutir à des lignes de force comme le montre l’histoire qui s’écrit actuellement.

Tester (mais qui ?) … tracer (mais comment ?) … isoler (?) : la quadrature du cercle

L’étude publiée dans Nature met en exergue ces faiblesses qui tiennent à un manque d’agressivité et de capacité coercitive intrinsèque aux démocraties dites libérales : tester « massivement » est néanmoins un objectif en partie atteint avec des réserves qui tiennent au défaut de sensibilité des tests diagnostiques et à leur utilisation chaotique à l’aveugle tous azimuts. Tracer est un autre défi qui n’est envisageable que face à un taux de contaminations nouvelles < 5 000 /jour, ce qui était le cas au moment de l’étude épidémiologique française sans que pour autant le taux de détection des formes symptomatiques dépasse les 10 %. Ce chiffre n’est certainement pas exact car il découle en grande partie d’une modélisation mathématique dont on connaît les limites, mais il donne une idée approximative d’autres limites qui sont celles du système de surveillance : autant dire que le traçage s’est avéré largement inopérant et que l’isolement non coercitif des cas index ou contact l’a été tout autant selon une trajectoire quelque peu prévisible s’inscrivant dans la quadrature du cercle.

L’ombre d’Orwell

Toutes les conditions sont donc réunies pour sous-estimer de manière constante et reproductible l’amplitude de la vague épidémique, les indicateurs dits sanitaires étant suffisamment imprécis pour compléter l’ouvrage. Les faiblesses structurelles du système de détection et de surveillance dans son ensemble semblent inhérentes au modèle sociétal en vigueur dans les démocraties dites libérales : la preuve en est que la Chine avec son modèle dictatorial semble bien avoir triomphé de l’épidémie qui est née en son sein au prix de mesures coercitives dignes des pires projections de George Orwell dans son 1984 (qu’il est urgent de relire dans sa traduction nouvelle). Mais ne sombrons pas pour autant dans le nihilisme ou dans l’espoir de voir la démocratie aboutir à sorte de dictature qui ne dirait pas son nom, encore que tous les ingrédients pour faciliter cette métamorphose soient d’ores et déjà disponibles tandis que les gouvernants de bien des pays tentent de sortir de la crise actuelle par tous les moyens…

Communication et logistique en premier comme en dernier recours ?

Les alternatives à cette issue sont peu nombreuses et relèvent, pour certaines, des imprécations : pour appliquer au mieux le fameux « tester-tracer-isoler », il faudrait mettre en place des stratégies plus agressives et mieux ciblées à toutes les étapes précédentes. Les cas symptomatiques, les formes dites légères ou « suspectes » sont visés en priorité : il faut inciter les personnes concernées à consulter rapidement pour être testées derechef car elles sont certainement plus impliquées dans la transmission de l’infection que les cas asymptomatiques … sur lesquels le dépistage n’a peut-être pas lieu de se focaliser avec un acharnement non dissimulé au point d’enlever tout sens aux résultats de tests diagnostiques largement imparfaits quels qu’ils soient. Que vaut un test antigénique négatif chez un sujet asymptomatique en termes d’efficacité diagnostique et collective ? Est-ce mieux que rien ? Pas si sûr dans une démocratie où la liberté individuelle l’emporte sur l’intérêt collectif … pour l’instant, car le débat sur la vaccination laisse augurer des décisions qui pourraient changer la donne, a fortiori si la pandémie se poursuit à un rythme soutenu. Le passeport sanitaire pourrait être l’étape qui nous rapproche de pays où un test antigénique positif vous condamne à une quarantaine forcée et surveillée manu militari.

Si la communication doit être à l’honneur, la logistique doit suivre car sans les moyens il ne sert à rien de se bercer d’illusions : la fin justifie les moyens et dans le cas de cette pandémie, les mesures de restriction … sans fin ne sauraient se substituer aux moyens qu’implique toute politique de santé ambitieuse et légitime face à tant de maux. La stratégie adoptée en matière de vaccination montre le chemin à suivre qui passe par le déploiement de moyens logistiques considérables et une communication ad hoc à tous les niveaux, un exemple à suivre et à intégrer dans la gestion globale actuelle de l’épidémie qui reste chaotique dans tous les pays du monde. Sur ce point, la France n’est pas le plus mauvais élève de la classe, contrairement à des opinions trop répandues dont la neutralité politique peut être mise en doute.

Dr Philippe Tellier

Référence
Pullano G et coll. : Underdetection of COVID-19 cases in France threatens epidemic control. Nature 2020: publication avancée en ligne le 21 décembre. doi.org/10.1038/s41586-020-03095-6.

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Vos réactions (7)

  • Les prélèvements nasopharyngés sont un frein au dépistage

    Le 29 décembre 2020

    La question est pourquoi seuls 31% des personnes symptomatiques ont consulté un médecin ?
    En tendant l'oreille dans la population j'entends :"Il n'y a pas de traitement, alors pourquoi consulter tant que je ne suis pas trop malade, surtout si c'est pour me faire "ramoner" le nez avec une grande tige bien rigide".

    Nos administratifs devraient écouter un peu le "bas peuple", les prélèvements nasopharyngés sont un frein certain au dépistage !!
    À quand les tests salivaires ?.

    Un test salivaire moins sensible mais recueillant l'adhésion de 90 % à 99 % des symptomatiques serait plus efficace en termes de dépistage qu'un test nasopharyngé réalisé par 31 % des symptomatiques.

    Certes cette crainte des prélèvements nasopharyngé n'est certainement pas la raison unique de ce faible taux de consultation mais à mon avis il y est pour une part non négligeable.

    Dr JF Philippon

  • Orwell et Covid

    Le 30 décembre 2020

    Le docteur Tellier ferait bien d'améliorer ses connaissances en géographie politique: Taïwan, Corée du Sud, Japon, Hong-Kong, Singapour, Nouvelle Zélande ou Australie ne sont pas à proprement parler des modèles dictatoriaux mais de jeunes démocraties libérales, très attachées à leurs libertés, qui ont triomphé de l’épidémie au prix de mesures dignes de gouvernements libres, courageux, réactifs, flexibles et bien adaptés à cette situation nouvelle. Ces démocraties ont plus à nous apprendre que la Chine de Xi Jinping, 1984 n'est pas obligatoirement une destination finale.

    Dr Bernard Brugere

  • Dommage...

    Le 30 décembre 2020

    "L’étude publiée... met en exergue ces faiblesses qui tiennent à un manque d’agressivité et de capacité coercitive intrinsèque aux démocraties dites libérales : tester massivement », etc...

    C'est vrai, c'est si dommage que nous ne soyons pas "agressifs" et "coercitifs" pour une maladie qui tue 3% des malades mais qui représente une si belle opportunité de dictature sanitaire! L'exemple est cité : la Chine! Ce serait dommage de regarder vers Taïwan ou la Nouvelle-Zélande, les démocraties n'intéressant à peu près plus personne en ce moment.

    "Tester massivement est néanmoins un objectif en partie atteint avec des réserves qui tiennent au défaut de sensibilité des tests diagnostiques et à leur utilisation chaotique à l’aveugle tous azimuts".

    Défaut de sensibilité des tests diagnostic? Après 40 réplications? Le problème est plus la technique que le test et nous le savons. Il est plus de faux positifs que de faux négatifs. Il est plus dans la médiatisation à outrance que dans la prise en compte des données.

    Trop de Docteurs Follamour, trop d'apôtres de l'Apocalypse, trop d'avidité de pouvoirs. L'humanité et la démocratie sont en train de sombrer. Avec la complicité des peurs.
    Oui, vraiment, dommage.

    Dr Jean-François Michel

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