Confinement préventif ou attentisme : la scission entre une partie du corps médical et le gouvernement se creuse

Paris, le mercredi 27 janvier 2021 – Un énième Conseil de Défense dédié à l’épidémie de Covid-19 se tient aujourd’hui. Au menu des discussions, la nécessité de prendre de nouvelles mesures, au vu des dernières données épidémiologiques disponibles (concernant notamment l’impact du couvre-feu à 18 h et la diffusion des nouveaux variants du SARS-CoV-2). Différentes pistes doivent être discutées : prolongement des vacances de février pendant un mois avec les mêmes dates pour toute la France, fermeture des cantines, confinement le dimanche ou encore nouvelle injonction concernant la généralisation du télétravail (qui serait en recul depuis le début du mois de janvier). L’étude de ces multiples pistes n’empêchera cependant pas le Président de la République et ses ministres de se confronter à la question qui depuis quelques jours a envahi l’espace médiatique : faut-il décider maintenant d’un reconfinement.

Médecins procureurs

Le sujet agacerait Emmanuel Macron. Plusieurs médias ont ainsi évoqué comment les discours de nombreux médecins médiatiques (ce qui inclut bien sûr le professeur Jean-François Delfraissy qu’il a lui-même nommé à la tête du conseil scientifique) prônant une fermeture sans attendre du pays, y compris des écoles, hérisse le Chef de l’État. Outre que ce dernier apparaît de moins en moins supporter la libre contradiction (ce qui l’a conduit à qualifier les Français de « procureurs » quand ils exercent simplement leur droit à la critique), le Président de la République veut rappeler que les décisions de confinement ne sont pas uniquement fonction de la situation sanitaire mais doivent également tenir compte de critères économiques et sociaux.

L’histoire est en train de se répéter

Au cœur de la scission, une interprétation différente des indicateurs sanitaires. La tension hospitalière (59,6 % d’occupation des services de soins critiques selon le site CovidTracker) n’est pas catastrophique (notamment pour un mois de janvier où une certaine surchauffe est toujours observée liée notamment à la grippe) mais néanmoins élevée, tandis que le « seuil » de 3000 personnes dans les services de soins critiques a été dépassé en ce début de semaine. Partout, en outre, l’épuisement des soignants est signalé par les représentants des personnels comme un signal d’alerte à prendre en compte. On relève par ailleurs qu’en Bourgogne Franche Comté et en Provence Alpes-Côte d’Azur, le taux d’occupation des services de soins critiques par des patients atteints de Covid dépasse les 80 %, soit un niveau d’alerte mis en avant en octobre pour justifier des mesures de confinement. En Ile de France, où le taux d’occupation est de 53,7 %, l’Assistance publique des hôpitaux de Paris a appelé hier à un confinement « le plus vite possible » notant que « l’histoire est en train de se répéter ». Parallèlement, le taux d’incidence national est également élevé (210 pour 100 000 habitants) à un niveau considéré comme critique avant la fermeture de novembre. Cependant, aucune flambée n’est observée concernant le nombre de nouveaux cas, qui paraît même être stable en ce début de semaine par rapport à la période précédente.

En octobre, de tels chiffres auraient justifié un nouveau confinement

Si l’on s’en tient aux critères présentés cet automne et qui avaient décidé les pouvoirs publics à prendre différentes mesures (jusqu’au confinement fin octobre) : le taux d’incidence dépassant 200 pour 100 000 (mais pas 250 qui était le niveau d’alerte maximum) et les niveaux d’occupation en réanimation flirtant avec les 60 %, un précautionnisme ne peut pas être reproché aux médecins qui aspirent à des restrictions plus dures. Les indicateurs sont en effet suffisamment mauvais pour justifier ces recommandations fortes. Cependant, et c’est probablement un des torts majeur de l’exécutif, les indicateurs utilisés par le gouvernement pour décider de telle ou telle mesure n’ont jamais été parfaitement lisibles et les changements opérés n’ont jamais été clairement expliqués et justifiés. Ils sont modifiés au grès des rebonds et sont donc difficilement opposables, ce qui nécessairement favorise la confusion, voire la colère.

Gare aux modélisations apocalyptiques

Puisque les chiffres sont constamment remis en question et puisque même s’ils sont en légère hausse le nombre de décès et de personnes en réanimation ne dessinent pas le portrait d’un pays dans une situation catastrophique (ce qui était le cas quand la Grande-Bretagne a décidé d’un nouveau confinement il y a quelques semaines), les spécialistes mettent en avant les modélisations qui annoncent un déferlement du variant B.1.1.7. Ce type d’arguments serait contesté par l’Elysée qui déplore la trop grande importance accordée par certains aux projections apocalyptiques. D’autres, tel le docteur Martin Blachier (qui connaît par expérience la fragilité des projections) rappelle que les estimations de l’INSERM ne sont que des estimations qui reposent elles-mêmes sur des projections non consolidées de la London School of Hygiene concernant la plus grande contagiosité du variant dit « britannique ». Il notait lundi, invité de RMC, que pour décider de mesures aussi violentes et attentatoires aux libertés, des justifications plus robustes sont indispensables. Beaucoup dans son sillage font remarquer qu’il existera toujours un variant menaçant pouvant légitimer de préconiser des mesures strictes préventives, mais que la défense des libertés et de la vie sociale et économique ne peut se satisfaire d’un tel poids du principe de précaution. Le caractère si souvent trop catastrophiste des différentes projections invite de fait à une certaine prudence et de bien mesurer le rapport bénéfice/risques du confinement.

Une position confortable ?

Les défenseurs d’un confinement préventif soutiennent que des mesures rapides et anticipées seront probablement plus courtes qu’un confinement un peu retardé ; notamment parce que la décrue sera nécessairement plus longue si les fermetures interviennent à un moment où le nombre de personnes dans les services de réanimation est plus élevé. S’ils assurent qu’ils sont conscients des conséquences fortes d’un confinement et qu’ils veulent donc éviter qu’il soit trop prolongé, leur position risque peu d’être démentie par les faits. Car, soit l’épidémie régresse rapidement avec le confinement et ils seront confortés dans la pertinence de leur choix, soit elle s’affole et ils pourront déplorer ne pas avoir été entendus suffisamment tôt.

Soutien indéfectible des sociétés françaises de pédiatrie

Dans ces discussions, l’un des points d’achoppement majeur entre les tenants de mesures strictes immédiates et ceux qui préconisent un attentisme et/ou des dispositions plus modérées concerne la fermeture des écoles. Jean Castex a répété depuis le début de la semaine que la France mettrait un point d’honneur à éviter le plus possible une nouvelle interruption de la vie scolaire, y voyant la « french touch » de l’épidémie. Cependant, pour de nombreux praticiens, en limitant considérablement les déplacements d’adultes, d’adolescents et d’enfants et les différents contacts, la fermeture des écoles est un levier d’action indéniable. Mais encore et toujours, le gouvernement bénéficie du soutien des sociétés françaises de pédiatrie. Dans un avis commun publié hier, elles développent une nouvelle fois différents arguments contre la fermeture des écoles : « En Suède où les crèches et les écoles sont restées ouvertes sans port du masque, on observe que les enseignants d'enfant âgés de 7-16 ans avaient deux fois moins de risque de COVID 19 que les adultes exerçant d'autres métiers (…). Les données du Ministère français de l’Éducation nationale confirment la très faible contamination des enseignants (0,09 à 0,18%) (…). En France, depuis plusieurs mois, différentes équipes ont montré que le taux de positivité des enfants hospitalisés et systématiquement testés était très bas » mettent notamment en avant les pédiatres. Ce type de données est cependant critiqué par ceux qui dénoncent des blocages de l’Éducation nationale pour traquer efficacement les chaînes de contamination. Cependant, les pédiatres concluent : « L’ensemble de la communauté pédiatrique prône la plus grande vigilance à ce stade de la pandémie et se tient prêt à s’impliquer dans une politique de dépistage intensifiée et coordonnée afin de produire en temps réel des données pédiatriques de qualité sur lesquelles les autorités pourraient s’appuyer pour des décisions basées sur les preuves. La balance bénéfice-risque apparait à ce jour très en faveur du maintien de l’ouverture des écoles et des collectivités pour les enfants dont la santé mentale et sociale ne doit pas être sacrifiée en contexte pandémique mais rester une priorité sanitaire au regard des enjeux pour les années à venir. Nous avons le devoir de protéger la santé globale des plus jeunes ».

Une défiance généralisée

Face à ces divergences de position au sein même du corps médical, l’autre équation à gérer pour les pouvoirs publics est celle de l’acceptabilité des mesures. Différents signes suggèrent qu’elle pourrait être bien moins importante qu’en mars et au printemps, tandis que la crainte de voir les émeutes actuelles des Pays-Bas contaminer la France n’est pas négligeable.

Néanmoins, pas sûr que l’attentisme et l’incertitude, mettant les nerfs des Français à rude épreuve, soient nécessairement plus propices à une adhésion de la population. Alors qu’en novembre et décembre, la confiance des Français dans le gouvernement pour gérer la crise avait miraculeusement progressé, elle est aujourd’hui à un des niveaux le plus bas depuis l’émergence de SARS-CoV-2 : 69 % des Français considèrent le gouvernement incapable de répondre à la situation sanitaire.

Aurélie Haroche

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Vos réactions (3)

  • Il faut choisir entre santé et economie ...

    Le 29 janvier 2021

    ... sauf que sans la santé, y'a plus d’économie, c'est ce que sont en train de découvrir les comptables ENARques qui ont massacré le système de santé français depuis une génération en l'assimilant à une "dépense" bien ennuyeuse, alors que c'est un "investissement". Des gros nuls qui ne voient pas plus loin que leur clôture budgetaire de fin d'année, selon le court termisme le plus borné qui soit. Mais rassurez-vous : ils resteront en place, et continueront de sévir : la France s'est mise entre leurs mains, les "politiques" en tête.

    Dr Pierre Baque

  • Coronaday

    Le 31 janvier 2021

    Si la majorité des français avaient un minimum de conscience ils éviteraient de s’entasser par milliers dans les hypermarchés un samedi de soldes. Après les « alarmistes » voudraient fermer les écoles alors qu’il est tout aussi vital de les maintenir ouvertes! Quand on voit les conséquences secondaires économiques et sociales (un homme abat trois personnes dont une salarié de pôle emploi, une DRH) je comprends la prudence de ce gouvernement.

    Anna Cannavacciuolo (IDE)

  • Augmenter les capacités d'accueil à l'hôpital

    Le 31 janvier 2021

    Le confinement n'a pratiquement aucune efficacité pour stopper l'épidémie comme le prouvent les résultats de pays n'ayant pas confiné. S'il y a des malades à traiter et à hospitaliser, il faut augmenter les capacités d'accueil. Il paraît qu'on devait doubler les lits de réanimation mais rien n'a été fait depuis un an ! En fait le confinement ne sert qu'à masquer les errements de la politique de santé publique depuis des années. Maintenant, quand on dit ça, on risque d'être poursuivi par l'Ordre des Médecins... La population voit bien que toute cette diarrhée de communication ne débouche sur rien d'autre qu'une incroyable atteinte aux libertés individuelles des plus jeunes qui sont les vrais victimes de cette crise.

    Dr Franck Boutault

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