Une épidémie pas si grave… même pour les plus fragiles ?
Paris, le samedi 13 février 2021 – Quand, au tout début du
mois de mars de l’année dernière, les visites dans les
Établissements hébergeant des personnes âgées dépendantes (EHPAD)
ont été totalement suspendues, certains aides-soignants et
infirmiers y exerçant savaient. Ils savaient que pour beaucoup de
résidents, cette interdiction ne changerait rien ou presque. Pour
ces aïeuls qui ne sont pas si rares, les contacts se limitent à
quelques coups de téléphone épars et une visite rapide une à deux
fois dans l’année.
Pas un calendrier qui puisse être profondément bouleversé par
une mesure sanitaire.
Le sens de la famille
Caricature nous dira-t-on ? Probablement. Cependant, la
structuration des liens familiaux pourrait ne pas être totalement
sans impact sur les variations de mortalité observées en fonction
des pays. C’est ce que suggère le démographe Hervé LeBras dans une
analyse publiée cette semaine dans Le Monde. Il constate tout
d’abord que « Selon Santé publique France (…) 59 % des personnes
décédées pour cause de Covid-19 étaient âgées de plus de 80 ans
(…). Ces chiffres ne prennent cependant de la valeur que lorsqu’on
les compare à d’autres données. Prenons par exemple ce pourcentage
de 59 % et comparons-le à celui de la mortalité habituelle. (…) En
2018, dernière année disponible, 61 % d’entre eux provenaient de
personnes de plus de 80 ans, soit, à 2 % près, la proportion des
personnes âgées parmi les décédés du Covid-19 qui vient d’être
citée. Le Covid-19 ne discrimine donc pas plus les personnes âgées
que ne le font les causes habituelles de mortalité en son
absence ». Or, cette situation est loin d’avoir été partout
semblable ». Ainsi, le démographe poursuit : « En Allemagne, en
Suisse, en Autriche, en Suède, au Danemark et aux Pays-Bas, la
proportion de personnes âgées de plus de 80 ans décédées du
Covid-19 excède de plus de dix points celle des décès de cette même
classe d’âge en période hors épidémie. Inversement, en Italie, en
Espagne, au Royaume-Uni, les deux proportions sont voisines, à
l’instar de la France ». Comment expliquer ces différences ? La
diversité des mesures mises en place ne paraît guère permettre une
explication logique simple. Hervé LeBras invite donc plutôt, comme
souvent, à s’intéresser aux structurations familiales. « Les
pays où les personnes âgées ont été plus atteintes que d’habitude
ont en commun des rapports familiaux plus fréquents entre
générations. L’Allemagne, la Suisse, l’Autriche, la Suède, le
Danemark et les Pays-Bas sont caractérisés par la « famille souche
» où trois générations cohabitaient autrefois. Dans les pays où la
mortalité des personnes âgées est demeurée à sa proportion
habituelle, les rapports familiaux se concentrent
traditionnellement au sein des familles « nucléaires » limitées à
une ou deux générations. Or, la propagation de l’épidémie est
fonction de la fréquence des contacts interpersonnels, en
particulier entre générations » éclaire-t-il.
Le confinement, un prolongement d’une vie marquée par
l’exclusion
Faut-il croire que le confinement des plus âgés, des plus
fragiles a été plus facile dans nos pays latins parce que nous
avions déjà pris l’habitude de nous en détacher (mais que
parallèlement une certaine indolence a limité l’efficacité des
autres mesures expliquant que globalement nos résultats ne
diffèrent pas de ceux de l’Allemagne, la Suisse ou la Suède) ? En
tout état de cause, quand reviennent les préconisations de limiter
les mesures de confinement aux plus vulnérables, certains font
remarquer que cette exclusion supplémentaire que certains affirment
recommander de façon pragmatique (« nous allons tous mourir et
cette maladie touche les plus faible ») voire magnanime (« c’est
pour que les jeunes puissent continuer à vivre et que les plus
vulnérables se protègent ») est déjà à l’œuvre. C’est ce
qu’écrit Marie, psychologue de 47 ans, atteinte d’une pathologie à
risque face à la Covid et à laquelle le docteur Christian Lehmann
ouvre sa tribune de Libération : « Je suis une des 20
millions de personnes vulnérables au coronavirus. La réalité de ma
vie, ça n’a jamais été les sorties en boîtes, les vacances sac au
dos. La réalité des malades, quel que soit leur âge, est toute
autre. Entre hospitalisations, ruptures scolaires et difficultés
d’intégration sociale. Sans parler du rejet. Car nous n’avons pas
attendu cette crise pour être constamment confrontés au regard des
autres et à celui de la société. Du refus des assurances à garantir
un prêt, jusqu’à une fin de non-recevoir pour un emploi… sauf à
mentir sur son état de santé (…). Isoler les plus vulnérables
semble pour beaucoup la solution pour pouvoir retrouver une vie
normale. Cette négation de notre souffrance, de notre abandon déjà
difficile à vivre auparavant est devenue un véritable enfer. Cette
laideur larvée de la société s’étale maintenant au grand jour dans
la plus grande indécence : “Ils ont vécu assez longtemps”, “Seuls
les plus forts peuvent survivre”, “Tous ces fragiles nous empêchent
de retrouver une vie normale”… et j’en passe, jusqu’à l’acceptation
de la mort sur laquelle nous devrions réfléchir sérieusement »
écrit-elle.
L’eugénisme et l’humanisme
En filigrane, derrière ce récit, une critique très forte des «
intellectuels » glosant sur la « mort des autres »
pour reprendre les mots de Christian Lehmann (mais aussi du Dr
Gilbert Deray sur Twitter) et la confrontation entre deux visions
de la société. La première est jugée égoïste et « eugéniste » :
c’est ainsi qu’est qualifiée par le docteur Lehmann la tribune de
notre lecteur le docteur Rimbaud publiée la semaine dernière.
L’autre est on le devine bien plus humaniste et collectiviste. «
Cette crise aura mis à jour un clivage que nous n’imaginions pas
si grand entre le monde des bien-portants et les autres. Et
pourtant, nous sommes aussi le vieillard que vous deviendrez, le
cancéreux que vous pourriez devenir, le handicapé que votre sœur ou
votre enfant sera peut-être un jour » écrit ainsi Marie.
La Covid-19 tue principalement les plus faibles… mais ne tue
pas beaucoup les plus faibles
Ces critiques ne peuvent que résonner et inciter à retrouver
le chemin d’une logique où personne n’est laissé sur le bord du
chemin. Aussi, faisons le pari merveilleux de sauver toute
l’humanité, et ce qui est encore plus beau malgré elle et malgré
l’inéluctabilité de la mort. Mais comment puisque les confinements
successifs n’ont jamais permis de venir à bout de SARS-CoV-2 et de
ses variants ? Pour le professeur Gilbert Deray et d’autres
spécialistes la solution existe : celle du Zéro Covid, inspirée de
certains pays asiatiques et de l’Australie qu’il prône
régulièrement sur son fil Twitter. Cependant, compte tenu du niveau
actuel des contaminations, une telle approche suppose d’une part un
confinement extrêmement strict (plus encore qu’au printemps dernier
et donc avec un impact majeur sur les libertés individuelles) et
pendant un temps non négligeable, même si Gilbert Deray affirme que
cette solution pourrait être finalement plus rapide que le «
stop and go » actuel. Pour qu’une telle mesure soit décidée,
l’appréciation de sa proportionnalité, pour reprendre l’analyse du
professeur Emmanuel Hirsch est sans doute nécessaire.
Or, l’épidémie est-elle si grave ? Est-elle-même si grave pour
les plus fragiles d’entre nous, les plus vulnérables que certains,
nous assure-t-on, seraient prêts à voir sacrifier en l’échange de
menus plaisirs. Hervé LeBras invite à relativiser : « On en
déduit souvent que l’espérance de vie va chuter dans une proportion
analogue à celle de la hausse de la mortalité. Ce n’est pas le cas.
En 2020, les 7,3 % de décès supplémentaires ont entraîné seulement
une baisse de 0,55 an, soit six mois et demi. Ce sera le recul le
plus important depuis la Libération, mais un recul modeste quand on
le compare aux vingt ans d’augmentation de l’espérance de vie
depuis 1946. Comment 7,3 % de décès supplémentaires entraînent-ils
seulement 0,7 % de baisse de l’espérance de vie (0,55 an sur 82,5
ans) ? Cela est dû au niveau élevé des risques annuels de décès des
personnes âgées auxquelles il reste donc peu d’années à vivre. A 15
ans, le risque annuel de mortalité est de un pour 10 000. A 88 ans,
il est de un pour dix, soit mille fois plus. A partir de l’âge de
50 ans, la hausse du risque annuel de décès est rapide et
régulière, au rythme d’un accroissement de 12 % d’un âge au
suivant. Les 7,3 % d’augmentation des décès en 2020 ne représentent
donc que 60 % (12 % divisé par 7,3 %) de l’accroissement des
risques de décès d’un âge au suivant. Autrement dit, la conséquence
de l’épidémie de Covid-19 aura été de décaler de 0,6 année vers les
âges plus jeunes les risques de décès, donc de faire perdre 0,6
année à l’espérance de vie. Par exemple, le risque de décès d’une
personne âgée de 75 ans est devenu le même que celui d’une personne
de 75,6 ans quand le Covid-19 ne sévissait pas. Il est douteux que
ce changement soit perceptible, étant donné toutes les autres
causes de variation de la mortalité, que ce soit la condition
physique, l’environnement, la classe sociale et, il ne faut pas
l’oublier, le sexe (…). Jusqu’ici, on a raisonné en moyenne sans
tenir compte de l’observation de l’Insee (…) selon laquelle
l’augmentation de la mortalité de 16 % en moyenne s’est élevée à 19
% au-delà de 75 ans (elle a été de 13 % entre 65 et 74 ans et
faible en deçà). Dans le détail, cela signifie que les risques de
mortalité ont à peine varié jusqu’à 65 ans. De 65 à 74 ans, au lieu
de 0,6 an de décalage, il faut en compter les 13/16es, soit 0,5 an
et, après 75 ans, les 19/16es, soit 0,7 an. Le risque de décès
couru par une personne de 82 ans l’an passé a donc été le même que
celui d’une personne de 82,7 ans en l’absence de l’épidémie de
Covid-19, ce qui ne modifie pas les ordres de grandeur déjà
fournis. Ces calculs nuancent la gravité de l’épidémie. Ils
aboutissent à un paradoxe : la crainte engendrée par le virus
semble en relation inverse de sa létalité. Mais on sait que plus un
risque est faible, plus il peut faire peur car plus il semble
injuste à celui qui est frappé alors que presque tous les autres en
sortent indemnes. C’est l’une des raisons de la vogue du principe
de précaution » conclut-il. On peut encore rappeler que même
pour les personnes à risque et les plus âgés, dans la majorité des
cas, la Covid n’entraîne pas la mort et pas même systématiquement
une forme grave.
Même pour les plus vulnérables, le temps perdu ne se rattrape
guère…
Vous avez l’impression d’avoir déjà lu cent fois ces infinis débats
et de mesurer une fois encore l’impossibilité de réconcilier des
positions, qui sous couvert d’émotion pour les uns et de
rationalité pour les autres, ne sont finalement que la
confrontation de présupposés idéologiques très marqués ? Cependant,
tandis que passent les mois, une perspective historique peut
commencer à se dessiner. Comment regarderons-nous dans vingt ans,
dans cinquante ans, dans cent ans cette épidémie ? Les erreurs de
gestion, de communication auront été oubliées, voire même peut-être
les noms de ceux qui les ont commises mais demeurera un ersatz de
leçon. L’épidémie de Covid-19 restera-t-elle dans l’histoire comme
le début d’une nouvelle ère, voyant triompher le principe de
précaution ? Ou se souviendra-t-on d’elle comme d’un temps héroïque
où enfin il a été possible de triompher des basses considérations
économiques pour mesurer que la vie des plus fragiles nécessite un
engagement de l’ensemble de la société ? Ou encore sera-t-elle
observée comme une bizarrerie, comme la victoire incongrue de la
peur face à une menace dont l’impact démographique apparaîtra
restreint. Le professeur Michaël Peyrommaure est pour sa part
convaincu que l’histoire regardera cette période comme celle d’un
moment de « folie collective ». Et à l’échelon individuel,
les plus vulnérables d’entre nous : regretteront-ils d’avoir eux
aussi cédé parfois de façon excessive à la peur, en se confinant
drastiquement, se privant de toutes les joies, alors que même pour
eux les risques n’étaient pas toujours explosifs et qu’en tout cas
d’autres menaces (accidents, cancers, aggravation de leur
pathologie et autres vicissitudes de la vie…) planaient, risquant
d’abréger une vie mise entre parenthèse bien que pour tous,
chanceux ou moins chanceux, vieux ou moins vieux, le temps perdu ne
se rattrape guère.
Bien que ces textes n’offrent sans doute pas de réponses à ces
questions cycliques, on relira :
Si on part du mauvais sens, on ne peut pas arriver au bon but
Le 13 février 2021
Je cite. Et simplement, je demande à l'auteur de relire ce qu'il écrit en mélangeant carotte et navet comme base de départ à sa réflexion: que je n'ai donc pas lue.
"La DGS dit "59 % des personnes décédées pour cause de Covid-19 étaient âgées de plus de 80 ans"
Le Monde dit " Ces chiffres ne prennent cependant de la valeur que lorsqu’on les compare à d’autres données. Prenons par exemple ce pourcentage de 59 % et comparons-le à celui de la mortalité habituelle. (…) En 2018, dernière année disponible, 61 % d’entre eux provenaient de personnes de plus de 80 ans, soit, à 2 % près, la proportion des personnes âgées parmi les décédés du Covid-19 qui vient d’être citée. Le Covid-19 ne discrimine donc pas plus les personnes âgées que ne le font les causes habituelles de mortalité en son absence »".
Je précise: il faut comparer 2018 et 2020, une année sans covid, et une année avec covid et compter la mortalité des plus de 80 ans. Si c'est le même pourcentage, le covid est anodin. Sinon, le Covid tue plus les personnes de plus de 80 ans. Le Monde aurait du se poser la question de savoir pourquoi il y a autant de personnes qui ont conseillé de vacciner les résidents en EHPAD en premier... Ce qui voudrait dire qu'il n'y a que Le Monde qui est sensé. Et pas les décideurs.
Le Monde, en écoutant ce que disent les infirmières des EHPAD, au tout début de l'article, aurait pourtant dû tilter en se demandant qui peut bien contaminer les résidents en EHPAD, et se demander aussi, si les familles peuvent accepter qu'un contaminant possible puisse ne pas être vacciné. Je ne parle pas d'obligation. Je parle simplement de venir en EHPAD en étant un contaminant possible.
Dr Gilles Menu
Le remède pire que le mal ?
Le 13 février 2021
Je remercie très sincèrement l'auteure d'avoir osé écrire ce type d'article, bien entendu très iconoclaste dans le contexte actuel. J'avoue que j'adhère à cette pensée depuis le début, mais qu'il est extrêmement compliqué de s'exprimer dans le contexte actuel. Je crains fort que le remède employé depuis le départ, avec tous ses effets secondaires très délétères, devienne pire que le mal.
Comme souvent en pareil cas, l'avenir nous dira qui avait raison, mais vraisemblablement cette remise en question ne pourra être faite que dans quelques dizaines d'années lorsque nous n'aurons plus les yeux le nez dans le guidon.
Dr Alain Guinamard
Confinement pour les vieux et fragiles
Le 13 février 2021
Une loi obligeant à un confinement strict uniquement les "vieux" et "fragiles" réaliserait une rupture d'égalité et serait donc anti constitutionnel, d'autant que ces personnes ne présentent pas de risque de contamination particulier pour les autres. IL conviendrait donc de l'assortir de deux mesures :
1- La possibilité d'y déroger en signant une attestation de refus de soins en cas de covid19, déchargeant la société de toute responsabilité.
2- La perte (très éventuelle) de 6 mois de vie remplacée par plusieurs de prison (ferme) devrait être assortie d'un droit permanent à bénéficier d'une euthanasie dans le cadre de l'application de cette loi. Il serait intéressant ensuite d'évaluer le nombre de ceux préférant signer "une décharge" en assumant eux même leur choix de vie, celui ci n'appartenant (pas encore ) à l'état.