Quand le ministre de l’Education nationale rate son diplôme d’épidémiologiste

Paris, le mardi 23 mars 2021 – Dans le monde d’avant, pour mettre les ministres de l’Education nationale en difficulté, on les plaçait devant un tableau noir et on les soumettait à un exercice de calcul de cours élémentaire moyen. Régulièrement, le résultat était saisissant : le ministre en question frôlant le bonnet d’âne. Dans le monde d’après, les modalités de l’exercice pourraient changer. L’épreuve sera celle d’apporter la bonne définition au taux d’incidence et au taux de positivité.

Pas très raisonnable

Ce week-end, le ministre de l’Education nationale, Jean-Michel Blanquer, malgré plusieurs mois de révision, a révélé de sérieuses lacunes. Interrogé sur le sujet deux jours de suite sur RMC et sur LCI, le ministre a en effet laissé redouter qu’il ne maîtrisait pas la différence entre taux d’incidence et taux de positivité. Ce qu’il a lui-même fini par confirmer en faisant cette démonstration. « Le taux d'incidence, c'est le nombre de personnes positives sur le nombre de personnes testées. Il y en a un pour la population française, il y en a un pour la population scolaire. Il faut être très prudents quand on parle de ces chiffres puisqu'en gros, il s'agit du nombre de gens positifs quand on est testé, donc il faut voir qui est testé », a-t-il doctement expliqué à Amélie Carrouër sur LCI. Doctement, mais, comme tous les Français le savent désormais parfaitement, trompeusement. Dès lors, difficile de prêter foi aux chiffres présentés par Jean-Michel Blanquer indiquant que le taux d’incidence dans les écoles varierait entre 0,35 et 0,5 % chaque semaine « C’est un chiffre que je qualifierais de raisonnable, en-dessous de ce qu’on trouve dans la population générale ». Non seulement, le chiffre n’est pas « raisonnable » (puisque comme le lui avait fait remarquer la veille sur RMC Jean-Jacques Bourdin, « cela fait 500 élèves contaminés pour 100 000, soit au-dessus du taux d’incidence national »), mais il est inexact. Hier, le ministère de l’éducation nationale a bien confirmé, rectifiant la copie du ministre, que ces chiffres de 0,35 à 0,5 % correspondaient bien à un taux de positivité des tests (taux de positivité incomparable avec celui obtenu en population générale, puisque les indications et circonstances des dépistages sont très différentes).

Pas une variable d’ajustement

L’affaire ne serait qu’un nouveau témoignage anecdotique des faiblesses de nos ministres si elle ne s’ancrait pas dans un contexte où la fermeture des écoles pour freiner la circulation du virus reste en débat. Sur cette question, la position de Jean-Michel Blanquer est idéologiquement parfaitement défendable. Face aux discours qui semblent banaliser la suspension des activités scolaires, alors même que pour les enfants le risque lié à la Covid est extrêmement faible, il rappelle avec fermeté « Le maintien des écoles ouvertes est un objectif humain fondamental ! L’école n’est pas une variable d’ajustement mais un enjeu vital pour tous les enfants ». Le hic, c’est qu’au-delà de cette position de principe, Jean-Michel Blanquer a pêché à plusieurs reprises pour donner les gages d’une surveillance maîtrisée de l’épidémie en milieu scolaire.

Un enfant de CP n’a rien avoir avec un lycéen de terminale

Ainsi, l’exemple que nous venons d’évoquer concernant la confusion apparemment non intentionnelle entre taux d’incidence et taux de positivité des tests cache d’autres approximations qui pour leur part pourraient être moins innocentes. En effet, ce qu’omet le plus souvent de préciser Jean-Michel Blanquer, c’est que ce taux de positivité de 0,35 à 0,5 % ne concerne que les tests salivaires réalisés chez les enfants des écoles primaires. La situation est très différente chez les collégiens et les lycéens, où l’adhésion aux opérations de dépistage (par tests antigéniques nasopharyngés) est bien plus faible (entre 20 à 30 % contre 80 % à l’école élémentaire). Or, si les études semblent de plus en plus converger pour confirmer que les écoles ne sont pas « des amplificateurs de transmission » pour reprendre l’expression du Conseil scientifique (y compris de récents travaux résumés hier dans nos colonnes), la situation est différente dans les collèges et encore plus dans les lycées. Ainsi, l’étude Comcor, dirigée par le professeur Arnaud Fontanet retrouve qu’avoir « un collégien ou un lycéen chez soi accroît de 30 % le risque d'être infecté ».

Des expériences étrangères contradictoires

Sur la base d’un tel résultat, Arnaud Fontanet (membre du Conseil scientifique) estime que devrait être repensée la question de la division des effectifs également dans les collèges. Sa position concernant la fermeture des écoles est loin d’être catégorique. Ainsi, s’il estime sur BFMTV que « les écoles sont le dernier endroit à fermer » il note néanmoins que les pays qui aujourd’hui semblent connaître une véritable embellie (Royaume-Uni, Irlande et Portugal) ont fermé leurs établissements. Cependant, le Royaume-Uni et l’Irlande connaissent également des taux élevés de vaccination. Par ailleurs, l’Allemagne et la République Tchèque malgré des fermetures prolongées du système scolaire, sont frappées aujourd’hui par des incidences en hausse.

Pas de tests aléatoires en population générale en France

Si on le voit les limites des exemples étrangers et des preuves scientifiques pourraient conforter Jean-Michel Blanquer dans sa position, les failles de son discours concernant la surveillance de l’épidémie dans les écoles en affaiblissent la vigueur. Il faut dire qu’encore une fois la France ne semble pas s’être donné tous les moyens pour réaliser ses ambitions. Ainsi, Jean-Michel Blanquer a voulu comparer sur LCI : « Dans la population scolaire, il y a un peu moins de contaminations qu’en population générale. Les tests aléatoires en population générale, que ce soit en France ou dans d’autres pays comme l’Angleterre révèlent un taux de positivité de 1 % à 2 % ». En réalité, les tests aléatoires, qui sont effectivement hebdomadairement pratiqués en Grande-Bretagne présentent actuellement des taux de positivité de 0,3 %, tandis qu’en France... il n’y a jamais eu d’opérations de ce type systématiquement mises en œuvre pour disposer d’une photographie régulière de l’épidémie en population générale.

Talon d’Achille

Les chiffres dont on dispose sont donc parcellaires. Le 19 mars, 15 848 élèves avaient été testés positifs au cours des sept derniers jours et 1 809 membres du personnel, soit une incidence de 130/100 000 chez les élèves et 160/100 000 chez les enseignants calcule Le Monde, ce qui correspond à une incidence moins élevée qu’en population générale. Enfin, 2000 classes sont actuellement fermées, un chiffre en progression faible mais constante. « L’école est le talon d'Achille assumé du dispositif actuel » commente dans le JDD Arnaud Fontanet.

D’un point de vue épidémiologique, l’affirmation pourrait être discutée, en ce qui concerne la surveillance sanitaire, probablement moins.

A.H.

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Vos réactions (2)

  • Avez-vous la même expérience ?

    Le 24 mars 2021

    J'ai connaissance de crèches dont les enfants semblent avoir contaminé simultanément plusieurs jeunes couples de parents ces dernières semaines.

    Dr Pierre Rimbaud

  • Qui contamine qui ?

    Le 28 mars 2021

    La vérité, c'est que l'on ne sait toujours rien ou presque des contaminations :
    Vu le taux considérable d'asymptomatiques chez les jeunes et l'inconnue du temps de portage / contagiosité : il est presque toujours en réalité impossible de savoir qui à contaminé qui :
    on peut très bien sans aucun signe contaminer un proche qui lui a des signes, et se faire ensuite dépister comme cas contact, et en déduire avec la plus grande bonne foi qu'il vous a contaminé.

    Et pour en rajouter dans le sens de cet article : N NOUVEAUX cas sur 100 000 et par unité de temps : ici la semaine, c'est de l'incidence. On a choisi la semaine comme unité pour effacer les variations entre jours (mardi et dimanche: pas le même nombre de test), en supposant qu'il fallait un certain délai entre contamination et positivité du test, et en considérant que les nouveaux positifs ont été contaminés la semaine précédente : ce dernier point est loin d'être certain.

    Encore pire, on oublie de prendre en compte le fait que les tests ne sont pas au hasard: le taux de positivité des tests n'est certainement pas le même entre un test réalisé pour signes cliniques évocateurs, cas contact, ou systématique avant un voyage ou une réunion.

    Ce biais majeur fait que les taux d'incidences sont donc largement sur évalués. Ils sont probablement plus proche du résultat observés dans les écoles, soit 2 à 3 fois moins que les valeurs annoncées.

    Dr JR Werther

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