
Quand les antivaccins prennent tout l’espace
Ceci étant dit, force est de constater que ce mouvement idéalisé composé de personnes modérées et responsables (et donc vaccinées) mais plutôt hostiles à la méthode employée pour « imposer » la vaccination (le passe sanitaire) n’existe pas ou peu. En tout cas, on ne le voit pas. Comme le remarquait récemment le professeur de sociologie, Michel Wieviorka sur France Inter, les contestataires qui défilent tous les samedis constituent « un mouvement qui, très paradoxalement, a besoin des anti vaccination purs et durs, tout en n'étant pas réductible, loin de là, à la contestation du principe de la vaccination en général ou de cette vaccination. Autrement dit, peut-être que les anti vaccination ne sont pas si nombreux dans les cortèges, mais sans eux, ce mouvement retomberait très vite ». Et en effet, on ne voit qu’eux, les fameux anti vaccins.Des inquiets aux irréductibles
Leur pouvoir de nuisance faisait très peur à la fin de 2020. A tel point que le gouvernement semblait avoir initialement construit sa campagne en fonction d’eux. Mais on s’était beaucoup exagéré leur importance. Il est rapidement apparu que la majorité d’anti vaccins que croyaient deviner les sondages était en réalité une majorité d’inquiets, qui constatant rapidement l’innocuité des vaccins administrés en masse à travers le monde ont bientôt été nombreux à vouloir à leur tour être protégés, et plus vite que ne le permettait la campagne française. Demeure cependant aujourd’hui une minorité d’irréductibles : les véritables antivaccins, qui concentrent leur discours sur les vaccins à ARNm et leur mode d’action inédit, mais sont également généralement hostiles au principe même de la vaccination. Ils ne font plus seulement peur (parce qu’ils empêcheraient la fameuse immunité collective, du reste de plus en plus hypothétique), mais ils dérangent.Se moquer
Cette semaine, la diffusion des vidéos des manifestants pénétrant dans l’hôpital de Pau et répétant des messages parfois peu cohérents sur les pseudo dangers de la vaccination contre la Covid a sidéré un grand nombre de médecins. Le journaliste et médecin Jean-Daniel Flaysakier n’a ainsi pas caché son effarement : « Je veux bien qu’on me parle de condescendance et de mépris de classe, mais quand on regarde la vidéo de ce troupeau de paumés qui envahissent un hosto, j’en ai ma dose. Et les voir régurgiter des éléments de langage auxquels ils ne comprennent rien, c’est pitoyable. Alors : Stop » a-t-il publié sur Twitter. Le commentaire est révélateur d’une forme de renoncement. Renoncement à essayer de faire entendre raison, de convaincre, d’expliquer. On le retrouve, comme assumé, dans l’interview accordée par le philosophe Raphaël Enthoven à l’Express : « Le vaccin de la rationalité est sans effet sur les gens qui veulent voir ce qu'ils croient. Reste la dérision. On ne peut pas les convaincre, mais on peut se moquer d'eux, et on doit le faire en ce moment, car ces gens-là ne sont pas seulement fous, ils sont dangereux. Ils sont toxiques ».Déficit d’acculturation scientifique
Bien sûr (et on suppose cependant que ni Jean-Daniel Flaysakier, ni Raphaël Enthoven n’ont abandonné leur passion pédagogique), beaucoup ne renoncent pas. Ils tentent de chercher des causes. Dans le Monde, cette semaine, Katia Andreetti, anthropologue et Philippe Berta député du Gard (MoDem) évoquaient un « déficit d’acculturation scientifique majeur » de notre société. Dans le JIM, nous avons souvent évoqué ce défaut de culture scientifique. « Domaines privilégiés d’une élite, adressés à un public averti il y a encore peu de temps, les sciences doivent être repensées dans une perspective prospective, pédagogique et démocratique » écrivent les deux auteurs, qui insistent encore : « La formation des esprits critiques à la rigueur des raisonnements est une réalité que nous devons faire advenir. Les sciences humaines et sociales devront y avoir toute leur place pour résorber les causes, prévenir les discriminations afin d’endiguer les phénomènes de type anti-vax et plus largement anti-science. Renouer la confiance avec le grand public est une urgence essentielle pour accompagner les progrès fulgurants de la recherche biomédicale et de ses retombées », écrivent l’anthropologue et le responsable politique.Facebook et Youtube tiraillés entre vulgarisateurs et affabulateurs
Cette entreprise pédagogique est déjà très fertile sur internet. Il existe des dizaines de sites de vulgarisation scientifique, animés par des passionnés, parfois médecins, souvent scientifiques, qui patiemment, décortiquent et expliquent la science pour qu’elle soit accessible à tous (on peut d’ailleurs regretter que ces programmes ne soient pas sponsorisés par des instances ministérielles y compris à la télévision). Mais ces derniers ne cachent pas une forme d’amertume : « On vide la mer avec une petite cuillère, c'est vrai que ça peut paraître négligeable », résume sur France Info l’une des responsables de la page Facebook « Stop à la propagande antivaccins » lancée en 2017. Être présent sur Facebook ou Youtube est essentiel pour ces chevaliers de la raison scientifique, puisque c’est également sur ces réseaux que les anti-vax se nourrissent aujourd’hui quasiment exclusivement, qu’ils échangent des « données », des « chiffres », leur donnant le sentiment d’ancrer leur réflexion sur de véritables « bases scientifiques ». Bien sûr, Facebook et Youtube promettent qu’ils veillent à limiter la propagande antivaccin. Mais, dans les faits, les signalements des algorithmes manquent parfois de subtilité. Ainsi, les sites de décryptage « Les Vaxxeuses » et « No Fake Med » ont connu plusieurs rappels à l’ordre de la part de Facebook. En cause, leur partage de « fausses informations » justement dans le but de les décrypter. « On partage des perles de mensonges sur notre page en leur ajoutant un en-tête explicatif. Mais Facebook nous accuse de faire de la désinformation : on a eu une interdiction de publication de trois jours sur la page il y a moins de deux mois », explique ainsi une des responsables des Vaxxeuses. Et que penser encore quand cette « censure » a pu concerner des informations considérées comme « complotistes » (tels les doutes sur le rôle d’un laboratoire chinois à l’origine de l’épidémie) qui quelques mois plus tard seront jugées pertinentes ? La décrédibilisation est inévitable et a forcément une influence sur les personnes anti-vax qui rejettent les discours officiels et sont à l’affut de leur moindre faille.Les gourous à l’ère de la science
En outre, faut-il vraiment considérer que soigner l’acculturation scientifique soit la clé ultime ? D’abord, sensibiliser à la science c’est rappeler qu’elle est sans cesse en construction et c’est peut-être donner à certains anti-vax, peu enclins à admettre que des erreurs et des changements sont sincèrement possibles, des arguments supplémentaires pour la remettre en cause (ce qui n’est pas « douter »). Surtout, il est remarquable de constater qu’il existe une « soif de science ». Les antivax n’ont de cesse de vouloir présenter des « chiffres », des « études » : ayant assimilé (d’une façon déformée mais tout de même) une des bases de la démarche scientifique qui est de s’appuyer sur des éléments « objectifs ». D’ailleurs, Katia Andreetti et Philippe Berta reconnaissent « un besoin de compréhension scientifique se fait ressentir chez nos concitoyens ». Aussi, on ne peut oublier que parmi les « antivax », on compte des médecins et des chercheurs. Katia Andreetti et Philippe Berta y voient le signe d’un défaut d’acculturation scientifique chez les élites elles-mêmes. « Mus par des raisons qui leur appartiennent, on a vu des politiques et des médecins parler science, la multiplication d’infox, le défilé « d’experts » sur les chaînes d’information en continu, le tout faisant perdre à la science ce qui fait son essence : son indépendance. Une belle affaire pour les complotistes, les extrémistes et les populistes », écrivent-ils. Ceci est possible, mais il est probable qu’il faille également y déceler que les positions antivaccins fonctionnent bien souvent comme une croyance, comme un phénomène sectaire (avec une science complètement déformée en toile de fond) et c’est pour cette raison qu’elles sont comme impossibles à transformer par la connaissance et la raison. Les infatigables vulgarisateurs du web l’ont d’ailleurs bien compris qui notent : « On ne s'adresse pas aux 'antivax', au noyau dur qui ne comprend pas. Nous, on s'adresse à cette frange de la population qui hésite, est un peu inquiète. Elle est gagnable, avec du temps, de la pédagogie ».Or, comme dans de nombreux systèmes de croyance, il existe des figures tutélaires, des gourous : c’est ce que deviennent les médecins et chercheurs qui participent aux mouvements antivaccins. Ils ne sont pas uniquement des « cautions », ils sont des leaders, dont chaque parole est rapportée comme une « vérité intangible » sans aucune discussion possible. Et dans ce contexte, les sanctions qui peuvent être émises par l’Ordre, les institutions hospitalières et les centres de recherche, si elles sont indispensables, ne font que renforcer la figure du gourou, ainsi auréolé d’une image de « martyre ».
La spécificité française…
S’il semble donc qu’il faille faire son deuil de la lutte contre
la poignée de vrais antivaccins (sauf conversion « miraculeuse
»), on peut peut-être s’interroger sur la raison de leur si
grand nombre en France. Mais sont-ils seulement si nombreux ? Notre
pays connaît en réalité aujourd’hui un des plus haut taux de
personnes ayant reçu une primo-injection vaccinale, devançant même
le champion israélien, et s’approchant de la Grande-Bretagne (c’est
probablement un autre mal français que de toujours se déprécier).
Cependant, il est vrai qu’un tel exploit n’a pu être obtenu
qu’après l’annonce de la mise en place d’un passe sanitaire,
suggérant que la « contrainte » est inévitable dans notre
pays. C’est sans doute une nouvelle illustration d’une longue
tradition de « contestation », qui s’observe également dans
le fait que les manifestations contre le passe sanitaire, si elles
existent partout, connaissent leur plus grande ampleur en France.
On sait par ailleurs que c’est dans notre pays que la perte de
confiance dans les institutions politiques est la plus élevée parmi
les nations démocratiques. Or, la gestion de la crise n’a pu que
renforcer cet écart. Les contre-ordres sur les masques et les tests
proférés avec la même inflexibilité, l’infantilisation, l’absence
d’humilité pour reconnaître ses erreurs ou avouer les incertitudes
n’ont pu que renforcer le creuset entre les Français et leur
gouvernement, tandis que du côté des instances scientifiques «
officielles », on retrouvait (dans une moindre mesure) les
mêmes travers. Que dire par exemple de l’Institut Pasteur qui,
imperturbable, continue à diffuser des projections qui se révèlent
systématiquement démenties, refusant d’admettre combien ces erreurs
à répétition ne peuvent qu’entacher sa crédibilité ? En tout état
de cause, l’arrogance des uns et l’inflexibilité de tous empêchent
un discours apaisé et une réception bienveillante.
… préférer la contrainte au pragmatisme
Il n’est pas impossible qu’une dose supplémentaire d’humilité aurait permis que les mêmes succès soient obtenus sans le sentiment d’être dans un climat constant d’hostilité. Cette même humilité aurait en outre peut-être conduit la France à reconnaître que les méthodes pragmatiques peuvent être parfois aussi (plus ?) efficaces que les méthodes injonctives. Ainsi, le succès de l’Espagne concernant la vaccination des plus âgés n’est probablement pas à trouver dans une proportion plus faible d’antivaccins ou dans un gouvernement moins contesté mais plus certainement dans l’attribution automatique d’un rendez-vous de vaccination. Mais renoncer à certaines de ses certitudes en matière d’organisation apparaît très difficile pour des pouvoirs publics dont l’humilité n’est décidément pas le point fort. Sur ce point, difficile de savoir si la France n’est pas aussi irrécupérable que certains antivaccins.Jean-Daniel Flaysakier : https://twitter.com/jdflaysakier/status/1427573547740848141
Raphaël Enthoven : https://www.lexpress.fr/actualite/idees-et-debats/raphael-enthoven-il-faut-se-moquer-des-antivax-car-ces-gens-la-sont-dangereux_2156626.html
Katia Andreetti et Philippe Berta : https://www.lemonde.fr/idees/article/2021/08/14/notre-societe-francaise-souffre-d-un-deficit-d-acculturation-scientifique-majeur_6091396_3232.html
France TV Info : https://www.francetvinfo.fr/sante/maladie/coronavirus/vaccin/comment-des-citoyens-luttent-contre-les-fake-news-des-antivaccins-sur-le-covid-19-on-vide-la-mer-avec-une-petite-cuillere_4700261.html
Aurélie Haroche