Jean-Michel Blanquer a-t-il déjà raté sa pré-rentrée ?

Paris, le lundi 23 août 2021 – Les grandes lignes du protocole sanitaire qui s’appliquera à la rentrée dans les écoles avaient déjà été présentées au mois de juillet. On sait qu’il s’articule autour de quatre niveaux. Le principe général est de privilégier le plus possible les cours en présentiel, même si au « niveau 3 » des « hybridations » seront possibles au lycée en fonction du contexte local et que cette hybridation s’imposera au « niveau 4 » à partir de la quatrième. Autre règle globale : les classes seront fermées dès le premier cas dépisté. Cependant, au collège et au lycée, les enfants vaccinés n’auront pas à respecter la période d’isolement de sept jours s’ils sont cas contact. Annoncée en juillet, cette disposition avait fait grincer des dents, notamment en raison de l’emploi par le ministre de l’Education nationale du terme « évincer » pour les enfants non vaccinés. Aussi, hier, dans le Journal du Dimanche, Jean-Michel Blanquer est revenu sur ce point : « Nous partons de la même règle que pour le reste de la population : une personne cas contact qui est vaccinée n'est pas soumise à une période d'isolement. Pourquoi ne pas l'appliquer également aux collégiens et lycéens? (…) [Le terme « évincé » est un terme] technique employé couramment par les autorités de santé. Mais le mot le plus adapté est "protégé" : un élève non vacciné est dans une situation plus risquée qu'un élève qui a reçu au moins une injection. Lui demander de rester chez lui en cas de contact à risque, c'est le protéger et protéger les autres. J'ajoute que, dans cette hypothèse, la continuité pédagogique s'organise ». Par ailleurs concernant le respect du secret médical, le ministre relève : « Les parents sont libres de ne pas dire si leur enfant est vacciné ou non, mais cela relève de leur responsabilité individuelle et cela déterminera la possibilité pour l'élève cas contact d'être isolé ou de continuer à fréquenter les cours. Je crois qu'il faut que tout le monde retrouve un peu de sérénité sur ces questions : autrefois, personne ne considérait la vaccination contre la rougeole comme une information sensible. Et personne ne peut présenter le vaccin comme un amoindrissement des libertés. Au contraire, il est l'ennemi du virus et nous permet donc de restaurer notre liberté ». Chez les responsables scolaires, le caractère déclaratif suscite quelques inquiétudes quant au risque de fausses affirmations, surtout si les parents redoutent de ne pouvoir garder leur enfant chez eux.

Il va y avoir du sport

Au-delà de ces règles générales, des dispositions différentes s’appliqueront en fonction des niveaux. Le port du masque, systématique en intérieur dès le niveau 1 à partir de l’école élémentaire, s’imposera ainsi également en extérieur au niveau 3, tandis que les interdictions de brassage seront de plus en plus strictes. Concernant les activités physiques et sportives, elles seront possibles en intérieur jusqu’au niveau 3, à l’exception des sports de contact dès le niveau 2, une évolution du protocole que Jean-Michel Blanquer a relevé comme une marque de son attention portée aux critiques qui lui sont faites. Dans le Monde en effet, plusieurs médecins et épidémiologistes se sont émus la semaine dernière que « le sport en intérieur, activité à haut risque de transmission, reste autorisé jusqu’au « niveau 3 » – qui correspond vraisemblablement à une circulation virale importante – et la distanciation continue d’être promue « lorsqu‘elle est matériellement possible », pendant que des pays comme l’Italie et l’Espagne réduisent les effectifs de leurs classes ».

Talon d’Achille ?

Compte tenu de ces réserves, difficile de croire que les timides avancées accordées par le ministre suffisent à rassurer. De fait, l’annonce que la rentrée se ferait au niveau 2 (sauf en Guadeloupe et en Martinique, qui pourraient connaître niveau plus élevé) a fait jaser. L’épidémiologiste Dominique Costagliola (INSERM) s’est ainsi étonné sur Twitter. « Avec ces taux d’incidence chez les 0-19 ans en PACA, la rentrée se fera au niveau 2 vraiment », présentant un tableau où l’on découvre que les taux d’incidence atteignent 312/100 000 chez les 0/9 ans et 818/100 000 entre 10 et 19 ans. De son côté, une directrice d’école en Occitanie, s’étonne dans le Parisien : « Niveau 2 pour toute la métropole alors que les taux d’incidence vont de 56 en Creuse à 680 dans les Bouches-du-Rhône ? Les quatre couleurs sont là pour faire joli, mais le ministère met en place ce qu’il a prévu ». Au-delà beaucoup déplorent qu’aucun seuil d’incidence précis ne soit donné pour conditionner le passage d’un niveau à un autre. Mais Jean-Michel Blanquer assure : « A la Réunion, nous avons pu faire la rentrée au niveau 2 et les retours sont positifs » expliquant encore : « Nous prenons en compte les indicateurs généraux de l'épidémie établis par les autorités de santé, comme le taux d'incidence ou la pression hospitalière, mais aussi des éléments propres à l'Education nationale, comme le taux de vaccination des adultes et des élèves » (même si le ministre l’a martelé le passe sanitaire ne s’imposera nullement à l’école que ce soit pour les professeurs où les enfants). Plus globalement, Jean-Michel Blanquer refuse de reconnaître la pertinence des critiques des auteurs de la tribune publiée dans le Monde, qui redoutent que l’école ne reste le « talon d’Achille » de la lutte contre l’épidémie. Face aux inquiétudes exprimées, qui se fondent notamment sur le fait qu’avec la hausse de l’incidence chez les enfants, le nombre d’hospitalisation a également augmenté chez ces derniers (« 1,2 % des 0-9 ans testés positifs ont été hospitalisés » écrivent-ils), Jean-Michel Blanquer martèle : « Tous les points de vue et toutes les contributions sont utiles et nous les prenons en compte (…). Mais nous assumons aussi de prendre nos responsabilités. Avec le même niveau d'incidence à la rentrée dernière, on déclarait l'état d'urgence sanitaire. Cette fois, nous bénéficions des effets de la vaccination. Une tribune similaire avait été publiée l'année dernière : si je l'avais écoutée, j'aurais reporté la rentrée. Et chacun peut voir aujourd'hui que ça aurait été une grave erreur. Ce texte tente de faire croire que l'école aurait été le talon d'Achille de la gestion de crise, alors qu'elle a été un point fort de la France. (…) Le virus circule dans toutes les tranches d'âge, et les enfants scolarisés n'y échappent pas. Mais il est faux de dire que le milieu scolaire serait plus propice qu'un autre à la diffusion du virus. Le bilan de l'année dernière montre que les établissements ont su faire respecter les gestes barrière et il y aura à présent des campagnes de vaccination. Les enseignants ont été une catégorie socio-professionnelle moins contaminée que les autres. Et, bien entendu, nous restons capables de faire évoluer les choses en fonction de la situation sanitaire générale ».

Le test de la réalité

Pourtant, des scientifiques et médecins demeurent inquiets. Ils déplorent ainsi un manque de volonté politique concernant le fait de doter tous les établissements de capteurs de CO2 (équipements qui relèvent encore de la responsabilité des communes). Surtout, alors même qu’il a pu exister entre les pédiatres et d’autres voix des divergences concernant par exemple la pertinence de la fermeture des écoles, tous déplorent une campagne de dépistage trop peu ambitieuse. Tout en annonçant que les conditions de la gratuité des tests pour les adolescents non vaccinés (qui en auraient besoin pour certaines sorties) feront l’objet de précisions cette semaine, Jean-Michel Blanquer signale que l’objectif de deux autotests par semaine « a été atteint pour les adultes et il a progressé chez les lycéens. Nous allons poursuivre cette politique d'autotests, mais dans une stratégie de ciblage plus que de filet, qui était pertinent pour repérer des clusters. Dans la situation actuelle, avec un grand nombre de vaccinés, il faut être capable de tester de manière rapide et ciblée. Dans le primaire, nous gardons une stratégie de dépistage massif avec un objectif de 600 000 tests salivaires hebdomadaires. Un chiffre que nous avions atteint en juin ».

La réalité serait cependant moins idyllique que celle présentée par le ministre avec 20 % d’adolescents acceptant les autotests au printemps dernier et 70 % de parents autorisant les tests salivaires en primaire. Par ailleurs, les retards de livraison de ces derniers n’ont cessé d’être regrettés. Dans le Journal du Dimanche, le professeur Robert Cohen (Robert Debré) s’interroge « Si les parents les refusent, peut-être faudra-t-il changer de paradigme et refuser l'accès de l'enfant à l'école », tandis que des modélisations de l’INSERM/Pasteur ont signalé l’efficacité des dépistages deux fois par semaine en primaire.

Le fond et la forme

Ainsi, on le mesure, sur le fond, Jean-Michel Blanquer pourrait avoir quelque peu raté sa pré-rentrée. Il n’a guère plus brillé sur la forme : beaucoup de syndicats ont été ulcérés de constater que les détails du protocole sanitaire ont été donnés au JDD avant de leur être présentés. Dans ce contexte, la publication très prochaine d’un livre par le ministre où il se félicite du maintien des écoles ouvertes pratiquement tout au long de l’année dernière fait plus que grincer des dents sur Twitter.

Aurélie Haroche

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