
Paris, le jeudi 31 mars 2022 – La polémique monte autour de la participation des cabinets de conseil et notamment de McKinsey dans la gestion de la crise sanitaire.
C’est un véritable caillou dans la chaussure d’Emmanuel Macron, à une dizaine de jours du premier tour de l’élection présidentielle. Le rapport du Sénat du 16 mars dernier sur l’influence croissante des cabinets de conseil privés tout au long du quinquennat embarrasse de plus en plus la majorité, à tel point que le Président de la République lui-même est intervenu sur la question pour tenter d’éteindre l’incendie. A tort ou à raison, les attaques de l’opposition se sont concentrées sur le cabinet américain McKinsey, bien qu’il ne soit pas celui auquel l’Etat a le plus fait appel depuis 2017. La « Firme » comme on la surnomme est en effet notamment critiquée pour ses liens étroits avec Emmanuel Macron et la République en Marche, pour une possible fraude fiscale…et pour son intervention dans la campagne vaccinale.
Le rapport du Sénat nous apprend en effet que le cabinet new-yorkais est rapidement devenu « la clef de voute de la campagne vaccinale ». Si l’Etat a déjà fait appel à la firme à deux reprises au début de la crise sanitaire en avril 2020, c’est bel et bien la vaccination qui va lui permettre de devenir un acteur incontournable dans la gestion de la crise sanitaire (le rapport du Sénat parle même d’une « dépendance » de l’administration vis-à-vis de McKinsey). Le gouvernement fait appel au cabinet dès le 25 novembre 2020, soit au lendemain de l’allocution du chef de l’Etat évoquant une « campagne de vaccination rapide et massive » (elle démarrera le 27 décembre).
11,6 millions d’euros pour gérer la logistique vaccinale
Au départ, la mission du cabinet ne doit durer que trois mois et vise à élaborer « une stratégie vaccinale avec définition de la vision cible » pour aider à la « prise de décision du ministre ». Mais le contrat entre l’Etat et McKinsey va finalement être reconduit et les consultants vont demeurer au cœur de la stratégie vaccinale jusqu’en février 2022 (avec une brève interruption fin 2021). Au final, sept commandes vont être passés à McKinsey pour un montant total de 11,63 millions d’euros.
Selon le rapport du Sénat, quatre missions vont être confiés au cabinet américain, sans que les contours de ces tâches soient facilement traçables : l’organisation logistique (notamment le suivi des stocks et des capacités d’injection), la création d’ « outils de suivi », la réalisation d’analyses sectorielles pour le ministre de la Santé Olivier Véran (par exemple un « focus » sur la vaccination des enfants en décembre dernier) et enfin l’organisation et la gestion d’une « task force » vaccins. Dans le détail, le site d’information Politico expliquait en février 2021 que les hauts fonctionnaires du ministère de la Santé devaient participer tous les jours à 17 heures à une réunion sur la campagne vaccinale présidée non pas par le ministre mais par un consultant de chez McKinsey.
Pour justifier ce recours massif à McKinsey et plus largement aux cabinets de conseil durant la crise sanitaire, le gouvernement explique que l’Etat s’est rapidement trouvé dépassé face à l’ampleur de la tâche. Un haut responsable du ministère de la Santé racontait ainsi début 2021 qu’il n’avait pas d’autres choix que de faire appel à des consultants privés en renfort, la moitié de son équipe étant en burn-out après un an de crise sanitaire.
Un cabinet qui travaille dans l’ombre
Interrogé par la commission d’enquête du Sénat le 2 février dernier, le ministre de la Santé Olivier Véran a tenté de minimiser l’importance de ces cabinets. Il a ainsi affirmé que l’action de McKinsey s’était limitée à un appui logistique et que le cabinet n’était jamais intervenu sur des questions politiques ou sanitaires. « A aucun moment McKinsey ne m’a fait prendre la moindre décision en lien avec la crise sanitaire ou la campagne vaccinale » a expliqué le ministre, alors que les devis de la firme précisent que « McKinsey ne se substitue pas aux dirigeants ou aux organes de décision ».
Selon le rapport du Sénat, il est impossible de « confirmer ou d’infirmer la déclaration du ministre » en raison de « l’absence de traçabilité des livrables de McKinsey ». On touche là à un autre aspect majeur du problème des cabinets de conseil, à savoir la très grande opacité dans laquelle ils opèrent. La frontière est en effet souvent floue entre les documents élaborés directement par le cabinet et ceux rédigés par le ministère avec l’aide de consultants. Certaines notes intégralement élaborées par le cabinet portent ainsi le tampon du ministère de la Santé. Une seule chose est sure : pendant 15 mois, les agents de McKinsey se sont trouvés au cœur de la direction de la campagne vaccinale et ses conseils sont arrivés jusqu’aux oreilles du Président de la République lui-même.
Quentin Haroche