
Paris, le mercredi 20 avril 2022 - Début avril, l’armée russe se retire de la région de Kiev face à l’échec de son offensive menée dans le nord de l’Ukraine. En reprenant possession des terres occupées, les unités ukrainiennes ont pu constater l’étendu du drame subi par la population civile.
Début avril, l'ONG Human Rights Watch a estimé disposer d'éléments probants de crimes de guerre commis par l'armée russe à Chernihiv, Kharkiv et Kiev. La procureure générale d’Ukraine, Iryna Venediktova a estimé début avril que « 410 corps de civils morts ont été évacués des territoires libérés » autour de la capitale.
La découverte quotidienne de cas de meurtres, tortures, viols ainsi que les bombardements d’objectifs non-militaires a conduit le président Ukrainien, Volodymyr Zelensky, à dénoncer publiquement un « génocide » commis par la Russie à l’encontre de la population ukrainienne. Une qualification à l’origine de tension entre les alliés occidentaux. En effet, si le président américain Joe Biden a repris à son compte ce terme, le président français Emmanuel Macron ainsi que le chancelier Allemand Olaf Scholz ont exprimé certaines réserves sur l’emploi du mot génocide.
L’enjeu autour de la qualification des crimes commis par la Russie est à la fois politique et juridique.
Le crime de guerre, une notion ancienne
Depuis l’Antiquité, les grandes civilisations ont fixé des règles dans la conduite de la guerre, dont la violation devait conduire à l’opprobre et à la condamnation morale. Le souci de limitation des conséquences de la guerre se retrouve aussi bien dans la Bible que dans le Coran, qui interdit d’empoisonner une source d’eau ou de détruire des récoltes.
A partir de la fin du XIXème siècle, le droit international humanitaire a tenté de fixer des règles et limites à l’emploi de certaines armes. Les conventions de La Haye de 1899 et de 1907 se focalisent notamment sur l’interdiction d’utiliser certains moyens de combat (par exemple, se servir de balles explosives, qui se morcellent dans le corps humain). La Convention de Genève de 1949 prévoit la protection des personnes qui ne participent pas aux hostilités (civils, personnel sanitaire, soldats blessés ou prisonniers de guerre).
La définition la plus récente de ce qui constitue un crime de guerre est donnée dans l’article 8 du statut de Rome (non ratifié par l’Ukraine, la Russie et les Etats-Unis). Ce traité international, entré en vigueur en 2002, est celui qui a permis de créer la Cour Pénale Internationale. Les actes prohibés en temps de guerre sont nombreux : homicide intentionnel ; torture ; causer intentionnellement de grandes souffrances ou porter gravement atteinte à l’intégrité physique ou à la santé ; destruction et appropriation de biens non justifiées par des nécessités militaires ; déportation ; prise d’otages ; diriger intentionnellement des attaques contre la population civile ou des biens de caractère civil ; tuer ou blesser un combattant ayant déposé les armes ou encore les pillages.
Le crime contre l’humanité, un acte ciblé
Le crime de guerre est celui qui découle des opérations militaires, et qui cible sans distinction des non-belligérants.
La notion de crime contre l’humanité, elle, nécessite que soit rapporté la preuve que les actes commis visent à entrainer une « violation délibérée et ignominieuse des droits fondamentaux d’un individu ou d’un groupe d’individus » dès lors qu’il est « inspiré par des motifs politiques, raciaux ou religieux ».
Cette notion issue de la Charte de Londres, qui a permis la création du tribunal militaire de Nuremberg pour juger les responsables allemands de la deuxième guerre mondiale, recouvre selon l’article 7 du statut de Rome des crimes qui sont commis « dans le cadre d'une attaque généralisée ou systématique dirigée contre toute population civile »
Contrairement aux crimes de guerre, un crime contre l’humanité peut être perpétré hors conflit armé. Par exemple, l’esclavage, la prostitution forcée, la stérilisation forcée ou l’apartheid sont des crimes contre l’humanité.
Le génocide, une volonté d’extermination
Le mot « génocide » a été utilisé pour la première fois en 1944 par l’avocat juif polonais Raphaël Lemkin dans son livre Le règne de l’Axe en Europe occupée. La définition d’un génocide est précisée par l’article 6 du statut de Rome. Il s’agit d’un acte « commis dans l’intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux ».
La définition connait toutefois des différences entre le droit international et le droit français. Le statut de Rome nécessite la démonstration d’un élément matériel (meurtres, atteinte grave à l’intégrité physique ou mentale, mesures visant à entraver les naissances, transferts de population), mais aussi d’un élément intentionnel spécifique visant précisément la destruction d’un peuple.
Le droit français vise spécifiquement l’idée « d'un plan concerté tendant à la destruction totale ou partielle d'un groupe national, ethnique, racial ou religieux, ou d'un groupe déterminé à partir de tout autre critère arbitraire ». La notion de « plan concerté » rend, en France, la qualification plus exigeante en demandant la démonstration que le crime a bien été prémédité.
Enquêter dans l’horreur
Les subtilités juridiques entre le droit Français et international expliquent sans doute en partie les réticences du Président de la République à qualifier les actions commises par les Russes de « génocide » en l’état. Les enquêtes permettront sans doute de constater des actes qui pourraient être de nature à retenir cette qualification : tri des prisonniers, contrôle des passeports russes et ukrainiens, ciblage des opposants politiques…
C.H.