
Les modes de consommation du tabac ont profondément changé durant la dernière décennie, avec, notamment pour les adolescents, un recours plus fréquent aux cigarettes électroniques (e-cigarettes) et aux autres produits dérivés du tabac.
La e-cigarette est devenue la modalité la plus employée chez les jeunes depuis 2014. En 2020, 19,6 % des lycéens et 4,7 % des collégiens avaient signalé l’utilisation de e-cigarettes durant le mois précédent l’enquête ; 3,5 % des adolescents US étaient consommateurs de cigares…
De nombreuses stratégies délétères ont été conçues, afin de diminuer la perception du danger de telles pratiques chez les adolescents et orienter vers le tabagisme des jeunes enfants, précédemment naïfs de tout contact avec le tabac.
Durant la même période, les concentrations en nicotine se sont accrues, jusqu’ à un maximum de 244,8 ng/mL avec le vapotage par dosettes, amenant à un risque accru d’effets neuro toxiques sur le développement cérébral des enfants.
Le risque de dépendance et de tabagisme excessif est net, notamment chez les enfants issus de classes sociales défavorisées. La consommation de nicotine enfin peut altérer les apprentissages, la mémoire et amener à une anxiété accrue, à une irritabilité et à des difficultés croissantes à la prise de décision.
Toutefois, les données sont restreintes concernant le recours très précoce au tabac, et notamment l’utilisation de la e-cigarette chez les jeunes.
Des enfants adeptes de l’e-cigarette dès 9 ans
Un travail a été mené, à partir de l’Adolescent Brain and Cognitive Developpment (ABCD) Study, afin de mieux quantifier l’association entre initiation au tabac dès le jeune âge et performances cognitives, mesurées par la National Institutes of Health Toolbox Cognitive Battery.
Dans le même temps, il a tenté de préciser, grâce à une imagerie par résonance magnétique (IRM), un possible retentissement sur la morphologie du cerveau des enfants, dans sa globalité et dans des zones particulières.
La cohorte ABCD a inclus des enfants âgés de 9 à 10 ans, entre le 1er Octobre 2016 et le 31 Octobre 2018. Il s’agit d’un vaste échantillon issu d’écoles, elles même sélectionnées en fonction du genre et de l’origine ethnique des élèves, du statut socio-économique des parents et de leur situation urbaine ou rurale.
Un accord écrit pour la participation à l’étude était requis, tant des parents que des enfants eux-mêmes. Il y a eu un suivi annuel des performances cognitives par batterie de tests et pratique d’une imagerie cérébrale tous les 2 ans, entre le 1er Août 2018 et le 31 Janvier 2021.
Tous les modes de consommation tabagique ont été rapportés : cigarette et cigarette électronique, tabac sans fumée, narguilé, pipe, cigares et autres substituts nicotiniques. Parallèlement, plusieurs caractéristiques socio démographiques étaient notées ainsi que les difficultés rencontrées au cours des 12 mois précédents, la prise éventuelles de produits dangereux ou de drogues illicites. Enfin le statut pubertaire des jeunes participants à cette étude a été précisé.
La cohorte d’étude comporte 11 876 enfants, avec un taux de suivi à 2 ans notable de 87,7 %. Après exclusions diverses, 10 214 participants ont été inclus, dont 6 859 suivis à 2 ans. L’âge moyen se situe à 9,9 (0,6) ans ; 47,9 % sont des filles. La situation économique des parents est variée mais 13,7 % de familles ont un revenu annuel inférieur à 25 000 §.
Au total 22,7 % des participants ont rapporté consommer d’autres substances toxiques que le tabac. Parmi les 116 utilisateurs de produits dérivés du tabac, 80 avaient recours à la e-cigarette, 10 fumaient des cigares, 7 des produits sans fumée.
Des scores plus faibles à certains tests neurocognitifs et des volumes cérébraux réduits
A l’entrée dans l’étude, les consommateurs, en comparaison avec les non utilisateurs, présentaient un score plus faible au test de Vocabulaire d’Images, en moyenne de β -2,9 (ET 0,6) points (p < 0,001).
Ils affichaient également un score d’intelligence cristallisée moindre : β -2,4 (0,5) (p< 0,001) et un score de cognition totale plus faible β - 2,9 (0,5) (p = 0,01). Après un suivi de 2 ans, les résultats aux tests étaient toujours plus médiocres chez les utilisateurs de tabac.
Concernant les données d’imagerie par résonance magnétique, les surfaces des zones étudiées étaient, globalement, réduites : β –2 014,8 (SE 1739,8) mm2 (p= 0,04). Il en va de même pour le volume cortical, moins important : β –174 621, 0 (58 57,7) mm3, dans chacun des 2 hémisphères.
Après les 24 mois de suivi, les zones les plus touchées chez les consommateurs de produits tabagiques étaient, entre autres, les zones frontales supérieures, caudales moyennes, médio-orbitofrontales et pré centrales. Le volume cortical a été noté plus faible en frontal, pariétal et temporal.
Les résultats de ce travail démontrent donc une association entre un effet nocif sur la santé et l’initiation précoce au tabac, y compris en cas d’utilisation des e-cigarettes. Ils sont en accord avec ceux, expérimentaux, constatés chez l’animal qui avaient démontré qu’une courte période d’exposition à la nicotine, même avec des concentrations plasmatiques faibles, pouvait induire des dommages cellulaires et neuronaux.
La consommation de tabac entraîne, chez les jeunes utilisateurs, une baisse des scores cognitifs, avec notamment un impact sur la reconnaissance orale à la lecture, la compréhension auditive et l’intelligence cristallisée.
Au plan morphologique, elle diminue les volumes corticaux, tant globalement que dans des régions très précises comme les gyri supérieurs frontaux, le cortex temporal latéral ou les lobes pariétaux inférieurs qui sont toutes des structures impliquées dans le langage et qui, lors du début de l’adolescence, ont tendance à se développer.
Il importe de prendre en compte dans ces variations le rôle d’autres facteurs essentiels tels que le statut socio-économique des parents, le degré de surveillance des enfants et l’environnement scolaire. Il faut aussi rappeler que l’étude ABCD n’a pas été pleinement représentative au niveau national car ayant intégré peu de familles rurales.
De plus, il s’agit d’une étude observationnelle, ne pouvant exclure des facteurs confondants autres. Enfin, la consommation de tabac a été auto rapportée par les jeunes participants eux-mêmes.
En conclusion, il apparaît qu’une exposition précoce au tabac, entre 9 et 10 ans, est associée à des performances cognitives plus faibles et à un moindre développement cérébral en IRM, retrouvé également après 2 ans de suivi, y compris avec l’e-cigarette.
Des stratégies d’intervention et des mesures de contrôle
s’avèrent indispensables pour lutter contre une consommation
précoce de tabac chez le jeune adolescent.
Dr Pierre Margent