Grève des internes très suivie sur fond de scission générationnelle

Paris, le mercredi 2 novembre 2022 – Les internes de médecine générale étaient appelés à la grève du 28 octobre à aujourd’hui pour protester contre l’instauration par le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) d’une quatrième année d’internat, qui devrait préférentiellement se dérouler dans les zones sous denses (mais sans obligation).

Les futurs praticiens dénoncent une mesure qui fait peser sur eux les conséquences des erreurs successives des politiques d’organisation des soins de ces dernières décennies. Par ailleurs, ces journées de mobilisation (qui pourraient être reconduites) étaient destinées à dénoncer des conditions de travail toujours plus difficiles dans des établissements qui ne fonctionnent bien souvent que grâce aux internes.

Réquisitions abusives


Preuve en a été faite ce week-end : un grand nombre d’établissements ont en effet été perturbés par l’absence des internes, alors que le week-end prolongé de la Toussaint avait déjà entraîné une diminution d’effectif et restreint l’activité de la médecine de ville. Nombre de directions hospitalières ont d’ailleurs choisi de réquisitionner les grévistes ; des réquisitions considérées souvent comme abusives.

Ainsi, la présidente de l’Intersyndicale nationale des internes (ISNI), Olivia Fraigneau évoquait le 31 octobre « des centaines d’assignations » ne répondant pas aux critères légaux. « C’est le cas dans les hôpitaux de la Réunion, de Brest, de Laval, de Vannes, de Rennes, de Toulouse, de Montpellier ou encore à Paris, à Necker ou à Mondor », énumérait-elle dans les colonnes du Quotidien du médecin.

Imbéciles ingrats


Par ailleurs, la communication des hôpitaux a clairement montré une absence de solidarité avec le mouvement, mettant en avant dans leur message aux patients la responsabilité des jeunes médecins dans les difficultés qu’ils rencontraient. Exemple parmi d’autres, le centre hospitalier de Laval s’est fendu d’un tweet ce samedi avertissant : « en raison de la participation des internes du CH à la grève nationale, l’établissement est contraint de mettre en place la régulation de l’accès aux urgences pédiatriques ».

Si cette façon de cibler les internes a profondément déplu à ces derniers, ils y ont vu une nouvelle confirmation de leur rôle central dans le fonctionnement des services, ce qui ne manque pas d’être critiquable ou en tout cas d’interroger, s’agissant de médecins en formation. Et plus encore que l’absence de solidarité des directions hospitalières, les internes ont été outrés des manifestations d’hostilité de certains médecins seniors.

Le fil Twitter Doc Amine a ainsi recensé plusieurs attaques peu amènes, preuves à l’appui. Ainsi, au CHU de Rouen, un professeur de médecine a « écrit aux internes grévistes en les qualifiant d’imbéciles avec un comportement d’ouvriers de raffinerie » … tout en assurant ne pas contester leur droit de faire grève. A Saintonge, un praticien s’est plaint à ses confrères de « l’opportunisme » et de « l’ingratitude » des internes parce qu’ils avaient décliné sa proposition de limiter leur grève à quelques heures.

Les internes ont reçu ces messages avec une grande amertume, déplorant fortement que leurs confrères semblent méconnaître leurs difficultés. « Si les chefs de service utilisaient l’énergie qu’ils dépensent à engueuler les internes grévistes pour mettre la pression sur les directions et le ministère, les problèmes seraient réglés en 24 heures » a ironisé un jeune praticien sur Twitter en réponse à ce manque de solidarité.

Parallèlement le hashtag #CauchemarEnMédecine a voulu rappeler les raisons impérieuses de la grève, tel ce message choc : « En 2019, Tristan, interne en médecine générale a mis un bandeau en grève tout en continuant son travail à l’hôpital. En 2022, Tristan ne fait pas grève. Il s’est donné la mort le 19 février 2021 durant sa dernière année d’internat ».

Doyens et Académiciens prêts à envoyer les jeunes au front


L’amertume des internes est d’autant plus forte que la scission générationnelle qui transparaît derrière les messages ponctuels de certains chefs de service et médecins seniors traduit une tendance plus ancrée. Bien sûr, certains praticiens ont voulu manifester leur soutien aux internes, mais les prises de position en faveur de la quatrième année d’internat en médecine générale et de dispositifs proches se sont également multipliées.

Ainsi, l’Académie de médecine a publié la semaine dernière plusieurs recommandations concernant les déserts médicaux qui appellent notamment à la création d’un « service citoyen médical d’un an pour tout médecin nouvellement diplômé, en raison de l’extrême gravité de la pénurie en médecins » tandis que les sages semblent également espérer que l’instauration de la quatrième année sera actée.

De son côté, la conférence des doyens s’est aussi prononcée en faveur de la mesure. Confirmation s’il en était besoin que la scission générationnelle sur le rôle que doivent jouer les plus jeunes face aux problèmes de l’organisation des soins en France est consommée.

Aurélie Haroche

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Vos réactions (14)

  • Boucs émissaires

    Le 02 novembre 2022

    Les internes sont les boucs émissaires de la désastreuse gestion de 40 années de politique de réduction tous azimuts. Après des études difficiles et longues et 10 années de formation, 2 concours épuisants, se retrouver dans une espèce de service social exactement apparenté au défunt service militaire, c'est un comble. Quelle honte ! Il y a d'autres réformes urgentes à faire pour redonner l’attractivité aux soignants de tout bord : n'oublions pas non plus que les CHU souffrent largement des dysfonctionnements créés, et que si on les dégarnit... il faudra trouver autre chose pour remplacer les absents !

    Dr A Wilk

  • Grèves des internes

    Le 02 novembre 2022

    Nos jeunes internes ont raison. Ils n'ont pas à être les victimes d'une gestion calamiteuse de la démographie médicale par le biais d'un numerus clausus imbécile durant plus de trente ans. Ce même numerus clausus grâce auquel le nombre de médecins dans ma commune de près de 9 000 habitants est passé de 5 à 1 en l'espace de deux ans faute de "repreneurs" même à titre gracieux, aucun de nous ne désirant poursuivre son activité jusqu'à un âge déraisonnable (la retraite à 65 ans étant déjà du passé pour la CARMF).
    A notre époque le stage interné durait un an (7ème année) il n'y avait pas de stage chez le praticien c'était trop peu. Une quatrième année d'internat pour faire le bouche trou c'est trop.

    Dr A Montagnac, un jeune retraité

  • Pas de solution idéale

    Le 02 novembre 2022

    Factuellement, les internes comptent de plus en plus leurs heures et, si certains continuent de faire beaucoup plus que leurs obligations légales, d'autres en font moins voire trop peu pour être convenablement formés.
    Ces inégalités viennent d'abord de modalités de choix qui relèvent de l'usine à gaz depuis la dernière réforme, les postes devant souvent être "ouverts" en urgence pour satisfaire à des maquettes d'une rigidité croissante. Concernant les DES de MG, quitte à être en désaccord avec certains confrères, ils suivent, à mon sens, l'exemple de leur ainés de ville souvent peu concernés par la permanence des soins et la notion de service public.
    Les anciens se rappellent douloureusement que les internes avaient obtenus la récupération de garde 3 ans avant leurs séniors PH. Je ne peux que sourire devant l’affirmation de notre jeune confrère : « Si les chefs de service utilisaient l’énergie qu’ils dépensent à engueuler les internes grévistes pour mettre la pression sur les directions et le ministère, les problèmes seraient réglés en 24 heures ». On envierait presque une telle innocence inconsciente de l'empilement de strates administratives qu'affrontent les chefs de service.
    Il est certes indispensable que nos jeunes collègues soient bien formés en étant bien encadrés et en ayant la juste quantité de travail. Mais la responsabilité finale des soins revient toujours aux séniors dont le burn out, très réel, fait couler beaucoup moins d'encre que celui des juniors. Tout reste à faire pour un hôpital bien-traitant pour ses soignants quelque soit leur âge. En attendant le compagnonnage, pilier de la dite formation, s'effrite. Signe qu'il y a urgence.

    Dr Y Hatchuel

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