
Jusqu’à présent, la Chine était l’un des pays les plus
épargnés par la pandémie de Covid-19, trois ans après son
apparition à Wuhan. Aucune flambée épidémique semblable à celle des
pays européens n’y a été détecté et si l’on en croit les chiffres
officiels (à prendre évidemment avec précaution), seulement 5 235
Chinois seraient morts de la Covid-19, sur une population d’1,4
milliard d’habitants, alors que des millions d’Occidentaux ont
perdu la vie. Un succès rendu possible par une stratégie zéro-Covid
extrêmement contraignante, basée sur des confinements drastiques et
des dépistages de masse, qui a réduit à néant la liberté déjà très
relative des Chinois.
Mais tout a changé depuis la semaine dernière. Après trois
semaines de manifestations d’opposition à la politique sanitaire du
gouvernement communiste, d’une ampleur inédite depuis le
soulèvement de Tiananmen de 1989, Pékin a décidé d’amender
fortement sa stratégie sanitaire. Fin de l’isolement en centre de
quarantaine, de l’obligation de présenter un test négatif pour se
rendre dans les lieux publics ou pour voyager dans le pays, des
confinements de quartier entier et des fermetures d’écoles. Après
avoir passé trois années à instiller la peur du virus chez les
Chinois, le gouvernement et la presse officielle expliquent
désormais aux habitants qu’il n’y a rien à craindre et que le
variant Omicron n’est pas plus virulent que la grippe.
Pékin touché par une épidémie d’ampleur inconnue
Mais la joie suscitée par l’abandon des mesures les plus
liberticides a rapidement cédé la place à l’inquiétude face aux
conséquences sanitaires de ce relâchement soudain. La capitale
Pékin semble actuellement touchée par une flambée épidémique à la
portée inconnue du fait de l’abandon du dépistage. Le ministère de
la Santé a ainsi reconnu que les infections « augmentaient
rapidement » dans la capitale mais que « la plupart des gens
asymptomatiques ne faisant plus de tests PCR, il est impossible
d’avoir une idée précise du véritable nombre de personnes infectées
».
Après avoir contrôlé les moindres faits et gestes des Chinois
pendant 3 ans, le gouvernement reconnait donc avoir perdu la main
sur le virus mais ne s’en émeut pas plus que ça (du moins en
apparence). Ce mardi, l’agence de presse officielle préférait
parler d’une exposition sur « les repas simples du président Xi
» qui aurait « captivé les visiteurs » plutôt que de la
situation épidémique !
Paradoxalement, Pékin a de nouveau les allures d’une ville
fantôme depuis l’abandon des restrictions, les habitants préférant
s’auto-isoler chez eux. Certains d’entre eux commencent à
constituer des stocks d’autotests et de médicament. Le prix de
l’ibuprofène a augmenté de 430 % en une semaine et un marché noir
aurait déjà commencé à se constituer.
L’inquiétude gagne également les épidémiologistes, qui
soulignent que la Chine présente plusieurs caractéristiques qui la
rendent très fragile face à la Covid-19. Sa population
vieillissante n’a pas pu développer d’immunité naturelle en raison
des confinements et de l’isolement du pays. Moins de 40 % des
Chinois de plus de 80 ans auraient reçu trois doses de vaccin et
encore, il s’agit de vaccins chinois dont l’efficacité contre
Omicron n’a pas été prouvée. Les seniors Chinois ont toujours été
très méfiants envers les vaccins, leur préférant la médecine
traditionnelle et paradoxalement, la dictature communiste semble
avoir plus de scrupules que les démocraties occidentales à rendre
la vaccination obligatoire ou à mettre en place un pass
vaccinal.
La Chine sera-t-elle bientôt un nid à variants ?
Autre faiblesse, le système de santé chinois ne semble pas
prêt à faire face à un afflux important et rapide de malades. Le
pays ne compterait que 64 000 lits de réanimations (par
comparaison, la France en compte environ 6 000 pour une population
25 fois moins importante) et il existe de grandes disparités
territoriales dans la répartition des lits.
Ainsi, selon une étude l’université Fundan de Shanghai, une
réouverture trop brutale du pays pourrait conduire à la mort de
1,55 millions de Chinois en quelques mois. Et encore, il s’agit
d’une hypothèse optimiste, puisqu’elle repose sur l’idée que 90 %
des habitants aient fait leur rappel de vaccin et que les produits
chinois soient efficaces contre Omicron. En février dernier, la
ville de Hong Kong avait elle aussi brutalement levé ses
restrictions sanitaires après deux ans de politique anti-Covid : 9
000 personnes étaient décédées en seulement 2 mois. Rapporté à la
population chinoise, cela correspond à 1,8 millions de morts.
Notons tout de même, pour relativiser la portée de cette possible
hécatombe, que 10 millions de Chinois meurent chaque année toute
cause confondue.
Enfin, les épidémiologistes rappellent égoïstement que cette
possible grande épidémie chinoise peut représenter un danger pour
le reste du monde. En effet, si des centaines de millions de
Chinois venaient à être contaminés au même moment, cela augmentera
fortement le risque de l’apparition de nouveaux variants. « Il y
aura un réservoir de réplication virale qui est très important
faisant de facto émerger le risque de nouveaux variants »
explique l’épidémiologiste Mahmoud Zuriek.
S’il est donc souhaitable que la Chine lève le garrot, elle ne
doit pas le faire trop vite.
Nicolas Barbet