
Paris, le mardi 31 janvier 2023 – Malgré la fin de la triple épidémie, l’hôpital public français reste plombé par des difficultés structurelles et notamment par un manque d’infirmiers.
La triple épidémie de grippe, de bronchiolite et de Covid-19 est terminée et pourtant, les soignants hospitaliers n’ont pas sorti le champagne. Certes, les scènes de saturation voire de désorganisation qu’ont connus certains services hospitaliers en décembre dernier, sous l’effet combiné de l’afflux de patients, des congés des soignants hospitaliers et de la grève des médecins libéraux, ne sont plus qu’un mauvais souvenir.
Certes, tous les voyants épidémiques sont au vert. Selon les derniers bulletins épidémiologiques de Santé Publique France (SPF), la circulation du VRS est stable et toutes les régions métropolitaines ont quitté la phase épidémique de la bronchiolite à l’exception du Grand Est, de la Nouvelle-Aquitaine et de la région PACA ; l’épidémie de Covid-19 n’a jamais été aussi faible depuis quinze mois avec moins de 5 000 nouvelles contaminations par jour ; l’épidémie de grippe, si elle reste suffisamment intense, continue de reculer et trois régions métropolitaines (Bretagne, Normandie, Hauts de France) sont sortis de la phase épidémique.
Mais la fin de cette crise ne marque pas celle de la crise systémique qui touche l’hôpital public français depuis des années. « Les trois virus perdent du terrain, mais le poids que supportent les urgences reste quasiment inchangé, il y a eu un degré de saturation supplémentaire franchi en décembre et on n’est toujours pas redescendus de cette marche » résume le Dr Romain Hernu, chef du service des urgences à l’hôpital de la Croix-Rousse à Lyon. « Il faut arrêter de dire que l’épidémie était exceptionnelle, le problème, c’est qu’on n’a plus de capacité d’adaptation » abonde dans le même sens le Dr Gilles Jourdain, coordinateur au SMUR pédiatrique d’Ile-de-France.
180 000 infirmiers diplômés qui n’exercent plus !
La source du problème est connue : le manque de personnel soignants et notamment d’infirmiers oblige les hôpitaux à fermer entre 15 et 20 % des lits théoriquement disponibles. La situation est particulièrement inquiétante en pédiatrie : dans le service de réanimation pédiatrique de l’hôpital Raymond-Poincaré de Garches, seulement 12 lits sur 40 sont ouverts, en raison de 25 postes d’infirmiers vacants et ce alors même qu’il faut prendre en charge les jeunes patients dont les soins ont été déprogrammés au pic de l’épidémie de bronchiolite. « Les autorités disent que l’épidémie de bronchiolite explique les difficultés rencontrées par l’hôpital, mais c’est complètement faux, les services sont en ruine, il n’y a plus d’infirmières » s’insurge le Pr Jean Bergounioux, chef du service.
Au total, près de 60 000 postes d’infirmiers seraient vacants à travers la France. Le pays ne manque pourtant pas de personnels formés mais selon une enquête de RTL, 180 000 infirmiers diplômés n’exercent plus, dont 16 000 actuellement inscrits à Pôle Emploi.
Comment expliquer qu’autant d’infirmiers diplômés quittent l’hôpital pour l’exercice libéral voire parfois pour entamer une reconversion complète ?
Le salaire est une première explication. En début de carrière, un infirmier hospitalier ne touche que 1 800 euros net par mois et malgré les nombreuses primes et augmentations décidées depuis 2020, la France reste l’un des rares pays de l’OCDE où les infirmiers gagnent moins que le salaire moyen.
Les conditions de travail en sont une autre, avec un véritable cercle vicieux : moins il y a de soignants, plus les rythmes deviennent difficiles à suivre et plus les paramédicaux sont tentés de quitter le navire.
Les lits de brancard prolifèrent
Le manque d’infirmiers et la fermeture des lits qu’ils entrainent que ce soit en hospitalisation conventionnelle ou en soins de suite et de réadaptation (SSR) se répercutent sur les urgences. Le manque de lits d’aval oblige à mettre en place des « lits de brancard », c’est-à-dire à contraindre des patients dont la prise en charge aux urgences est terminée à dormir sur un brancard en attendant qu’un lit d’aval se libère. Au pic de la triple épidémie, on comptait plus de 200 lits de brancard dans les couloirs des établissements de l’AP-HP, ils étaient encore au moins une centaine mi-janvier.
Face à cette crise qui perdure et qui s’aggrave, les soignants font le constat que les autorités ne proposent aucune solution à même d’améliorer la situation. En septembre dernier, le directeur de l’AP-HP Nicolas Revel a lancé une concertation sur le manque de personnel, une de plus sont tentés de répondre les soignants. « Ce serait déjà une victoire que la situation n’empire pas dans les six prochains mois, les soignants continuent à partir » s’inquiète fataliste le Dr Romain Hernu.
Nicolas Barbet