
Paris, le mercredi 19 avril 2023 – La France connait des tensions d’approvisionnement sur le misoprostol, un médicament utilisé dans les IVG médicamenteux.
Après l’amoxicilline et le paracétamol en fin d’année dernière et les corticoïdes en mars, c’est au tour d’un autre médicament, à la portée symbolique très politique, de faire l’objet de difficultés d’approvisionnement voire dans certaines régions de pénurie : le misoprostol, un produit pharmaceutique prescrit avec le mifépristone dans les IVG médicamenteux (qui représentent 75 % des IVG réalisées en France) mais également dans la préparation des IVG non-médicamenteuses ou en cas de fausses couches spontanées.
C’est l’Observatoire de la transparence dans les politiques du médicament (OTMeds), un organisme classé à gauche qui dénonce de supposées dérives de l’industrie pharmaceutique, qui a le premier tiré la sonnette d’alarme il y a quelques semaines. Depuis, les témoignages de pharmaciens, médecins, sage-femmes et patientes qui ne parviennent plus à se procurer du misoprostol se multiplient, notamment dans les Hauts-de-France et en région parisienne. « J’ai dû décaler de plusieurs jours l’avortement de patientes, le temps d’avoir des boites » témoigne une sage-femme exerçant à Lille. « Si cela ne se débloque pas, je vais devoir envoyer des patientes vers les structures hospitalières déjà embolisées, cela signifie des délais plus longs, voire pour certaines de devoir se retrouver au bloc » rajoute un de ses confrères (en France, l’IVG médicamenteuse n’est possible que jusqu’à neuf semaines d’aménorrhée).
« Pas de pénurie mais des tensions », la rengaine de François Braun
Deux médicaments à base de misoprostol sont indiqués en France pour les IVG médicamenteux : le Gymiso et le Misoone, commercialisé par le laboratoire Nordic Pharma. Une impureté dans la ligne de production du Gymiso l’été dernier a provoqué une diminution de production à hauteur de 20 % explique l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) ce qui a « conduit à un report d’utilisation vers Misoone ». Sur le site de l’ANSM, le Misoone est placé dans la catégorie « tension d’approvisionnement » avec une remise à disposition prévue pour la fin du mois, tandis que le Gymiso est déjà en remise à disposition.
Interrogé ce matin sur la question sur l’antenne de RMC, le ministre de la Santé François Braun a tenu à rassurer les femmes et à dédramatiser la situation. « Il y a des tensions, il n’y pas de pénurie » a-t-il affirmé selon une terminologie déjà utilisée lors de précédentes difficultés d’approvisionnement en médicaments. « Il n’y a jamais eu d’impossibilité d’accéder à ce médicament » a-t-il ajouté, assurant que « d’importantes livraisons de la spécialité Gymiso, couvrant plus de 3 mois de consommation habituelle » avait débuté le 7 avril dernier et que des livraisons de 45 000 boites de Misoone acheminées depuis l’Italie étaient « en cours ».
Un problème de monopole ?
Des explications qui risquent de ne pas satisfaire l’OTMeds, qui dénonce « l’attentisme et l’amateurisme » du gouvernement dans un communiqué publié jeudi dernier, expliquant que les alertes sur l’approvisionnement en misoprostol se multiplient depuis 2020. Au-delà, l’organisme dénonce le monopole sur le misoprosol détenu par le laboratoire Nordic Pharma. « Le misoprostol est un médicament sous brevet, sa production est concentrée sur un unique site, le monopole lié au statut de propriété intellectuelle sur le médicament en question nous prive de solutions alternatives. Une production locale, diversifiée, au moins en partie publique est une réponse pragmatique à ce problème » lance l’OTMeds (qui semble ne pas faire grand cas des règles élémentaires de la propriété intellectuelle).
Même son de cloche du côté du Haut conseil à l’égalité (HCE) qui, dans un communiqué publié ce mardi, demande que la France « retrouve rapidement sa souveraineté en matière de production de la pilule abortive » et s’inquiète également des possibles conséquences de l’actualité américaine sur l’approvisionnement en pilules abortives en France. Les conservateurs américains tentent en effet en ce moment même de faire interdire par la justice la mifépristone, l’autre pilule abortive. « La situation américaine fait planer la menace d’une pénurie liée à la constitution de stocks par les Etats américains qui cherchent à pallier un éventuel arrêt de la production et/ou de la commercialisation de la mifépristone et du misoprosol » note le HCE.
Comme souvent en matière d’IVG, l’affaire prend donc rapidement une tournure politique. Plusieurs députées féministes, comme Sandrine Rousseau ou Laurence Rossignol, ont ainsi demandé au gouvernement d’agir en urgence sur cette question pour « garantir ce droit des femmes ».
Quentin Haroche