L’Académie de Médecine favorable au suicide assisté

Paris, le lundi 17 juillet 2023 – Dans un avis rendu public ce lundi, les académiciens estiment que le suicide assisté doit pouvoir être autorisé dans des cas exceptionnels mais s’opposent à l’euthanasie.

C’est un renfort précieux pour le gouvernement dans sa volonté de légaliser prochainement l’aide active à mourir (un projet de loi doit être présenté d’ici la fin de l’été). Alors que l’exécutif se bute à l’hostilité d’une grande partie des soignants et notamment de la Société française d’accompagnement et de soins palliatifs (SFAP), totalement opposée à ce projet, cette réforme bénéficie désormais d’une caution médicale, puisque l’Académie de Médecine a rendu ce lundi un avis favorable à la légalisation du suicide assisté en France. Un soutien inattendu, puisque l’Académie, ordinairement plutôt conservatrice, s’était opposé à tout changement de la législation actuelle dans un avis rendu en 2021.

Dans leur avis, les académiciens estiment qu’il serait « inhumain, lorsque le pronostic vital est engagé non à court mais à moyen terme, de ne pas répondre à la désespérance de personnes qui demandent les moyens d’abréger les souffrances qu’elles subissent du fait d’une maladie grave et incurable » et qu’il faut « répondre à ces situations de supplice non soulagé d’une vie sans espoir en aménageant de manière encadrée le dispositif actuel par l’ouverture de droits nouveaux pour aider à mourir le moins mal possible en acceptant à titre exceptionnel l’assistance au suicide ».

Les académiciens inspirés par l’Oregon

L’Académie de Médecine appelle à faire une distinction claire entre l’assistance au suicide, qu’elle accepte donc sous conditions et l’euthanasie, qu’elle récuse. « L’euthanasie, à la différence du suicide assisté, transgresse le serment d’Hippocrate « je ne provoquerais pas la mort », prêté par tout médecin ; il doit être écarté, au regard de sa forte portée morale et symbolique, mais aussi du fait que les professionnels et membres des associations de l’accompagnement en fin de vie s’y opposent » écrivent les académiciens.

Via cette position intermédiaire, partagée par le Conseil de l’Ordre des Médecins (CNOM), l’Académie de Médecine espère ménager les réticences des nombreux praticiens opposés à la légalisation de l’aide active à mourir. Dans les cas où le sujet malade n’est plus capable de se donner la mort lui-même, l’avis recommande « qu’une juridiction collégiale ou un magistrat spécialisé » puisse autoriser un tiers à administrer le produit mortel « afin de ne pas faire porter la décision aux seuls professionnels de santé, en dissociant ceux qui soignent de ceux qui décideraient de l’euthanasie ».

Si le Président de la République Emmanuel Macron a plusieurs fois appelé à s’inspirer du « modèle belge », les académiciens reconnaissent s’être plutôt inspirés de l’Oregon. Dans cet Etat du nord-ouest des Etats-Unis, les personnes en fin de vie peuvent se voir prescrire un médicament à dose mortelle, qu’ils peuvent s’administrer chez eux au moment où il le souhaite (cependant la plupart des individus auxquels un médicament létal est prescrit ne l’utilisent pas – peut-être en raison de la difficulté de mourir seul ou de prendre cette décision seul). L’Académie estime que ce modèle respecte « l’hésitation et l’incertitude du choix ultime du patient », tandis que « le processus de l’euthanasie a une plus grande force contraignante une fois qu’il est enclenché ».

Le Dr Leonetti opposé au suicide assisté

L’Académie de Médecine met également en avant plusieurs garde-fous qu’elle estime devoir être mis en place en cas de légalisation de l’aide active à mourir. Elle estime que toute demande de suicide assisté devra être validée par plusieurs médecins et qu’une clause de conscience doit être aménagée pour les praticiens ne souhaitant pas participer à de tels actes.

Seule « une personne en capacité de discernement et bénéficiant de soins palliatifs pourra faire une demande qui doit s’avérer éclairée, libre et réitérée » écrivent les académiciens, semblant donc fermer la porte à une légalisation du suicide assisté pour les mineurs, question extrêmement controversée. Enfin, s’agissant des maladies ouvrant droit au suicide assisté, l’Académie recommande d’exclure « les troubles psychologiques, l’état dépressif, le grand âge avec troubles cognitifs avérés et les maladies et handicaps avec altération de la capacité de jugement ».

L’avis de l’Académie de Médecine a été adopté par 60 voix pour, 24 contre et 10 abstentions. Parmi les opposants à l’avis, on compte notamment le Dr Jean Leonetti, auteur de la loi actuellement en vigueur sur la fin de vie, qui estime que « l’assistance au suicide est certes préférable à l’euthanasie, mais elle comporte plus d’inconvénients que d’avantages ».

La ministre des Professionnels de santé Agnès Firmin Le Bodo, à qui le futur projet de loi sur la fin de vie a été confié, a salué la décision de l’Académie de Médecine, « expression d’un cheminement éthique » qui « propose une voie d’accompagnement pour que toutes les vulnérabilités soient considérées ». Alors que la volonté de « co-construction » du projet de loi avec les oppositions et les soignants a du mal à se concrétiser ces dernières semaines, cet avis de l’Académie de Médecine tombe à point nommé pour l’exécutif.

Quentin Haroche

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Vos réactions (4)

  • Confusion des genres

    Le 17 juillet 2023

    On se demande ce que l'Académie de Médecine vient faire dans le débat sur l'assistance au suicide, qui n'est en rien une question médicale.
    En matière de suicide, le seul rôle qui incombe au médecin est de prendre en charge les suicidants qui présentent un trouble mental pour le traiter. Ajoutons qu'en médecine, l'assistance au suicide conduirait logiquement à ne pas réanimer un suicidé pour respecter son souhait !
    Les conditions d'exercice d'un éventuel droit au suicide des gens sains d'esprit est une question strictement sociétale. Elle ne regarde que le législateur, et le corps médical serait malvenu de prétendre détenir à ce sujet une opinion spécialement pertinente.
    Quant à distinguer le suicide administré par un tiers du suicide auto-administré, il s'agit d'une hypocrisie totalement inepte, particulièrement imbécile quand elle affuble la première option du qualificatif d'euthanasie.
    L'euthanasie n'est pas un suicide, mais comme son nom l'indique une "bonne mort", consistant à hâter le décès d'un mourant en phase terminale pour écourter son agonie.

    Dr Pierre Rimbaud

  • Hypocrisie !

    Le 17 juillet 2023

    La "prescription sans administration du produit létal par les médecins" ne transgresserait pas le Serment d'Hippocrate selon l'Académie de Médecine ! Quelle hypocrisie ! Dire "ce n'est pas moi qui ait injecté, j'ai juste prescrit"... L'Académie de Médecine se déshonore avec pareille argutie !

    Dr M de Guibert

  • L'Académie de Médecine favorable au suicide assisté : logique hexagonale et logique géométrique

    Le 18 juillet 2023

    Lu de Belgique, je ne me permettrai pas d'émettre de commentaires sur la "pertinence" de l'avis de cette noble assemblée.
    Le livre "Le dossier confidentiel de l'euthanasie" de Igor Barrère et Étienne Lalou, enquête journalistique sur ce fait de société, paru en 1962, devrait être actualisé, avec l'ajout d'un chapitre consacré au tourisme développé sur cette impossibilité à trouver une solution digne dans une logique hexagonale devenue étrangère à toute évidence géométrique.

    Dr Didier Piquard (Bruxelles)

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