Fin de vie : le chemin de croix du gouvernement

Paris, le mercredi 26 juillet 2023 – En voulant ménager tout à la fois les militants favorables à l’aide active à mourir et les soignants très réticents, le gouvernement, adepte du en même temps, prend le risque de ne satisfaire personne.

Agnès Firmin Le Bodo va pouvoir prendre des vacances bien méritées. La ministre des Professionnels de santé, à qui Emmanuel Macron a confié en avril dernier le soin d’élaborer et de porter le futur projet de loi sur la fin de vie (peut-être en raison des réticences de François Braun), a mené jusqu’à jeudi dernier des discussions souvent houleuses sur le sujet avec les parlementaires et les soignants.

Un processus de « co-construction » du projet de loi, selon les termes utilisés par l’exécutif, qui va donc s’arrêter pour l’été et reprendre le 6 septembre prochain, avant la présentation formelle du projet de loi. Entre temps, Emmanuel Macron va devoir procéder à des arbitrages. Car, malgré toute la bonne volonté affichée par le gouvernement, l’idée d’une co-construction de la loi a échoué, l’exécutif se heurtant à plusieurs reprises aux refus de soignants et de nombreux parlementaires à l’idée de légaliser l’aide active à mourir, un virage éthique que beaucoup ne sont pas prêts à prendre.

Autoriser ou non l’euthanasie, telle est la question

Après trois mois de discussion, nombreuses sont ainsi les questions qui restent en suspens. L’avant-projet de loi, présenté par Agnès Firmin Le Bodo aux soignants et aux parlementaires fin juin, prévoit un accès assez strict à l’aide active à mourir, qui sera limitée « aux personnes majeures, atteintes d’une affection grave et incurable qui engage son pronostic vital à moyen terme, capables de discernement pour exercer un choix autonome ».

Si le gouvernement souhaite légaliser le suicide assisté, la grande question reste celle de l’euthanasie. Pour la plupart des soignants, demander à un tiers et donc à un médecin de donner la mort constitue une ligne rouge infranchissable. Quinze organisations de santé qui participent au débat avec le gouvernement l’ont rappelé dans une lettre adressée à Agnès Firmin Le Bodo le 20 juin dernier. Ils estiment par ailleurs que l’introduction d’une clause de conscience permettant aux soignants de ne pas participer à l’aide active à mourir n’est pas une garantie suffisante. « Il faut une loi qui prévoit que devront se manifester des volontaires médecins ou associatifs pour faire le geste » estime la Société française d’accompagnement et de soins palliatifs (SFAP), en première ligne du combat contre la légalisation de l’aide active à mourir.   

Sur ce terrain, le gouvernement se trouve pris entre deux feux, car si beaucoup de soignants ne veulent pas entendre parler d’euthanasie, certains militants au contraire ne se satisferont pas de la simple légalisation du suicide assisté. « Emmanuel Macron a choisi la politique des petits pas, il va proposer un texte a minima qui ouvre droit uniquement au suicide assisté, mais j’espère qu’il y aura une majorité à l’Assemblée Nationale pour voter l’euthanasie » commente déjà Jean-Luc Romero, président d’honneur de l’Association pour le droit de mourir dans la dignité. Même son de cloche du côté du député Olivier Falorni, qui avait déposé en 2017 une proposition de loi légalisant l’euthanasie, qui estime que ne légaliser que le suicide assisté serait « discriminatoire » pour les personnes incapables de se donner la mort eux-mêmes.

Ne dites pas euthanasie mais « mort choisie passive »

Emmanuel Macron aura au moins réussi à mettre fin aux dissensions sur le sujet de l’aide active à mourir dans son propre camp. Le ministre de la Santé François Braun et le ministre des Solidarités Jean-Christophe Combe, qui avait exprimé leurs réticences à l’idée d’une modification de la loi sur la fin de vie, ont tous deux été évincés du gouvernement lors du récent remaniement.

Autre débat épineux, celui de la place de ce nouveau droit à mourir dans le corpus législatif. Le gouvernement souhaiterait l’inscrire dans le Code de la Santé Publique (CSP), mais se heurte là encore au refus des soignants, qui estiment que cela reviendrait à assimiler l’aide à mourir, quelle que soit sa forme, à un soin. Ils exigent donc au contraire une modification du code pénal afin que soit clairement posé une « exception à l’interdit de tuer », pour garantir la sécurité juridique des soignants qui aideraient leurs patients à mourir.

Comme si la situation n’était pas assez complexe comme cela, le gouvernement s’est en plus lancé dans une bataille sémantique. L’exécutif ne souhaite en effet utiliser dans sa future loi ni le terme « suicide assisté », qualifié d’oxymore par Emmanuel Macron, ni celui d’ « euthanasie », qui renverrait (par homophonie) aux crimes du nazisme. A la place, le gouvernement souhaiterait utiliser une expression encore indéfinie « où figure le terme mourir », comme « mort choisie active » (pour le suicide assisté) ou « mort choisie passive » (pour l’euthanasie). Des atermoiements qui inquiètent les juristes, qui rappellent que le Conseil Constitutionnel impose que la loi soit suffisamment claire, sous peine d’être censurée. « Il va falloir trouver des mots ou des formules juridiquement précis sur des sujets qui engagent la responsabilité pénale des acteurs » prévient François Stasse, ancien conseiller d’Etat et membre du Comité consultatif national d’éthique (CCNE).

Seule bonne nouvelle pour le gouvernement dans ce véritable chemin de croix, la volonté affichée par le Président de la République de renforcer l’offre de soins palliatifs. L’élaboration d’un plan décennal a été confié au Pr Franck Chauvin, cancérologue et la première ébauche de ce plan, présenté jeudi dernier, a été plutôt bien accueilli par des soignants. « Agnès Firmin Le Bodo est convaincue qu’en proposant l’assistance au suicide tout en promettant l’essor de soins palliatifs, la pilule passera mieux » explique un député de la majorité. Mais les soignants ne sont pas dupes. « Être d’accord pour développer les soins palliatifs n’empêche pas que subsistent nos désaccords sur l’aide active à mourir avec le gouvernement » rappelle le SFAP.

Quentin Haroche

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Vos réactions (2)

  • Active ou passive ?!

    Le 28 juillet 2023

    Franchement, on s'en fiche. Cela évoque plutôt des pratiques sexuelles - et particulièrement celle des anges.
    Soyons sérieux : l'idée de "mort choisie" est la seule qui compte, et l'on se demande bien pourquoi il faudrait la dénommer autrement que ce qu'elle est : un suicide.
    Alors voilà, la question est simple : "choisir de mourir" (se suicider) est-ce interdit ou autorisé, légal, réglementé, dans quelles conditions ? Au travail les législateurs !
    Vouloir complexifier le problème en introduisant cette ineptie d'acte autonome ou assisté, c'est vouloir étouffer le débat dans des arguties qui compromettent les soignants.
    S'il faut faire un distinguo utile à la réflexion, c'est entre hâter le décès pour écourter la mort et provoquer la mort pour écourter la vie.
    Pierre Rimbaud

  • Tout à fait

    Le 01 août 2023

    OK ! Le droit au suicide et c'est tout ! Seul ou assisté, pas un médecin ou un non médecin. Le seul problème : pas d'assassinat déguisé, et c'est tout. Nos politiques ont tué le pays, inutile de légiférer sur la fin de vie des quelques (français) survivants !

    Dr J-P Vasse

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