La PMA pour toutes victime de son succès

Paris, le jeudi 3 août 2022 – Deux ans après l’entrée en vigueur de la loi ouvrant la PMA à toutes les femmes, ce nouveau droit reste loin d’être effectif.

Ce devait être une avancée sociétale majeure pour ses partisans, un chamboulement anthropologique dangereux pour ses détracteurs : deux ans après l’adoption de la loi de bioéthique du 2 août 2021, la « PMA pour toutes », c’est-à-dire l’ouverture de la procréation médicalement assistée aux couples de femmes et aux femmes seules, reste en pratique essentiellement une promesse non tenue pour de nombreuses femmes désireuses d’enfants. En effet, après 24 mois, le bilan pratique de la loi est relativement limité : seulement 21 enfants ont vu le jour grâce à cette réforme et 444 grossesses sont en cours.

Si les effets de la loi du 2 août 2021 sont pour le moment relativement modestes, c’est pour partie parce que la PMA pour toutes est victime de son succès. En deux ans, ce sont 15 000 demandes de première consultation qui ont été déposés par des couples de femmes ou des femmes seules, là où le gouvernement ne tablait que sur 2000 à 3000 demandes pour la première année au moment de l’élaboration de la loi. Les autorités n’avaient notamment pas anticipé la forte attente de femmes seules, qui représentent 53 % de ces nouvelles demandes.

Double stock de sperme

Une hausse gigantesque des candidatures impossible à gérer pour le système français de l’aide à la reproduction, habitué avant la réforme à gérer environ 2 000 demandes par an déposées par des couples hétérosexuels souffrant de problème de fertilité. En conséquence, les centres d’aide médicale à la procréation (AMP) sont débordés et les délais d’attente s’allongent : alors que le gouvernement avait promis au moment de l’adoption de la loi qu’aucune femme n’aurait à attendre plus de 6 mois pour bénéficier d’une PMA, le délai d’attente moyen est actuellement de 14 mois. Les 13,5 millions d’euros débloqués par l’Etat en 2022 pour renforcer la filière de l’aide à la reproduction n’y ont pour le moment rien changé.

En visite au Centre d’étude et de conservation des œufs et du sperme humain (Cecos) du CHU d’Amiens ce mardi pour célébrer les deux ans de l’adoption de la loi, la ministre des Professionnels de Santé Agnès Firmin Le Bodo n’a pas esquivé le sujet. Pour réduire les délais d’attente, elle a notamment annoncé une augmentation d’au moins 25 % des centres habilités à pratiquer l’autoconservation des ovocytes, désormais autorisée même sans raison médicale pour toutes les femmes âgées de 29 à 37 ans. Selon la ministre, cela permettra de « libérer du temps pour les parcours de PMA ».

La ministre des Professionnels de Santé a également profité de ce jour anniversaire de la loi de bioéthique pour évoquer une question épineuse, celle de l’anonymat des donneurs de gamètes. En effet, en conséquence de la loi de bioéthique, depuis le 1er septembre 2022, les donneurs de gamètes doivent consentir à ce que les enfants issus de leurs dons puissent, à leur majorité, avoir accès à l’identité de leurs géniteurs. Cependant, les stocks de gamètes donnés avant le 1er septembre 2022 et pour lesquels les donneurs n’ont pas consenti au moment du don à la levée de leur anonymat, sont toujours utilisés.

Bientôt la PMA pour les hommes trans ?

Si le flou régnait pour le moment sur ce système de double stock, la ministre a précisé ce mercredi que les 110 000 paillettes de sperme donnés avant le 1er septembre 2022 pourront être utilisés jusqu’au 31 mars 2025, date à laquelle ce stock sera détruit. Les enfants issus de ces spermatozoïdes prélevés sous l’ancien régime n’auront donc pas la garantie qu’ils pourront avoir un jour accès à l’identité de leur géniteur.

La ministre a par ailleurs annoncé la création d’une « task force qui sera lancé prochainement pour organiser le transfert de paillettes de spermatozoïdes des centres les mieux dotés vers ceux dont les stocks sont moindres ».

Une bonne nouvelle cependant sur ce point : alors que certains craignaient que la levée potentielle de l’anonymat des donneurs de gamètes provoque une baisse des dons, un tel effet n’a pour le moment pas été observé, puisque 764 personnes ont candidaté pour un don de sperme en 2022, contre 600 en 2021 (mais il est vrai que la loi n’est entrée en vigueur qu’en septembre).

Enfin, deux ans après l’adoption de la PMA pour toutes par le Parlement, la question pourrait revenir sur les bancs de l’Assemblée. Le 5 juillet dernier, les députés LFI ont en effet déposé une proposition de loi visant notamment à ouvrir l’accès à la PMA aux hommes transsexuels (des personnes qui sont biologiquement des femmes mais qui s’identifient comme hommes) et à autoriser la technique ROPA, qui permet à une femme de porter un enfant issu de l’ovocyte de sa partenaire. « On verra quand ce débat arrivera dans l’hémicycle s’il arrive dans l’hémicycle » s’est contenté de réagir Agnès Firmin Le Bodo, alors que la proposition de loi n’est toujours pas inscrite à l’ordre du jour et que le gouvernement s’était opposé à la légalisation de la PMA pour les hommes trans et de la ROPA lors des débats parlementaires il y a deux ans.

Quentin Haroche

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Vos réactions (3)

  • Et pendant ce temps

    Le 03 août 2023

    Pendant ce temps "notre planète brûle et nous regardons ailleurs" (Chirac, 2002 !).
    Et pendant ce temps, la PMA pour tous/toutes occupe le devant de la scène médiatique et, plus grave, médicale. Ici et ailleurs.
    Pendant qu'ici on discute de la possible future "PMA pour homme trans", des centaines de milliers d'enfants meurent dans le monde faute de soins et malgré les efforts des ONG.
    La fracture dans la définition de la médecine entre les pays dits développés et la réalité du monde est devenue abyssale.
    Désolé pour ce coup de cœur.

    Dr T Heimburger

  • PMA pour toutES et touS...

    Le 04 août 2023

    Entièrement d'accord avec vous Dr. T. Heimburger sur tous les plans, sans compter que cela va augmenter le nombre de parentts "isolés", voire le nombre de "divorces" chez les couples homosexuels, la présence s'enfants amenant souvent de nombreuses frictions...

    Dr D Muller

  • Serial-donneurs de sperme ?

    Le 04 août 2023

    « … pour éviter que les dons réalisés avant ne soient détruits, des transferts vont être organisés des centres les mieux dotés en gamètes vers les centres qui en manquent. Le but étant là encore de raccourcir les délais… » (1).
    Après le serial-donneur néerlandais (2), qui serait à l’origine d’au moins 550 naissances (1), bientôt d’autres ?


    1. https://www.francetvinfo.fr/societe/pma/pma-pour-reduire-les-delais-le-gouvernement-va-elargir-le-nombre-de-centres-autorises-a-conserver-les-ovocytes_5985734.html
    2. https://www.liberation.fr/international/europe/aux-pays-bas-un-serial-donneur-de-sperme-interdit-de-faire-dautres-dons-20230428_JURV7NGBZBBTTJPKJITZI75LOA/

    Dr J hambura

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