La modestie suédoise de l’homme du non-confinement

Stockholm, le lundi 6 novembre 2023 – Devenu malgré lui un héros libertaire, l’épidémiologiste suédois Anders Tegnell défend trois ans plus tard sa stratégie du non-confinement.

En mars 2020, lorsque la pandémie de Covid-19 a frappé le monde, tous les pays occidentaux ont décidé d’adopter des mesures de restrictions de liberté sans précédent en confinant leur population pour éviter la propagation du virus. Tous sauf un : la Suède. Pendant que des centaines de millions d’Européens devaient rester cloitrés chez eux, les Suédois ont pu continuer leur vie presque comme si de rien n’était durant ces années de pandémie.

On a déjà plusieurs fois évoqué dans les colonnes du JIM le cas suédois. Depuis que le royaume scandinave a pris cette décision unique en Occident de ne pas confiner sa population, il a été présenté soit comme un exemple à suivre par les opposants au confinement, soit comme un repoussoir pour les partisans de mesures sanitaires strictes. Le fantasque milliardaire Elon Musk notamment, connu pour ses positions libertariennes, a ainsi plusieurs fois publiquement loué la politique sanitaire suédoise.

Une attention qui agace quelque peu l’homme derrière cette stratégie : le Dr Anders Tegnell. Celui qui était épidémiologiste en chef de Suède (un poste existant dans plusieurs pays scandinaves) au début de la pandémie (il a quitté son poste en mars 2022) et qui a donc dicté l’essentiel de la politique sanitaire du royaume durant cette crise n’apprécie pas d’être instrumentalisé par des politiciens étrangers.

La Suède n’est « pas un paradis libertaire »

« Nous n’étions pas une sorte de paradis libertaire » explique-t-il dans une interview à l’AFP à l’occasion de la sortie de son livre « Réflexions après une pandémie ». D’abord parce que, contrairement à ce que certains indiquent parfois, la Suède a bel et bien pris des mesures de restriction durant la pandémie, comme la fermeture des lycées et universités ou l’interdiction des rassemblements de plus de 50 personnes

Ensuite parce que cette stratégie ne reposait pas sur une idéologie libertaire, mais simplement sur l’idée que de simples recommandations étaient plus efficaces que des interdictions. « Manifestement, beaucoup ont interprété cette stratégie comme une approche passive, mais c’est un malentendu. Je croyais simplement que les gens pouvaient faire d’eux même » explique l’infectiologue.  

Ainsi, pendant que dans plusieurs pays d’Europe, les habitants devaient remplir des attestations de sortie contrôlées par la police pour quitter leur domicile, les Suédois ont simplement été incités à la prudence et au respect des gestes barrières. « Nous n’avons forcé personne et nous avons constaté un grand respect de nos recommandations » se félicite l’infectiologue. S’il reconnait que sa stratégie a pu être critiquée dans et hors de la Suède, il considère qu’elle a été plutôt bien accueillie par les Suédois. « C’était la première fois que notre administration recevait autant de fleurs » se rappelle-t-il.

Toujours pour couper court au débat politique, l’épidémiologiste rappelle que ses décisions, si elles ont pu étonner hors des frontières suédoises, étaient toujours motivées par des données scientifiques. Ainsi de son refus d’imposer le port du masque à la population, à l’exception des passagers de transports en commun, contrairement à ce qu’il en était dans la plupart des pays du monde.

« De nombreux pays d’Asie utilisent des masques dans les lieux publics depuis des décennies pour limiter la propagation des virus. Ce n’était pas mon rôle de juger s’ils ont fait fausse route pendant des années, mais dans l’ensemble de la recherche, je n’ai pu trouver aucune preuve que cela faisait une différence en mieux » explique-t-il modestement.

Moins de morts de la Covid-19 en Suède qu’en France

En étant quelque peu taquin, on pourrait noter qu’un autre élément qui distingue Anders Tegnell des autres scientifiques, notamment français, est qu’il reconnait ses erreurs. L’épidémiologiste en chef admet ainsi n’avoir pas pris les mesures nécessaires pour éviter la propagation du virus dans les maisons de retraite, où un très grand nombre de pensionnaires sont morts durant la première vague. « La situation était catastrophique, j’ai eu complètement tort » reconnait-il, lui qui pensait que le rassemblement des personnes âgées dans des maisons de retraite empêcherait qu’elles soient contaminées.

Trois ans et demi après le début de la pandémie, il est toujours difficile de dire si la Suède a fait ou non le bon choix en refusant de confiner sa population. Avec 2,4 morts de la Covid-19 pour 1 000 habitants, le royaume fait certes mieux que plusieurs pays européens qui ont confiné comme l’Italie (3,2 morts) ou la France (2,6 morts) mais beaucoup moins bien que ses voisins scandinaves comme le Danemark (1,5 mort) ou la Norvège (1 mort). Les comparaisons internationales sont sans doute délicates, la Suède ayant une population globalement en meilleure santé que la plupart des pays d’Europe.

Malgré le caractère rétrospectif de son livre, Anders Tegnell regarde également vers l’avenir et estime qu’une prochaine pandémie « dans les prochaines décennies » est inévitable. « Dans de nombreuses régions du monde, la population augmente, nous commençons à vivre dans des zones où nous n’avons jamais été auparavant et dans ces zones, il est très probable qu’il y aura de nouveaux types de virus que nous n’avons jamais vu » alerte-t-il.

Quentin Haroche

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Vos réactions (3)

  • Comparaison n'est pas raison.

    Le 06 novembre 2023

    Les facteurs d'une faible mortalité par Covid en Suède sont nombreux, sans rapport avec le choix de confiner ou non.
    Néanmoins, confiner la population entière est certainement un imbécillité, et la seule règle sanitaire valide en cas de pandémie contagieuse est d'éviter la promiscuité des sujets sains avec des sujet infectés. Il y a pour y parvenir de tout autres moyens que le confinement, mais ils exigent des citoyens une responsabilisation et des efforts dont certaines sociétés sont peut-être incapables.

    Dr P. Rimbaud

  • Mesure pour mesure.

    Le 07 novembre 2023

    Cette interview doit nous inciter à la circonspection et à la modération. La politique de le Suède n'a été ni irréfléchie ni dogmatique, ni miraculeuse ni calamiteuse. Ça a plus ou moins marché, sauf dans les EHPAD, un petit peu comme chez nous. Ainsi notre politique initiale covid 19 n'était ni absolument nécessaire, ni absolument à proscrire.
    On peut réussir plus ou moins bien de différentes façons.
    Appliquées au debat français ces constatations ne peuvent que nous interroger : où a-t-on vu un début d'interrogation ou de relativisation des décisions politiques françaises sur le covid 19 ? Le débat est, a posteriori, encore dominé par l'idée générale qu'existaient camp du bien et camp du mal, celui des obéissants, des scientifiques et des rationnels et celui des complotistes, des hurluberlus, ou des savants fous.
    A posteriori, et connaissant ce que nous connaissons à l'heure actuelle, qu'aurait-on pu proposer comme mesures optimales ?
    L'impossibilité de mener un débat critique mesuré sur les décisions prises alors dans l'ignorance et l'urgence doit nous étonner, en fait nous consterner.
    Quel chemin à parcourir !

    Dr G. Bouquerel

  • Debrieffer sans dogmatisme ni idéologie est indispensable

    Le 12 novembre 2023

    C'est ce a quoi nous incite cette analyse : regarder rétrospectivement ce qui a été utile, pas utile, marché, pas marché, coûteux, pas coûteux, possible, pas ou difficilement possible, tout ça de manière objective et en tirer des enseignements : pour les exercices et simulations des crises sanitaires et épidémies à venir, pour les protocoles et les ressources à maintenir et les moyens de les entretenir...

    M. Dupres

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