
Paris, le mardi 19 décembre 2023 – Pour convaincre les députés LR de voter le projet de loi sur l’immigration qui pourrait sortir de commission mixte paritaire ce soir, la Première Ministre a promis une réforme de l’AME, mais dans un texte spécifique.
Sortie par la porte, l’aide médicale d’Etat (AME) revient par la fenêtre. Le 29 novembre dernier, lors de l’examen du projet de loi sur l’immigration en commission des lois, les députés avaient voté le rétablissement plein et entier de ce dispositif assurant des soins gratuits pour les immigrés clandestins (sous conditions de ressources), trois semaines après que le Sénat a adopté un amendement à cette loi prévoyant de remplacer cette AME par une aide médicale d’urgence (AMU) limité aux soins les plus urgents et vitaux.
Le vote des députés semblait a priori avoir clos le débat. Mais les évènements se sont accélérés depuis : le projet de loi sur l’immigration a été rejeté le 11 décembre dernier par l’Assemblée Nationale et le gouvernement doit désormais absolument obtenir le soutien des députés LR pour faire aboutir la commission mixte paritaire (CMP), qui planche sur le texte depuis ce lundi.
Pour gagner ces précieuses voix, l’exécutif a donc décidé de concéder à la droite ce qu’elle réclame depuis tant d’années, à savoir une réforme de l’AME. Dans une lettre adressée ce lundi au président du Sénat Gérard Larcher, la Première Ministre Elisabeth Borne lui promet qu’une réforme de ce dispositif médical aura bien lieu en 2024.
Vers une réforme a minima de l’AME ?
« Je souhaite vous informer que j’ai demandé aux ministres concernés de préparer les évolutions réglementaires ou législatives qui permettront d’engager une réforme de l’AME » écrit la cheffe du gouvernement au président de la chambre haute. « Les évolutions nécessaires devront être engagées en début d’année 2024 ». Si l’exécutif semble céder sur la possibilité de rogner sur l’AME, cette réforme n’aura en revanche pas sa place dans le projet de loi sur l’immigration actuellement débattue en CMP. Elisabeth Borne estime en effet (un peu tardivement) que « l’objet même de ce projet de loi n’est pas adapté pour réviser ce dispositif de santé publique » et que « le Conseil Constitutionnel considèrera à coup sûr qu’il s’agit d’un cavalier législatif ».
Sans annoncer clairement quelle sera la portée de cette réforme de l’AME à venir, Elisabeth Borne prévient tout de suite qu’il ne s’agira nullement d’abandonner le dispositif de l’AME. Elle s’appuie notamment sur le rapport remis le 4 décembre dernier par Claude Evin (ancien ministre de la Santé) et Patrick Stefanini qui a conclu que « l’AME est un dispositif sanitaire utile, globalement maîtrisé et qu’il ne constitue pas en tant que tel un facteur d’incitation à l’immigration irrégulière dans notre pays ».
La Première Ministre suggère d’ailleurs de reprendre les propositions de réforme contenues dans le rapport, qui constituent essentiellement des ajustements techniques, comme un meilleur contrôle des conditions d’accès à l’AME ou une extension du recours au dispositif d’accord préalable de la CNAM pour le paiement des soins non urgents.
L’AME, une arme essentielle pour la lutte contre le VIH
La mise en avant dans le débat public de la réforme de l’AME depuis six semaines a poussé de nombreux médecins et acteurs du système de santé à prendre publiquement parti en faveur de ce dispositif, expliquant que l’AME répondait tout à la fois à un devoir d’humanité, à un objectif de santé publique et même à des considérations financières, puisque repousser les soins prodigués aux immigrés pourrait au final coûter plus cher à la collectivité.
Ce lundi, c’était au tour d’Arnaud Robinet, président de la Fédération hospitalière de France (FHF) de venir à la rescousse de l’AME. Le maire de Reims a rappelé que l’AME ne représentait que « 0,5 % du budget de la santé » et que « sa suppression aurait des conséquences dramatiques ». « Si on supprime l’AME, les financements vont être assurés par les hôpitaux publics, on va accentuer les déficits des hôpitaux publics puisqu’il y aura des prises en charge ».
Mardi dernier, les membres de l’université du changement en médecine, un think thank sur la santé, alertaient quant à eux sur les conséquences dramatiques qu’aurait la suppression de l’AME pour la lutte contre le VIH. « L'AME est une chose importante qu'il faut améliorer, pas supprimer ; sinon, nous allons créer des poches épidémiques qui vont nous exploser à la figure », explique Michel Bourrelly, président de l’association « Marseille sans SIDA ».
« Pour casser la dynamique du VIH, il faut que l'on permette davantage aux migrants d'accéder à la PrEP : aujourd'hui les personnes étrangères doivent attendre six mois pour accéder à l'AME, c'est contradictoire avec la volonté politique affichée de mettre fin à l'épidémie » ajoute Giovanna Rincon, présidente de l’association Acceptess-T.
Quentin Haroche