
La pandémie de la Covid-19 a été la plus grande épidémie de maladie infectieuse depuis une génération, tuant plusieurs millions de personnes en trois ans. Bien que la phase d'urgence soit maintenant révolue, il semble nécessaire de se préparer à de nouvelles épidémies liées à des virus respiratoires peut-être plus complexes et potentiellement mortels [1].
La vaccination a été une stratégie essentielle permettant d’éviter des millions de décès. L’importance de la communication avec la population s’est révélée primordiale pour une meilleure acceptation des stratégies vaccinales. Dans de nombreux pays, la circulation concomitante du SARS-CoV-2 et de virus grippaux a nécessité l’utilisation simultanée de vaccins grippaux.
Pour les professionnels de santé, il est important de comprendre l'opinion du public sur l’utilisation des vaccins en période épidémique, pendant laquelle une co-administration de vaccins est possible (vaccins habituellement utilisés comme celui de la grippe, et vaccin utilisé dans la cadre d’une épidémie), et d’en tirer les conclusions en matière de communication et de stratégie vaccinale.
Aux Etats-Unis, une équipe de chercheurs, principalement de la Harvard T. H. Chan School of Public Health (HSPH), a conduit une enquête pour étudier les attitudes de sujets adultes américains vis à vis de la co-administration de vaccins (Covid-19 et grippe) afin d'orienter la prise de décision des responsables de santé en matière de politiques vaccinale pour la lutte contre d’éventuelles autres épidémies. Cette étude a été publiée dans le JAMA Network Open en décembre 2023 [2].
Un échantillon représentatif de la population états-unienne
Les données proviennent d'une enquête menée du 7 au 16 juillet 2023 auprès d'un échantillon représentatif d'adultes états-uniens. Les enquêteurs ont recueilli, en ligne et/ou par téléphone, les réponses à un questionnaire portant sur les opinions (efficacité et sécurité des vaccins) et attitudes à l'égard de la vaccination Covid-19, et d’une éventuelle association avec le vaccin antigrippal (intentions de vaccination et principales raisons de leur éventuelle hésitation).
Le questionnaire a été élaboré sur la base des meilleures pratiques de l'American Association of Public Opinion Research. Avant d'être envoyé, il a fait l'objet d'un pré-test auprès d'un sous-échantillon de participants afin d'en améliorer la clarté et de vérifier l'équilibre et la compréhension. La liste des questions posées peut être consultée sur le site «https://cdn.jamanetwork.com».
Deux populations ont été ciblées : l’ensemble des adultes âgés de 18 ans et plus, et les sujets âgés de 50 ans et plus, qui peuvent présenter un risque élevé de maladie grave et de décès. Les données ont été pondérées en fonction des paramètres du recensement américain afin de produire des estimations représentatives au niveau national.
Au total, 3 232 sujets ont été invités à participer, dont 44 % ont répondu à l’enquête (n=1 430 dont 659 âgés de 50 ans ou plus).
Comment surmonter les hésitations ?
Autant de personnes ont déclaré que les vaccins anti Covid-19 et les vaccins antigrippaux étaient très efficaces (42 % et 40 %, respectivement), ou assez efficace (28 % et 38 %), pour protéger contre les formes graves des maladies et pour éviter l’hospitalisation ; pour les sujets âgés de 50 ans et plus, l’efficacité était estimée meilleure (50 % très efficace, 49 % assez efficace).
En revanche, les avis divergeaient pour ce qui concerne la sécurité des vaccins. Une plus grande proportion de personnes a déclaré que les vaccins antigrippaux étaient très sûrs par rapport aux vaccins Covid-19 (55 % contre 41 %). De même, les intentions de se faire vacciner différaient : 49 % des personnes interrogées ont déclaré qu'il était très probable qu'elles se fassent vacciner contre la grippe saisonnière en 2023, contre 36 % avec le vaccin COVID-19 mis à jour. Les tendances étaient similaires chez les plus de 50 ans.
Chez les adultes plus hésitants (ceux qui ne sont pas très susceptibles de se faire vacciner), les préoccupations concernaient essentiellement l’adaptation des vaccins aux nouveaux variants du SARS-CoV-2. Par rapport aux adultes hésitants vis-à-vis du vaccin antigrippal, une plus grande proportion des hésitants vis-à-vis du vaccin Covid-19 citait comme raisons de leur hésitation le souhait que davantage de recherches soient effectuées, des inquiétudes concernant la sécurité et l'efficacité des vaccins, et le fait de se croire déjà bien protégé par une vaccination ou une infection antérieure.
En outre, alors que les mêmes agences gouvernementales et sociétés pharmaceutiques font la promotion des 2 types de vaccins, une plus grande proportion d'adultes hésitants à l'égard du vaccin Covid-19 ont fait part de leur méfiance vis à vis de ces agences et sociétés. Les résultats étaient similaires chez les adultes âgés de 50 ans et plus.
Les limites de cette étude comprennent l'utilisation de données transversales et autodéclarées, ainsi que le risque de biais de non-réponse (56 % de non-réponse à l’enquête).
Dans cette enquête, les adultes américains, y compris les sujets plus âgés les plus exposés au risque de maladie grave, étaient plus réticents à l'égard des vaccins Covid-19 que vis-à-vis des vaccins antigrippaux.
Selon les auteurs, les professionnels de la santé doivent donc s'attendre à une demande limitée de vaccins Covid-19 et à un intérêt modéré pour les vaccins antigrippaux. Lorsque la co- administration est proposée, les communications devraient commencer par le vaccin antigrippal le plus populaire, fournir des messages cohérents sur la sécurité et l'efficacité des deux vaccins et aborder les croyances spécifiques, telles que les limites de la protection conférée par une infection antérieure par le Covid-19. Ils concluent que l'hésitation vaccinale aux États-Unis n'est pas monolithique, et qu'il est essentiel que les professionnels de santé prennent en compte les nuances de l'opinion publique pour promouvoir l'acceptation des vaccins cette saison et au-delà [3].
Même réticence en France pour la vaccination Covid-19
Selon le Ministère de la Santé, respectivement 18 et 19 millions de personnes sont concernées par la vaccination contre la grippe et le Covid-19. Au cours de l’hiver dernier, la couverture vaccinale des personnes à risque de grippe sévère était de 51,5 %. Lors des campagnes de vaccination automnale et printanière contre la Covid-19 en 2022-2023 et à date de juillet 2023, 26,8 % des 65-79 ans ont reçu une dose de vaccin adapté. Pour les personnes âgées de 80 ans et plus, la couverture est de 28,6 % [4].
Ainsi en France comme aux USA, il y a une meilleure adhésion à la vaccination contre la grippe, même si la couverture vaccinale est trop faible (objectif de l’OMS : 75 % pour les personnes à risque sévère de grippe).
Pr Dominique Baudon