
L’expansion de la chirurgie robotique parait inarrêtable. Pourtant, la comparaison entre cholécystectomie robotique et coelioscopique ne parait pas en faveur de la chirurgie robot-assistée selon cette étude…
Alors que l’on pensait les bénéfices de la chirurgie par voie robotique limités à certaines procédures (comme la prostatectomie), son développement tous azimuts et certains résultats chirurgicaux peu flatteurs en chirurgie cervicale et mammaire ont conduit la FDA (Food And Drug Administration) à émettre publiquement des réserves.
Le champ de la chirurgie générale et digestive est particulièrement concerné, avec une multiplication par sept du nombre des cholécystectomies réalisées par voie robotique (CR). Il existe à présent un consensus en faveur de de la cholécystectomie coelioscopique (CC) par rapport à la cholécystectomie « ouverte » (CO) pour les cholécystectomies électives mais une trentaine d’années ont été nécessaires pour que la nécessité d’une courbe d’apprentissage, la création de programmes de formation et le développement d’une culture de sécurité spécifique de la CC rendent les résultats de celles-ci superposables à ceux de la CO. Dans ce cadre, la place de la CR reste à définir. Les arguments de ses partisans se basent sur la vision en trois dimensions, l’utilisation d’instruments multi-articulés autorisant des gestes plus complexes de façon non invasive ainsi qu’une meilleure appréhension de l’anatomie biliaire. Les études portant sur la sécurité de la CR ont montré des résultats comparables à ceux de la CC mais elles émanent de centres experts en chirurgie robotique, comportant forcément un risque de biais. Dans des mains non expérimentées, la sécurité de la CR reste à rapporter. C’est l’objectif que se sont donné les auteurs de cette étude se basant sur une large cohorte de patients opérés sur une période de dix ans.
Une étude rétrospective dans une cohorte de malades âgés
Entre janvier 2010 et décembre 2019, tous les patients bénéficiaires du Medicare, cholécystectomisés en ambulatoire ou lors d’un séjour de moins de 24 heures, âgés de 66 à 99 ans ont été inclus (n= 1 026 088). Etaient exclus les patients porteurs de cancer de la vésicule, des voies biliaires ou du foie. Le critère principal de jugement était la survenue d’une plaie des voies biliaires nécessitant une dérivation bilio-digestive dans les 12 mois post-opératoires. Les critères secondaires étaient la survenue d’une complication biliaire mais ne nécessitant pas de dérivation bilio-digestive (traitée par endoscopie biliaire le plus souvent) ainsi que le taux global de complications dans le mois suivant l’intervention. Une analyse uni- puis multivariée a été réalisée. De façon à réduire le biais de sélection causée par l’option des chirurgiens en faveur d’une CR plutôt que d’une CC, l’étude a tenu compte de la proportion de CR réalisée au niveau de la région d’origine dans l’année précédente et de sa relation avec d’autres variables comme l‘âge, le sexe, l’origine ethnique, les comorbidités, le diagnostic principal et l’année. Les auteurs ont aussi tenu compte dans l’interprétation des résultats du taux global de procédures réalisées par voie robotique au niveau de chaque hôpital.
5 % des cholécystectomies étaient robot-assistées en 2019
Sur la période de l’étude, le nombre de CR a augmenté de 37 fois passant de 211 chez 147 341 patients en 2010 (0,1 %) à 6 507 CR/125 211 patients en 2019 (5,2 %). Sur la même période, le nombre de CC passait de 111 149 chez 147 341 patients en 2010 (75,4 %) à 97 427 CC/125 211 patients en 2019 (77,8 %). Les CO diminuaient de 35 981/147 341 patients en 2010 (24,4 %) à 21 277 CO/125 211 patients en 2019 (17 %).
Pendant l’étude, 12 819 patients ont eu une plaie des voies biliaires nécessitant une réparation soit 1,2 % des procédures. Pour toutes les procédures, le taux de complications a baissé avec le temps. Pour la CC, le taux de plaies biliaires est passé de 0,3 % (n = 315) en 2010 à 0,1 % (n = 138) en 2019. Pour la CR, le taux est passé de 0,7 % (n = 14) en 2013 à 0,5 % (n = 29) en 2019. Par rapport aux patients traités par CC, ceux ayant eu une CR étaient significativement plus jeunes, plus souvent africains, afro-américains ou hispaniques (p <0,001) et avaient également plus de comorbidités (p <0,001). Ces patients traités par CR étaient plus souvent pris en charge de façon élective et moins pour une cholécystite aiguë ou chronique (p <0,001). La CO était logiquement plus souvent réalisée en cas de cholécystite aiguë ou chronique qu’en cas de calculs non compliqués ou de pancréatite d’origine lithiasique. La CO avait un taux de complications biliaires de 2,9 % et était impliquée dans 30,1 % des complications globales.
Un risque de plaie biliaire chirurgicale 3 fois plus important
Par rapport à la CC, la réalisation d’une CR était associée à un taux plus élevé de plaies biliaires nécessitant une réparation par anastomose bilio-digestive (0,7 % vs 0,2 % ; RR 3,16 [IC 95 % 2,57-3,75]), d’interventions biliaires (7,4 vs 6,0 % ; RR 1,25 [1,16-1,33]) et de complications graves (9,3 vs 8,6 % ; RR 1,08 [1,03-1,13]). Le taux de complication globale à 30 jours ne différait pas entre CR et CC (20,5 % vs 20,6 % ; RR 1 [0,97-1,03]). Les taux de complications biliaires de la CR était significativement plus élevés que pour la CC qu’il s’agisse d’interventions électives (1,3 % vs 0,5 %), urgentes (0,3 vs 0,2 %) ou pour cholécystite aiguë ou chronique (0,5 vs 0,2 %).
Pour les auteurs de l’étude et en l’absence d’autres avantages par rapport à une procédure mini-invasive et sûre comme l’est la CC, le choix d’une CR est discutable ce d’autant que les coûts induits sont supérieurs. Les limites de cette étude résident dans son caractère rétrospectif et la sous-estimation de biais potentiels (analyse globale et pas dans le détail des facteurs socio-économiques, des comorbidités et de la complexité éventuelle des procédures). De la même façon et comme cela est bien connu en matière de CC, le rôle de la sévérité et de la chronicité de l’inflammation vésiculaire ne peut être que globalement apprécié. Enfin la cohorte étudiée était une population âgée de plus de 66 ans ce qui peut limiter la généralisation des ses conclusions.
Dr Joël Pitre