
Paris, le lundi 29 janvier 2024 – Les dispositions de la loi immigration visant à restreindre les droits à la santé de certains immigrés ont été retoqués par le Conseil Constitutionnel. La création d’un titre de séjour pour les médecins étrangers est en revanche maintenue.
Comprendre la logique des décisions du Conseil Constitutionnel n’est pas forcément chose aisée, pour les profanes bien sûr mais également parfois pour ceux qui sont formés à l’art du droit constitutionnel. Toujours est-il que les « sages » de la rue de Montpensier ont rendu leur verdict sur le controversé projet de loi sur l’immigration ce jeudi et qu’il s’impose à tous, que l’on s’en réjouisse ou qu’on s’en désole. Sur les 86 articles adoptés par les parlementaires le 19 décembre dernier, 32 articles ont été supprimés, soit la quasi-totalité des dispositions rajoutés au texte du gouvernement par les députés et sénateurs de droite et d’extrême-droite.
Les déboutés du droit d’asile conservent le droit à une santé gratuite
Les articles visant à réduire les droits à la santé de certaines catégories d’étrangers ont ainsi été censurés par le Conseil Constitutionnel, ayant été considérés comme des « cavaliers législatifs ». Derrière cette formulation, réside un principe qui interdit d’insérer par voie d’amendement dans une loi une disposition qui n’a pas de lien, « même indirect » nous dit l’article 45 de la Constitution, avec le texte original, les neufs membres du Conseil faisant cependant une application assez discutable de cette règle.
Ainsi, la disposition, introduite par des parlementaires de droite, visant à interrompre la prise en charge des frais de santé par l’Etat dont bénéficient les demandeurs d’asile dès lors que l’Office français de protection des réfugiés (Ofpra) leur a définitivement refusé le droit à l’asile (et qu’ils doivent donc, en principe, quitter le territoire français) a été censurée. Le Conseil Constitutionnel a en effet jugé que cette mesure ne présentait pas de lien « même indirect » avec le projet de loi original du gouvernement.
Même raisonnement et même conclusion pour les dispositions visant à durcir les conditions de l’immigration médicale. La droite souhaitait en effet que les étrangers souhaitant se rendre en France pour y bénéficier de notre système de santé doivent prouver au préalable qu’ils ne peuvent pas trouver les mêmes soins dans leur pays d’origine. Là encore, le Conseil Constitutionnel juge que la disposition est hors-sujet et constitue par conséquent un cavalier législatif.
Etrangement, les juges n’appliquent pas le même raisonnement à la disposition qui met fin à la prise en charge par l’aide sociale à l’enfance (ASE) des majeurs de moins de 21 ans qui font l’objet d’une obligation de quitter le territoire français (OQTF). Cette fois et sans s’expliquer sur cette différence de raisonnement, le Conseil Constitutionnel juge que la disposition « ne peut pas être regardée comme étant dépourvue de lien, même indirect » avec le projet original du gouvernement. La mesure a donc été conservée dans le texte final de la loi.
Vers une nouvelle proposition de loi sur l’immigration ?
Promulguée ce vendredi, la nouvelle loi sur l’immigration prévoit également de créer une carte de séjour « talent-profession médicale et de la pharmacie » (disposition qui n’a pas été attaquée devant le Conseil Constitutionnel). D’une durée maximale de quatre ans, cette carte pourra être délivrée aux médecins, dentistes, sage-femmes et pharmaciens diplômés hors de l’Union Européenne, les fameux PADHUE, placés depuis plusieurs années dans une situation administrative très complexe mais dont de nombreux établissements de santé ont besoin pour continuer à fonctionner.
Dans le même sens, lundi dernier, le ministère de la Santé a décidé d’accorder une autorisation d’exercice temporaire aux milliers de médecins étrangers qui avaient échoué à l’épreuve de validation des connaissances (EVC) de l’an dernier et qui avaient donc perdu, en principe, le droit d’exercer en France (rayant ainsi d’un trait de plume l’intérêt de ce « concours » !).
La censure des différentes dispositions visant à réduire les droits à la santé des étrangers ne met pas définitivement fin au débat sur la question. En effet, ces dispositions ont été, encore une fois, retoquées car assimilées à des « cavaliers législatifs », c’est-à-dire pour une question de procédure et le Conseil Constitutionnel précise bien que sa décision « ne préjuge pas de la conformité du contenu de ces dispositions aux autres exigences constitutionnelles », donc sur le fond.
Rien n’interdit donc à des parlementaires de droite (et certains commencent déjà à l’évoquer) à réintroduire ces dispositions dans une proposition de loi et à retenter « leur chance » devant le Conseil Constitutionnel, sans qu’aucun risque de voir surgir un « cavalier législatif » ne vienne brouiller les débats cette fois. Par ailleurs, le gouvernement a réitéré ce vendredi sa promesse faite à la droite de réformer l’aide médicale d’Etat (AME). Nous n’avons donc pas fini d’entendre parler de droit à la santé des étrangers.
Quentin Haroche