A la poursuite d'Octobre rose

Paris, le samedi 11 octobre 2014 – Puisqu’il existe bien des phobies administratives, il n’est pas impossible qu’il existe des sujets que le rose rende tout chose. Pauvre d’eux, le mois d’octobre doit leur être bien difficile à vivre. Car de l’Empire State Building en passant par les façades de nombre de nos CHU, des soutiens gorges des stars aux rubans que les vedettes épinglent sur le revers de leurs vestes : tout est rose. Sur internet, même débauche de rose (pigmentée ça et là de quelques poitrines dévêtues) que l’on retrouve notamment sur de nombreux blogs, érigeant parfois ce mois dédié à la promotion du dépistage du cancer du sein en fête quasiment féministe, si l’on ose.

Controverses sur la place publique

Cette année, « Octobre rose » se porte bien. Hier encore, il n’était pas si facile de se faire l’apôtre du dépistage du cancer du sein. Brouillant le message limpide des autorités autoritaires, assurant le bénéfice d’un dépistage systématique du cancer du sein tous les deux ans chez les femmes de 50 à 74 ans, une kinésithérapeute, Rachel Campergue publiait en 2011 un livre intitulé « No Mammo » évoquant les doutes très sérieux existant sur la pertinence du dépistage en terme de santé publique. A l’époque, la publication de l’essai avait fait son petit effet, rendant plus difficile la transmission de « l’information » concernant le dépistage. L’année d’après, c’est l’Union française des consommateurs (UFC) qui avait joué les aiguillons. Une étude publiée dans la revue Que Choisir mettait clairement en évidence le manque d’objectivité des brochures, prospectus et autres interventions télévisées concernant le dépistage. En clair : les questions liées aux surdiagnostics, surtraitements et au-delà à l’efficacité du dépistage quant à la diminution de la mortalité étaient très largement éludées. Là encore, l’étude avait fait un peu de bruit.

Le mois de la désinformation rose

Mais cette année, Octobre est bel et bien rose. Les empêcheurs de dépister en rond se sont fait plus discrets. Sont-ils totalement cois? Pas si sûr. Une « veille » continue à exister sur plusieurs blogs. Cette dernière peut s’attaquer frontalement aux problèmes posés par le dépistage systématique et d’autres de façon plus détournée à l’absence totale d’impartialité des messages adressés aux femmes.

Concernant le dépistage en lui-même, l’auteur du blog Hippocrate et Pindare a lancé les hostilités dès le mois de septembre, titrant une de ses notes : « Bientôt octobre, le mois de la désinformation Rose ». Dans ce post, il renvoie notamment à une longue note rédigée quelques mois plus tôt par le docteur Nathalie Péronnet Salaün sur le blog collectif « Voix médicales ».

Arracher tous les rubans

Rappelant en guise de prologue qu’un éditorial publié le 25 avril 2014 dans le British Medical Journal appelait toutes les femmes à « arracher les rubans roses et faire campagne pour une information honnête », Nathalie Péronnet Salaün y examinait le programme de dépistage français au regard des dix critères définis par l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) que doit remplir un programme de dépistage pour que sa systématisation à l’ensemble de la population se justifie. Les dix critères sont énumérés par le praticien : « 1)  La maladie dont on recherche les cas constitue une menace grave pour la santé publique. 2)  Un traitement d’efficacité démontrée peut être administré aux sujets chez lesquels la maladie a été décelée. 3)  Les moyens appropriés de diagnostic et de traitement sont disponibles. 4)  La maladie est décelable pendant une phase de latence ou au début de la phase clinique. 5)  Une épreuve ou un examen de dépistage efficace existe. 6)  L’épreuve utilisée est acceptable pour la population. 7)  L’histoire naturelle de la maladie est connue, notamment son évolution de la phase de latence à la phase symptomatique. 8)  Le choix des sujets qui recevront un traitement est opéré selon des critères préétablis. 9)  Le coût de la recherche des cas (y compris les frais de diagnostic et de traitement des sujets reconnus malades) n’est pas disproportionné par rapport au coût global des soins médicaux. 10) La recherche des cas est continue et elle n’est pas considérée comme une opération exécutée une fois pour toutes ». Rigoureusement, pour chacun des items, Nathalie Péronnet Salaün analyse ensuite si le programme français répond bien aux règles énoncée. Il apparaît ainsi selon elle que la réalisation d’une mammographie systématique tous les deux ans chez les femmes à partir de 50 ans, telle qu’elle est préconisée en France répond bien aux deux premiers critères. Mais après les choses se gâtent : le médecin estime ainsi que le troisième critère (existence de moyens appropriés de diagnostic et de traitement) n’est que « partiellement remplie » évoquant notamment ici les cas de surdiagnostic, de faux négatif et de surtraitement. Toutes les autres règles énoncées à l’exception de la dernière ne sont pas « remplies » par la réalisation d’une mammographie systématique détaille le praticien, qui note à propos de « l’acceptabilité » que « les données disponibles ne permettent pas de nous prononcer ». Concluant ce très long exposé, Nathalie Péronnet Salaün estime qu’il conduit sans détour à dire « stop aux brochures qui trompent les femmes : une mammographie tous les deux ans chez une femme à partir de 50 ans ne répond pas à l’ensemble des dix critères de l’OMS définissant un dépistage organisé contrairement à ce que prétend la brochure distribuée aux femmes concernées ».

Une campagne belle comme un camion

On le voit, pour dénoncer le caractère non objectif des informations délivrées aux femmes, certains n’hésitent pas à s’atteler à un très long et rigoureux travail d’analyse. D’autres préfèrent des attaques plus ciblées. Le docteur Sylvain Fevre, sur le blog « ASK » (également signalé par Hippocrate et Pindare) se concentre ainsi dans une note récente sur ce qu’il appelle la « mammobile dès 40 ans ». Le praticien a en effet repéré dans l’arsenal déployé par l’Agence régionale de Languedoc Roussillon dans le cadre d’octobre rose un camion proclamant à propos du dépistage : « Utile dès 40 ans – On a tous à y gagner ». Problème numéro un note Sylvain Fevre : cette affirmation n’est pas conforme au message « officiel » qui n’inclut que les femmes de 50 à 74 ans dans le programme de dépistage systématique (précisons comme le fait Sylvain Fevre que l’on parle ici des femmes sans antécédents familiaux ou risque spécifique). Problème numéro deux : l’ARS est une récidiviste. L’année dernière, son petit camion rose promenait déjà ce message. Alerté, l’Institut national du cancer avait finalement daigné répondre, mais de façon peu officielle, commentant le post indigné d’une blogueuse, « Hélène La Crabahuteuse ». « Il est, en effet, tout à fait juste de rappeler que le programme national de dépistage organisé du cancer du sein porte sur la tranche d’âge 50-74 ans (…) Pour la tranche d’âge 40-49 ans, les bénéfices attendus sont effectivement moindres alors que les risques sont plus élevés (cancers radio-induits, surdiagnostic) (…). Nous considérons qu’il n’y a pas lieu, en l’état des évaluations et recommandations nationales actuelles, de proposer ni de soutenir un dépistage par mammographie à des personnes de 40-49 ans sans facteur de risque particulier, que ce soit ou non en mammobile » écrivaient les responsables de l’INCA. Un message qui semble avoir été totalement ignoré par l’ARS comme le relève Sylvain Fevre. « Des chiens peuvent aboyer jusqu’aux oreilles de l’INCA, la caravane continue de passer paisiblement » note-t-il.

Ciblant cette communication excessive (tout au moins aux yeux de l'INCA), Sylvain Fevre ne cache cependant pas que ses critiques portent sur l’ensemble de la campagne de sensibilisation. Il note en effet que « la mammobile dès 40 ans [est une] infime partie émergée de l’iceberg flottant dans les eaux troubles du dépistage du cancer du sein » avant en conclusion de rappeler ses lecteurs au bon souvenir de Rachel Campergue.

Les statistiques impuissantes face aux belles histoires

L’auteur de No Mammo a en effet elle aussi récidivé. Dans une note publiée cette semaine, elle remarque tout d’abord qu’en dépit des nombreuses études « démontrant le peu d’impact de la mammographie sur la mortalité (…) les slogans d’Octobre rose n’ont rien perdu de leur aplomb et le grand public dans son ensemble est toujours tenu à l’écart du débat en cours dans la communauté scientifique sur la balance bénéfices/risques du dépistage du cancer du sein. Cela s’explique aisément. Pour les statistiques, face à la belle histoire - celle de la survivante dont la vie fut « sauvée » par la mammographie -le combat est perdu d’avance. Le battage médiatique intense l’emportera toujours sur les études du British Medical Journal ». Voilà qui n’a cependant pas incité Rachel Campergue à renoncer. Après son premier opus qui se basait sur les résultats des études scientifiques mettant en doute la pertinence et l’efficacité du dépistage, elle revient en effet avec un nouvel ouvrage qui se fait fort de décrypter les « éléments de langage » « manipulateurs » utilisés par les promoteurs d’Octobre rose. « En même temps que la sensibilisation au cancer du sein est apparue une nouvelle langue (…). Nous avons à présent la LOR, Liguan October Rosa, la langue d’Octobre rose. Une langue dans laquelle « informer » signifie « convaincre », « prévenir » signifie « constater » ce que l’on n’a pu, justement, prévenir, et ainsi de suite » explique-t-elle sur son blog où elle dévoile les objectifs de ce nouvel essai intitulé « Octobre rose mot à maux ». « Il ambitionne de donner (ou redonner) le goût du décryptage. La vigilance sur l’emploi qui est fait des mots ne doit pas être une corvée mais un plaisir. En effet, si la campagne de sensibilisation au dépistage du cancer du sein est une saison relativement pénible pour les personnes un tant soit peu informées, elle procure toutefois de bons moments lors de la découverte de perles. Il arrive fréquemment, tant du côté des journalistes que de celui des promoteurs du dépistage, que l’on se mélange les pinceaux. Un lapsus par ci, un aveu par là, un excès de zèle pour couronner le tout, et l’affirmation ou le slogan censés nous convaincre se retournent contre l’émetteur du message en le décrédibilisant tout à fait » signale-t-elle.

Ainsi on le voit, bien que moins exposés qu’auparavant, ceux qui refusent de voir tout à fait octobre en rose continuent cependant de fourbir leurs arguments sur la toile.

Des arguments que l’on peut lire ici :
http://hippocrate-et-pindare.fr/2014/09/12/bientot-octobre-le-mois-de-la-desinformation-rose/
http://www.voixmedicales.fr/2014/09/08/vous-avez-dit-campagne-organisee-de-depistage-du-cancer-du-sein-par-mammographie/
http://sylvainfevre.blogspot.fr/2014/09/les-chiens-aboient-la-caravane-passe.html
http://www.expertisecitoyenne.com/2014/10/05/octobre-rose-mot-a-maux-pour-une-reelle-liberte-de-choix/
Et qui rappellent des notes préhistoriques de Christian Lehmann (qui fustigeait la différence entre les communications françaises totalement partiales et anglaises bien plus transparentes) ou du docteur Jean-Claude Grange en 2011 qui ne manquaient pas non plus de sel.
http://enattendanth5n1.20minutes-blogs.fr/archive/2011/09/29/octobre-rose.html
http://docteurdu16.blogspot.fr/2011/09/david-elia-nest-pas-un-sein.html

Aurélie Haroche

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