
Baltimore, le samedi 2 mars 2013 – Ce qui frappait d’abord, c’était sa beauté. Il y a ces yeux perçants qui ne vous regardent pas exactement de face, mais qui demeurent fiers, nulle honte ne les traverse. Il y a ce visage fin encadré par cette puissante chevelure noire, que l’on devine souple. Il y a un voile sur ces cheveux très discrets. Mais ce voile est là pour cacher. Non pas pour se cacher aux yeux des hommes, non pas pour se tenir cachée de la colère divine mais pour éviter de montrer l’innommable : deux oreilles coupées. D’Aesha Mohammadzai, on ne verra donc pas toutes les blessures. Mais il en est une qui ne peut être masquée, béante : son nez lui a été arraché.
De l’enfer aux ténèbres de l’âme
Ce cliché a fait au cœur de l’été 2010 le tour du monde, affichée à la une du célèbre magazine Time, qui titrait pour l’illustrer : « Voilà ce qui arrivera si nous partons d’Afghanistan ». En quelques heures, Aesha Mohammadzai est devenue le symbole de ces femmes torturées, martyrisées, brisées. La jeune femme avait été mariée de force à l’âge de seize ans : sa famille tentait ainsi de racheter un crime. Pour Aesha, la vie allait bientôt devenir un enfer : violences physiques et humiliations morales s’abattent sur elle venant de toute part, de son époux et de ses proches. Un jour, Aesha a la force de s’enfuir. Mais ses bourreaux la rattrapent et exécutent la sentence dont il l’avait si souvent menacée : ils lui coupent le nez et les oreilles. Après cette mutilation odieuse, Aesha est d’abord recueillie dans un foyer de femmes battues à Kaboul et transférée ensuite aux Etats-Unis. L’objectif est de faire bénéficier Aesha d’une chirurgie réparatrice afin de lui offrir un nouveau nez. Mais le chemin vers la reconstruction sera très long comme l’a raconté en décembre un reportage de CNN. Les médecins du Walter Reed National Military Medical Center de Bethesda ont d’abord évalué que la détresse psychologique d’Aesha nécessitait de repousser les premières interventions chirurgicales. A son arrivée aux Etats-Unis, la jeune femme est en effet en proie à une profonde dépression, souffre de nombreuses « crises » et refuse son image. Petit à petit, grâce notamment à son hébergement dans une famille afghane installée dans le Maryland, ses ténèbres vont se dissiper. Les équipes chirurgicales ont pu alors mettre en place un long protocole de soins.
Quatre interventions et une cicatrice en lieu et place de la torture
Des extenseurs, des ballons composés de silicone, dont le volume
est peu à peu augmenté, ont notamment tout d’abord été placés sous
son front afin d’obtenir la surface de peau nécessaire pour la
reconstruction du visage et du nez. Les équipes ont également
procédé à des prélèvements au niveau du menton et de l’avant bras
de la jeune femme. Ils ont également utilisé des fragments de côtes
pour reconstituer le cartilage du nez. Enfin, l’intervention
ultime, d’une durée de huit heures, a pu être réalisée et le
résultat est enthousiasmant. Dans une interview exclusive accordée
à la chaîne américaine ITV, Aesha Mohammadzai a en effet présenté
cette semaine son nouveau visage au monde entier. Une légère
cicatrice marque l’emplacement de la torture, mais il ne reste plus
rien du trou béant que lui avaient infligé ses bourreaux.
Aujourd’hui, Aesha, âgée de 21 ou 22 ans, indique que ses terreurs
nocturnes ont cessé et que son passé, bien qu’inoubliable, n’est
plus désormais un obstacle insurmontable. Elle se montre satisfaite
de ce nouveau nez et espère que la cicatrisation sera totalement
achevée avant l’été. Avant d’autres reconstructions.
Aurélie Haroche