
Lyon, le samedi 5 mars 2022 – L’université de Lyon organise
une exposition virtuelle sur le traitement de la douleur entre le
XVIème et le XVIIIème siècle. Elle montre que les médecins de
l’époque étaient parfois confrontés aux mêmes problèmes
qu’aujourd’hui.
« C’est quelque grosse pierre qui foule et consomme la
substance de mes rognons et ma vie que je vide peu à peu ». Le
philosophe Michel de Montaigne n’avait semble-t-il pas gardé un bon
souvenir de l’expulsion de ses calculs rénaux. Ce que l’on appelait
à l’époque la « maladie de la pierre » était considéré, avec
la goutte, comme la quintessence de la maladie extrêmement
douloureuse (ce qui n’a pas beaucoup changé). Les malades qui ont
une pierre dans les reins « désirent plus mourir que vivre »
affirmait le célèbre chirurgien Ambroise Paré. Cette crainte de
l’homme du XVIème siècle pour cet « accouchement au masculin
» nous est décrite par l’exposition virtuelle « Le médecin face
à la douleur XVIème-XVIIIème siècle » organisé par l’université
de Lyon.
On y apprend que, loin de la vision chrétienne d’une douleur
qui sauve ou de la philosophie stoïcienne d’une souffrance qu’il
faut cacher, les médecins de l’époque accordent une grande
importance à l’étude de la douleur et aux moyens de la diminuer.
Michel de Montaigne, encore lui, revendique même le droit
d’exprimer sa douleur, du moment que l’esprit reste clair. «
Qu’importe que nous tordions nos bras pourvu que nous tordions
nos pensées » écrit le philosophe bordelais dans ses fameux
Essais.
La télémédecine du XVIIème siècle
Médecins et penseurs de l’époque tentent de donner une
définition de la douleur. Mais comme le résume le médecin
hollandais Gérard van Swieten en 1753, « il est impossible de
faire comprendre par le discours ce que c’est que cette perception
d’âme ». Toute sorte de mots sont utilisés pour décrire les
maux des patients. Si les médecins d’aujourd’hui parlent de douleur
« irradiante » ou « transperçante », les soignants du
XVIIème siècle préfèrent parler de souffrance « obtuse » ou
« astringente ». Mais ce sont évidemment les patients qui
décrivent le mieux leur mal. En 1629, Lazare Rivière, qui fut
conseiller de Louis XIII, évoque une patiente de 7 ans qui a si mal
qu’elle « demande qu’on lui ouvre la tête avec un couteau
».
Comme aujourd’hui avec les enfants, on demande au patient du
XVIIème siècle d’indiquer avec un crayon le lieu de sa douleur sur
un dessin représentant un corps humain. Le trait de crayon doit
être pointillé si la douleur est externe, continu si elle est
interne. Pour Théophraste Renaudot, médecin et journaliste de la
première moitié du XVIIème siècle, ce système de consultation à
distance permet notamment de pallier le manque de médecins à la
campagne : la téléconsultation est née.
La goutte de Charles Quint
Les médecins s’interrogent sur les signes de la douleur, dont
certains les intriguent. Dans son Traité du rire de 1579, le
médecin Laurent Joubert s’interroge sur la « grimace
risolière » qui précède la survenue de vives douleurs chez
certains patients. C’est le fameux « rire sardonique » du
nom d’une herbe poussant en Sardaigne et dont la consommation
serait mortelle. « Elle tord la bouche des hommes en un rictus
de douleur, de sorte qu’ils meurent comme s’ils riaient » écrit
l’humaniste hollandais Erasme.
Bien sûr, les médecins de l’époque tentent de lutter contre
ces douleurs physiques. Les antalgiques de l’époque sont appelés
des « anodins ». Les plus efficaces sont évidemment les
narcotiques, comme l’opium, mais déjà en 1554 le médecin italien
Pietro Mattioli recommande de ne pas les utiliser « témérairement
ou sans réfléchir ». Ambroise Paré, expert des amputations,
rappelle cependant qu’il est parfois nécessaire de faire souffrir
les patients et que le chirurgien ne doit pas avoir d’état d’âme. «
Le chirurgien à la face piteuse rend de son patient la plaie
vermineuse ». Autrement dit, celui qui fait trop attention à
ménager son patient ne parviendra pas à le soigner.
es grands de ce monde ne sont pas épargnés par les douleurs.
En 1598, le Roi d’Espagne Philippe II subit une « douleur
insouffrable » au moment où les médecins lui opèrent une tumeur à
la jambe. Tout Empereur qu’il fut, son père Charles Quint ne
pouvait plus supporter la goutte, ce « cruel bourreau qui mutile
l’homme en le privant de l’usage de ses membres et rend l’âme
accablée par ses tortures ». Ce mal chronique fut l’une des
causes de l’abdication de l’Empereur en 1555. La douleur peut
parfois changer l’Histoire.
Nicolas Barbet