Agnès Buzyn : digressions autour d’une nomination

Paris, le samedi 12 mars 2016 – Le professeur d’hématologie Agnès Buzyn, jusqu’alors présidente de l’Institut national du cancer (INCA), est devenue officiellement depuis ce 7 mars la présidente de la Haute autorité de santé (HAS).  Son prédécesseur, Jean-Luc Harousseau avait en effet annoncé sa démission en octobre 2015 « pour des raisons personnelles » mais accepté de demeurer en poste jusqu’au 31 janvier 2016. Il s’agissait sans doute de laisser le temps au ministère de la Santé de modifier la réglementation concernant la composition du collège de la HAS. Dans l’idéal, cette dernière devrait être marquée par la parité : quatre hommes et quatre femmes. Cependant, aujourd’hui ce sont huit hommes qui siègent au sein du collège. Et la situation n’était guère destinée à évoluer : pour que la parité soit immuablement respectée, le législateur avait prévu qu’un partant ne puisse être remplacé que par une personne du même sexe. Voilà, qui imposait (ou presque) qu’un homme soit désigné pour succéder à Jean-Luc Harousseau. Or, on profita du projet de loi de Santé pour faire adopter une disposition modifiant les règles et permettant qu’enfin une femme brise le cercle vicieux (pourtant mis en place avec la meilleure des volontés). Il fallait donc trouver une femme, et ce fut le professeur Agnès Buzyn.

Où est la transparence ?

Les circonstances même de cette passation de pouvoir ne peuvent que susciter les interrogations. Cette semaine sur son blog, le journaliste et médecin Jean-Yves Nau revenait sur cette arrivée dans un post au titre évocateur : « Après l’INCa, le Pr Agnès Buzyn présidera la Haute Autorité de Santé. On ne saura pas pourquoi ». Plus loin, Jean-Yves Nau s’interroge clairement : « Pourquoi est-elle nommée à la présidence de la HAS (…). Parce qu’elle est une femme ? ». Si cette question illustre les possibles limites des législations souhaitant favoriser la parité, elle ne remet nullement en cause les compétences du praticien. Cependant, sa nomination reste entachée de mystère que soulève encore une fois Jean-Yves Nau. « Contre quel(le)s concurrent(te)s ? (…) Qu’entend-t-elle faire d’une HAS qui semble ne pas bien savoir ce qu’elle est elle-même ? Nous ne le saurons pas. Certains diront qu’il y a là comme un manquement à la transparence citoyenne de la démocratie sanitaire » observe-t-il.

Pire qu’être une femme, être cancérologue !

Si l’absence de transparence est sans doute un thème sur lequel il pourrait longtemps disserter, ce n’est cependant pas celui qui retient le plus l’attention du docteur Jean-Claude Grange, auteur du blog Docteur du 16. La critique de ce dernier concernant la nomination du docteur Buzyn est sans nuance puisqu’il affirme « La nomination du professeur Agnès Buzyn à la tête de la HAS est sans doute ce qui pouvait arriver de pire pour la Santé publique française ». Pourquoi cette condamnation sans appel ? Parce que le professeur Buzyn est cancérologue et qu’elle a, qui plus est, dirigé l’INCa et qu’à ce titre elle n’a notamment jamais remis en cause le dogme du dépistage systématique… en particulier du cancer du sein. Une erreur majeure aux yeux du docteur Grange qui semble condamner toute son action future. « Que la papesse en chef de l’Eglise de Dépistologie soit nommée à la tête de l’Agence la plus importante du système de santé français en dit long sur la volonté du lobby santéo-industriel à changer les choses » poursuit le docteur Grange qui va même jusqu’à affirmer que cette « scientifique (…) n’avait pratiquement jamais entendu parler du possible rôle néfaste des dépistages organisés, du problème aigu du sur diagnostic et du sur traitement ». Qu’elle n’en ait effectivement pratiquement jamais parlé ne signifie cependant pas qu’elle n’en ait jamais entendu parler…

Une discipline gangrénée par les conflits d’intérêt

Mais ce n’est pas seulement parce qu’elle est supposée être favorable au dépistage systématique du cancer du sein (on peut rêver : Agnès Buzyn présidente de la HAS formulera peut-être un jour des recommandations appelant à revenir sur ce programme ?) que sa qualité d’oncologue fait fulminer l’auteur de Docteur du 16. Pour lui « L’oncologie est la quintessence de ce qu'on peut trouver de pire en médecine dans le domaine des essais cliniques comme dans celui de la protocolisation des traitements ou, tout aussi dramatiquement, sur l'entrée du privé dans le service public comme dans le cas de l'Institut Gustave Roussy. Nul doute que vous n'apprendrez pas de la bouche d'Agnès Buzyn que les 71 dernières molécules labellisées par la FDA dans le domaine de la cancérologie augmentaient en moyenne l'espérance de vie des patients de... 2,1 mois ! (…) La déclaration des effets secondaires en oncologie est également considérée comme peu pertinente » énumère-t-il.

Pire qu’être une femme, pire qu’être oncologue : ne pas détester l’industrie pharmaceutique !

Dans ces dernières remarques, point le plus grave des vices d’Agnès Buzyn aux yeux du docteur Grange : son absence de détestation de l’industrie pharmaceutique. En effet, dans le sillage d’autres observateurs (un éditorial très controversé avait même été publié sur ce thème dans le New England Journal of Medicine au printemps 2015), Agnès Buzyn considère que le discrédit systématique des experts ayant eu des liens avec l’industrie pharmaceutique fragilise la qualité de l’expertise scientifique. En février 2013, lors d’une réunion du cabinet Nile (agence de conseil dédiée à la santé publique), elle avait en effet déclaré : « L’industrie pharmaceutique joue son rôle, et je n’ai jamais crié avec les loups sur cette industrie. Il faut expliquer que vouloir des experts sans aucun lien avec l’industrie pharmaceutique pose la question de la compétence des experts », rappelle le journal Mediapart. Une position qu’elle a de nouveau soutenue lors de son audition devant les députés et les sénateurs (auprès desquelles elle a quasiment fait l’unanimité). Cette optique défendue par Agnès Buzyn ne peut qu’hérisser le docteur Grange ou encore le docteur Christian Lehman, qui revient sur l’article de Mediapart sur son blog et se félicite de la transparence de ce site. Il réprouve d’une manière générale la nomination du professeur Buzyn notant à son tour : « le milieu de la cancérologie est probablement l’un des plus truffés de liens d’intérêt entre grrrrands professeurs et complexe pharmaceutico-industriel, (…) le choix d'un membre du sérail a certainement valeur d'exemple ».

Et s’il y avait pire ?

Ainsi, pour Christian Lehman l’article de Mediapart est bien plus révélateur sur la personnalité d’Agnès Buzyn que le portrait élogieux quasiment dressé le même jour par Libération et également cité (de manière positive pour sa part) par Jean-Yves Nau. Dans cet article, après la lecture de différentes digressions autour de la nomination du praticien, on trouve quelques raisons de se rassurer. Son travail mené à la tête de l’INCa, ses prises de position contre le lobby du tabac et sa vocation médicale qui la pousse à assurer encore une consultation aujourd’hui offrent pour nous (mais sans doute pas pour d’autres) un contrepoint aux critiques (procès d’intention ?) égrenées.

Pour découvrir Agnès Buzyn sous différents jours, vous pouvez lire le blog de :
Jean-Yves Nau : https://jeanyvesnau.com/2016/03/07/apres-linca-le-pr-agnes-buzyn-presidera-la-haute-autorite-de-sante-on-ne-saura-pas-pourquoi/
Du docteur Grange : http://docteurdu16.blogspot.fr/2016/03/le-professeur-agnes-buzyn-nommee.html
Et du docteur Christian Lehman : http://enattendanth5n1.20minutes-blogs.fr/archive/2016/03/07/la-brosse-a-reluire-dans-la-plaie-926741.html

Aurélie Haroche

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Vos réactions (7)

  • Liens d'intérêt

    Le 12 mars 2016

    Et pourtant, sa remarque sur les liens d'intérêt est frappé au coin du bon sens ... Elle n'est pas la seule à le dire !

    Dr Olivier Kourilsky

  • Le monde des nuances

    Le 12 mars 2016

    Je ne savais pas qu'il fallait absolument détester l'industrie pharmaceutique pour être bon médecin !
    Je ne savais pas qu'une petite prolongation de vie de deux mois était détestable !
    Je pensais que la médecine est le monde des nuances !

    Dr Michel Reverdy

  • Précision

    Le 12 mars 2016

    Le Pr JL Harouseau était directeur du CRLC de Nantes et hématologue donc les mêmes qualifications...

  • Encore une nomination de complaisance !

    Le 12 mars 2016

    Et pourtant, ce ne sont pas les experts de renom et indépendants qui manquent, pour ce poste stratégique. On est toujours dans la soupe politicienne ...
    Tout à fait d'accord avec les remarques de grand bon sens des Dr Nau et Grange. On n'en finit pas avec les conflits d'intérêts ! Il va falloir se battre pour la démocratie sanitaire, Thomas Dietrich a ouvert le chemin...

    Serge Rader

  • Grange et Lehman

    Le 13 mars 2016

    Je n'ai jamais vu un tel concentré d'imbécillité sectaire dans les commentaires des deux susnommés. Oui la Cancérologie est grande pourvoyeuse d'essais cliniques en liaison avec les laboratoires pharmaceutiques. Oui les améliorations de survie des nouveaux traitements sont parfois minimes. Les raisons en sont simples : on n'expérimente pas de de nouvelles molécules pour des traitements initiaux bien établis ou lorsqu'il y a un espoir de survie conséquent. Les situations "y donnant droit" sont des maladies en échappement ou évoluées. C'est éthique - on ne joue pas avec des espoirs de guérison établis - et ça aboutit au paradoxe que tout le monde connaît du coût exponentiel de tests ou d'essais cliniques en situation palliative par rapport aux traitements curatifs. Par voie de conséquence, les gains de survie de ces tests sont parfois minimes, et les laboratoires sont souvent mis à contribution pour fournir tout ou partie de ces molécules. C'est bien sûr leur intérêt à long terme, mais aussi celui des soignants et des patients. Il est absurde de considérer que des soignants qui cherchent à améliorer des résultats thérapeutiques et des laboratoires qui peuvent leur donner les moyens d'y parvenir doivent se regarder en chien de faïence. Le prétendre montre une ignorance complète des problèmes, qui se cache derrière des slogans vides de sens.

    Dr Pierre de Andolenko

  • Conflits d'intérêts

    Le 13 mars 2016

    "Les Ayatollahs ont de l'avenir"

    Maximilien Robespierre

  • Pas de rigueur scientifique

    Le 13 mars 2016

    Le problème, c’est qu’Agnès Buzyn ne semble pas avoir de rigueur scientifique (ou l’a perdu). Pourtant, l’indépendance et la rigueur scientifique constitue deux des trois principes fondateurs de la HAS (voir : http://www.has-sante.fr/portail/jcms/c_452561/fr/principes-fondateurs-de-la-has).

    Quel dommage qu’aucune députée, qu’aucun député, n’ait relevé son manque de rigueur lorsqu’elle a péremptoirement affirmé en répondant à une question de Jean-Pierre Door sur la comparaison entre la HAS et le Nice lors de son audition du 27 janvier 2016 devant la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale (A l'adresse : http://videos.assemblee-nationale.fr/video.3579345_56a880e5b9790.commission-des-affaires-sociales---mme-agnes-buzyn-dont-la-nomination-en-qualite-de-pdte-de-la-has--27-janvier-2016, à 58:15 de l’enregistrement) : « Le NICE est une agence très intéressante qui produit des avis de très grande qualité. C’est une agence dont le modèle n’a pas été stricto-sensu suivi en France pour la bonne raison que nous n’avons pas souhaité inscrire un seuil de qualité de vie, de coût annuel des médicaments, …(à 59:20). Donc le NICE est un modèle mais ne peut pas totalement être copié. Nous ne nous engageons pas vers un seuil limite pour l’autorisation et le financement des médicaments. Alors, je vous rappelle pour ceux qui connaissent bien les questions du cancer, que la survie par cancer en France est l’une des meilleurs des pays d’Europe. Et qu’en Angleterre les patients ont 10% de chance de survie en moins à 5 ans pour pratiquement tous les cancers. Ce qui signifie bien que l’organisation anglaise, l’accès aux soins et peut être l’accès aux médicaments a un impact quand même sur la survie. Donc, il faut tenir compte de cela dans nos modèles et dans les choix stratégiques que nous ferons ».

    Personnellement, je trouve ces propos extrêmement déplacés et partisans. On ne peut pas comparer et commenter des différences de survie dans les cancers entre deux pays aux populations différentes, sans prendre en compte aussi l’épidémiologie, les facteurs de risque, le recours aux dépistages de masse avec son lot de surdiagnostics…, et conclure par un tel raccourci (d’autant que les traitement dans le cancer, ne sont pas très efficaces…).

    Quand on voit la rigueur scientifique de l’INCa sur sa page d’accueil : « 90 % des cancers du sein peuvent être guéris s’ils sont détectés tôt », et quand on clique sur le lien pour accéder à la page concernant les « avantages et inconvénients du dépistage organisé du cancer du sein » (voir : http://www.e-cancer.fr/Comprendre-prevenir-depister/Se-faire-depister/Depistage-du-cancer-du-sein/Avantages-et-inconvenients), avec « 10 à 20% de surdiagnostics » seulement…

    Plus loin, (de 1:09:10 à 1:09:40) : « Ma vision à la HAS sera une vision non idéologique. En fait, je pense que l’idéologie ne peut pas avoir sa place dans une agence d’expertise scientifique. Donc, je serai extrêmement rigoureuse dans l’analyse de la littérature, des preuves, des évidences. Je rendrai des avis basés sur ce point-là. Aucun positionnement préalable de ma part sur aucun sujet ».

    Dont acte ! Ce n’est pas exactement ce qu’elle a dit à propos du système anglais…

    Dr François Pesty

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