Agnès Buzyn règle ses comptes

Paris, le mercredi 27 septembre 2023 – L’ancienne ministre de la Santé livre sa version des six premiers mois de l’épidémie Covid-19, se dessinant en visionnaire et fustigeant le manque de réactivité d’Emmanuel Macron et d’Edouard Philippe.

17 mars 2020. Alors que la France est encore sous le choc du discours de la veille au soir d’Emmanuel Macron, qui a décidé de mettre en place un confinement pour empêcher la propagation de l’épidémie de Covid-19, le journal Le Monde publie une interview de l’ancienne ministre de la Santé Agnès Buzyn, qui a quitté ses fonctions il y a tout juste un mois pour remplacer au pied levé Benjamin Griveaux, candidat macroniste éphémère à la mairie de Paris avant de quitter la course en raison d’un scandale sexuel. La ministre l’assure : pendant ses dernières semaines au gouvernement, elle a tenté en vain d’alerter le Président de la République et le Premier Ministre Edouard Philippe sur le « tsunami » épidémique à venir. Une révélation qui dénote avec le discours rassurant que la ministre a tenu avant de quitter son poste. Elle avait ainsi déclaré le 21 janvier 2020 que le risque que le virus arrive en France était « faible ».

Ainsi est né le mystère Buzyn, cette interrogation persistante sur le rôle et l’attitude que cet éminent professeur de médecine a tenu durant les semaines qui ont précédé le confinement. Un mystère que l’intéressée tente de dissiper en publiant ce mercredi son journal de bord du Covid-19, qui couvre la période allant de janvier à juin 2020 et qu’elle a reconstitué à partir de ses notes de l’époque et également des SMS ou mails échangés avec des membres de l’exécutif. Un récit où le Pr Buzyn continue de défendre bec et ongles la thèse qu’elle soutient depuis trois ans : oui, elle a compris avant tout le monde, avant les scientifiques, avant l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), que la Covid-19 serait une pandémie mondiale de grande ampleur, mais personne n’a voulu l’écouter.

« Agnès, tu as fait peur au président »

Pour illustrer cette conviction, la ministre de la Santé évoque notamment une longue conversation qu’elle aurait eu avec le Président de la République le 8 février 2020. A l’époque, la France ne compte que 11 cas confirmés de Covid-19 mais la ville de Wuhan en Chine est déjà confinée. Pendant 40 minutes, l’hématologue, qui est « la seule à voir le scénario à venir » (sic) explique au chef de l’Etat qu’il faut d’ores et déjà « mettre le pays sous cloche ». Quelques minutes plus tard, le secrétaire général de l’Elysée Alexis Kohler l’appelle pour lui faire cette remontrance : « Agnès, tu as fait peur au président ». Une phrase qui a marqué a posteriori la scientifique et qui constitue le titre de son ouvrage.

Si Agnès Buzyn se pose donc en visionnaire qui a tout prévu avant tout le monde, tous ses contemporains en revanche en prennent pour leur grade à travers ces 500 pages de journal. Dès le 31 janvier 2020 elle qualifie le Pr Didier Raoult, qui commence à peine à faire parler de lui, de « dingue de Marseille ». Elle considère que le Pr Jean-François Delfraissy, nommé président du Conseil Scientifique est trop « mondain et médiatique, ne connait que le SIDA et aime aller dans le sens du vent ».

Elle insiste surtout sur le déni d’Emmanuel Macron et d’Edouard Philippe, rapportant les nombreux messages qu’elle leur a envoyé pendant deux mois pour tenter de les convaincre de prendre des mesures strictes (elle assure que les deux intéressés ne se sont pas opposés à la révélation de ces messages). Le 16 mars, soir d’annonce du confinement, elle finit par envoyer un message incendiaire à Edouard Philippe. « Edouard, vous êtes à côté de la plaque. Je ne perds pas mes nerfs, je suis lucide depuis des semaines et derrière vos décisions ce sont des gens qui vont mourir. Le discours du Président de ce soir est incohérent. Faites de la politique et prenez vos responsabilités ».

« Toute cette crise est une crise d’hommes »

Pourquoi personne n’a voulu écouter les nombreux cris d’alarmes d’Agnès Buzyn ? L’explication qu’elle donne dans un entretien paru ce mardi dans le journal Libération ne manque pas d’interpeller. Selon elle, c’est avant tout parce qu’elle est une femme qu’on ne l’a pas pris au sérieux. « Je pense que toute cette crise est une crise d’hommes, les décisions ont été prise par des hommes, le fait d’être une ministre femme, issu de la société civile, sans poids politique a joué contre moi, c’est évident ». Le fait d’être juive n’est pas non plus pour rien selon elle dans les nombreuses attaques, parfois violentes (elle évoque des menaces de mort) dont elle a été victime. « Il faut trouver l’empoisonneur du puits et d’un coup Jérôme Salomon, mon mari et moi-même sont devenus responsables de tout ».

Agnès Buzyn ne se reconnait finalement qu’une seule erreur dans cette période trouble, celle d’avoir accepté de quitter son poste pour se présenter à la mairie de Paris le 16 février 2020. Pourtant elle l’assure, elle avait déjà conscience de la gravité de la situation épidémique, mais a fini par céder aux pressions de son camp. « Avoir fini par accepter est la plus grosse erreur de ma vie mais l’épidémie n’a alors pas démarré en Italie et mes alertes relèvent d’une intuition qui n’est partagée par personne, je ne réussis pas à convaincre et ils arrivent à me convaincre ».

Pour sa gestion des débuts de l’épidémie de Covid-19, le Pr Buzyn a été mis en examen en septembre 2021 pour mise en danger de la vie d’autrui. Une mise en examen qui a été annulée par la Cour de Cassation en janvier dernier (elle reste cependant sous le statut de témoin assisté), éloignant ainsi le risque d’un procès devant la Cour de Justice de la République (CJR). Mais le Pr Buzyn l’assure, la publication de ce journal de bord n’a aucunement pour but de la dédouaner. Il s’agit pour elle de « rendre aux Français un fragment de leur histoire ».

Ce journal constitue-t-il réellement une retranscription fidèle de la réalité ou bien simplement une tentative pour cet écorchée de la politique de démontrer qu’elle avait compris avant tout le monde la gravité de la situation ? Chacun jugera.

Quentin Haroche

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Vos réactions (7)

  • Comment ose-t-elle ?

    Le 27 septembre 2023

    Comment ose-t-elle encore se manifester ?

    Dr B. Morardet

  • Lamentable

    Le 27 septembre 2023

    Ou comment se blanchir avec le sourire !
    Lamentable

    P. Bergerault

  • Légion d'honneur

    Le 28 septembre 2023

    Il faut donc lui décerner la Legion d''honneur....
    Elle a sacrément bien menti en affirmant le contraire à la television

    Dr A. Muller

  • Indécence

    Le 01 octobre 2023

    Cette présence médiatique est insupportable. Alors que des problèmes mondiaux gravissimes nous assaillent, cette "pauvre petite fille riche" vient déballer son journal qui n’intéresse personne à part les journalistes avides de règlements de compte. Quoi qu'il en soit ceci est d'une indécence sans limite.

    Dr P. Mussat

  • Mater dolorosa

    Le 01 octobre 2023

    Un grand classique de règlements de comptes.
    Je veux bien croire que "Sa Suffisance" ait pu balayer cette (éventuelle) alerte d'un revers de main. On risque d'attendre longtemps la réponse de l'accusé !
    Et puis ce lamentable "toute cette crise est une crise d'hommes", accompagné du sacro saint renvoi à sa judaïté ! Crucifiée, la Ministre !
    On imagine Michel Ange sculptant sa 4ème Pietà : Buzyn portant Macron avec, en arrière plan, Philippe et Raoult...
    Un bon point tout de même pour avoir détecté très tôt (comme moi et d'autres) le 'dingue de Marseille'.

    Dr A. Cros

  • En prévision de..

    Le 01 octobre 2023

    Même si en France, c'est assez l'omerta pour tout ce qui se rapporte à la pandémie ; ailleurs c'est moins le cas, des juridictions ont été saisies, les tribunaux commencent à s'intéresser à ce qui s'est passé, des plaintes au pénal.... Mm Buzyn sent que, si ou quand le couperet tombera ailleurs, sur tous les "dysfonctionnements", les malversations, mensonges, manipulations...etc, cela risque d'éclabousser , y compris en France , et elle préfère prendre les devants ce qui est compréhensible pour tenter de diminuer sa part de responsabilité, laquelle reste modérée face à d'autres ministres ou président. Ce genre d'affaire demande du temps avant de juger des responsabilités. La meilleure défense étant l'attaque, Mm Buzyn prend les devants au cas où...
    On peut lui reprocher d'avoir été politique avant d’être médecin, et de ne pas avoir informé les français de son point vue, médical, sur le problème, en passant outre le politique. Cela s'appelle le courage de ses opinions. Et son silence complice a été récompensé par sa nomination à l'OMS.

    Dr C. Trape

  • Carence de politique de santé

    Le 15 octobre 2023

    Agnès Buzin se plaint de ne pas avoir été prise au sérieux pour n'avoir pas été une "politique".
    On finit par ne plus savoir ce que "politique" veut dire.
    Ce qui est certain, c'est que si elle avait été à la fois médecin et femme d’État, elle aurait pris position avec clarté auprès de ses concitoyens.
    Le politique c'est d'abord parole publique. Et cette parole a failli.
    Rien à cirer des cancans entre tel ou tel membre de ce gouvernement initialement incurique.

    Dr Y. Hatchuel

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