
Paris, le jeudi 25 janvier 2024 – Le mouvement de colère des
agriculteurs qui touche le pays depuis quelques jours nous rappelle
que cette population est particulièrement exposée à certains
risques sanitaires, qui sont cependant difficilement
mesurables.
La colère monte dans les campagnes françaises. Depuis
plusieurs jours, un peu partout en France, les agriculteurs se
rassemblent, bloquent des routes et n’hésitent pas parfois à avoir
recours à la violence pour faire entendre leur mal-être et leurs
revendications. Un mouvement de colère qui touche toute l’Europe,
soutenue par la population si l’on en croit les sondages et qui
commence à inquiéter le gouvernement. Si les revendications des
contestataires sont diverses et variées, les deux principales
sources de mécontentement sont le trop plein de normes et les
difficultés financières des exploitants agricoles.
Un surrisque de suicide certain mais difficilement chiffrable
Parler du mal-être des agriculteurs, c’est bien sûr évoquer la
question du risque suicidaire. Le nombre important d’agriculteurs
qui se donnent la mort est régulièrement évoqué par les syndicats
et les responsables politiques : le chiffre de deux suicides parmi
les paysans chaque jour étant fréquemment avancé. Il est en réalité
difficile de disposer de chiffres fiables et récents sur le nombre
d’agriculteurs qui se donnent la mort. Selon la Mutualité sociale
agricole, le régime de protection sociale obligatoire des
agriculteurs, 604 d’entre eux se sont donné la mort en 2015 et 529
en 2016, soit environ 1,5 par jour. Ces chiffres seraient cependant
sous-estimés, puisqu’ils ne prennent en compte que les suicides
d’individus qui ont bénéficiés d’un remboursement par la sécurité
agricole.
En 2021, Santé Publique France (SPF) avait à son tour réalisé
une étude sur le suicide des agriculteurs, mais en se basant sur
des chiffres datant de 2010-2011. L’agence de santé publique avait
recensé 296 suicides chez les agriculteurs (253 chez les hommes, 43
chez les femmes) en deux ans, soit environ un suicide tous les deux
jours.
Si les chiffres précis manquent, les observateurs s’accordent
à dire que l’incidence du suicide est nettement supérieure chez les
agriculteurs que dans le reste de la population. Dans son étude de
2019, SPF concluait que la mortalité par suicide était supérieure
de 20 à 28 % selon les années chez les hommes agriculteurs par
rapport à la population générale (les chiffres étaient trop faibles
chez les femmes pour déceler un écart statistiquement
significatif). La MSA évalue quant à elle ce surrisque de suicide à
31 % chez les agriculteurs âgés de 15 à 64 ans. Les agriculteurs de
plus de 65 ans (surrisque de suicide de 63,5 % par rapport au reste
de la population) et ceux exerçant dans le secteur de l’élevage
bovin (surrisque de 51 %) sont particulièrement
touchés.
Des pesticides nuisibles pour la santé…mais nécessaires économiquement
La situation économique des agriculteurs et leurs difficultés
sanitaires s’entremêlent aussi lorsqu’on évoque le sujet des effets
sur la santé de l’exposition des agriculteurs aux produits
phytosanitaires. On le sait, la question est hautement sensible,
que ce soit d’un point de vue scientifique ou politique. Que l’on
se concentre uniquement sur la situation du glyphosate, un des
herbicides les plus utilisés en France et c’est prendre le risque
de s’engluer dans un débat sans fin, les différentes instances
scientifiques interrogés sur le sujet ayant tantôt conclu à la
dangerosité de ce produit (c’est le cas par exemple du centre
international de recherche sur le cancer) tantôt à son innocuité
(comme l’agence européenne des produits chimiques).
En France, l’Inserm considère pour sa part que « l’expertise
confirme la présomption forte d’un lien entre l’exposition aux
pesticides (ce qui exclut le glyphosate qui n'est pas un pesticide)
et six pathologies : lymphomes non hodgkiniens, myélome multiple,
cancer de la prostate, maladie de Parkinson, troubles cognitifs,
bronchopneumopathie chronique obstructive et bronchite chronique ».
Selon SPF, l’incidence de la maladie de Parkinson est ainsi
supérieure de 13 % chez les agriculteurs par rapport au reste de la
population, avec environ 1 800 cas par an déclarés chez les
exploitants agricoles de plus de 55 ans. La maladie de Parkinson
peut, depuis 2012, être reconnue comme maladie professionnelle pour
les agriculteurs.
Malgré ce lien éventuel (mais difficilement prouvable) entre
l’exposition aux pesticides et le développement de certaines
maladies, la plupart des agriculteurs actuellement mobilisés
défendent l’utilisation de ces produits, qui sont essentiels pour
assurer la viabilité économique de leur exploitation. L’attitude de
la France dans ce domaine illustre bien l’hésitation permanente
entre le principe de précaution et la réalité économique. Le
gouvernement avait ainsi promis en 2017 d’interdire le glyphosate
en France d’ici 2020, avant de finalement revenir sur sa position.
Il est désormais prévu de diminuer de 50 % l’utilisation de
pesticides d’ici 2030, un objectif inatteignable selon beaucoup
d’agriculteurs. Signe de cette absence totale de ligne conductrice
: lors du vote sur le renouvellement de l’autorisation du
glyphosate au sein de l’Union Européenne en novembre dernier, la
France s’est lâchement abstenue.
Quentin Haroche