Allo tonton, pourquoi t’es mort ?

Gertrude, Hamlet et le spectre de son père, Johann Heinrich Füssli, 1785. Fondation Magnani Rocca (Parme).

San Francisco, le samedi 29 avril 2023 - Pratik Desai, un ingénieur de la Silicon Valley qui a fondé plusieurs plateformes d'intelligence artificielle, prédit audacieusement qu'il serait possible de conserver la « conscience » d'un être humain sur des dispositifs numériques d'ici la fin de l'année. Dans cette optique, il appelle les internautes à « enregistrer » régulièrement leurs parents et amis dans la perspective…de pouvoir leur parler après leur mort !

« Commencez à enregistrer régulièrement vos parents, aînés et proches » a-t-il ainsi exhorté dans un fil Twitter qui a depuis été vu plus de 5,7 millions de fois et a suscité des dizaines de milliers de réponses. « Avec suffisamment de données de transcription, de nouveaux modèles de synthèse vocale et vidéo, il y a 100% de chances qu'ils vivent éternellement avec vous après avoir quitté leur corps physique » s’enthousiasme-t-il.

Il y a quelque chose de pourri au royaume de l’IA

Cette intervention tweetesque (et grotesque ?) n’a pas fait pas l'unanimité. « La mort est réelle, peu importe le fac-similé bizarre que vous créez afin de remplacer le défunt » a par exemple réagit un journaliste de la chaîne Fox News. « Le deuil est déjà assez difficile. Maintenant on veut enfermer les gens dans un cycle perpétuel de douleur en leur donnant la possibilité d'interagir avec une fausse version de leur proche ? C'est une très mauvaise idée », écrit un autre internaute. Pratik Desai s'est par la suite excusé pour son tweet et a affirmé benoitement qu’il ne souhaitait « pas développer un tel produit ».

Mais s’il ne s’engage pas dans cette course, d’autres s’y sont déjà engouffrés et des premiers « deadbots » ont fait leur apparition et ont pour nom Re;memory ou Here after AI.

Des siècles après que Shakespeare ait imaginé Hamlet parlant au spectre de son père, Deepbrain, avec son programme Re;memory propose par exemple à leurs clients qui veulent apparaître dans l'au-delà numérique de se faire filmer pendant sept heures dans les studios de l'entreprise afin qu'un « humain virtuel » puisse être créé avec les données récoltées. Par la suite, les proches peuvent rendre visite à leur parent dans une sorte de salle de cinéma privée, où une vidéo du défunt est projetée sur un mur. Il est même possible d'avoir une « conversation » avec le mort…

Une entrave au « processus de deuil » ?

Ces agents conversationnels n’iront pas sans soulever plusieurs questions éthiques. D'une part, certains estiment que les "deadbots" nuiraient au fameux « travail de deuil » identifié par Sigmund Freud.  Au lieu de permettre aux individus de surmonter l’absence et le chagrin, ces outils pourraient les enfermer dans un cycle de dépendance émotionnelle. « De nombreuses études montrent que la recherche de proximité avec la personne décédée est en fait liée à une bonne santé mentale (…) les deadbots peuvent empêcher une personne de se forger une nouvelle identité sans la personne décédée ou de nouer de nouvelles relations significatives. C'est peut-être aussi un moyen d'éviter de se rendre compte que la personne est décédée ce qui est un facteur clé pour s'adapter à la perte » explique à Euronews le Dr Kirsten Smith, chargée de recherche clinique à l'Université d'Oxford.

« Je ne pense pas qu'aller de l'avant doive signifier oublier quelqu'un ou laisser les souvenirs de cette personne s'estomper et s'émousser. Par conséquent, s'il existe un moyen d'avoir des souvenirs beaucoup plus riches, présents et fidèles de quelqu'un, je pense que c'est une bonne chose » se défend, habilement, James Vlahos qui développe Here after AI.

Dalida, es-tu là ?

Face à ces enjeux, le débat autour des "deadbots" est loin d'être tranché. Les progrès technologiques et l'évolution de nos sociétés continueront d'influencer notre rapport à la mort et à la mémoire des êtres chers. Les législateurs et les entreprises auront la lourde tâche de trouver un équilibre entre les besoins de ceux qui restent et le respect de l'intimité de ceux qui partent.

Les acteurs eux-mêmes commencent à s'inquiéter, comme Margot Robbie et Jean Smart qui, dans une émission sur YouTube, s'alarment du fait qu'elles pourront réapparaître à l'écran après leur mort. « On pourra nous faire faire n'importe quoi », se préoccupe Jean Smart. Ces inquiétudes ne sont pas sans rappeler le problème éthique qu'a soulevé l'interview de Dalida par Thierry Ardisson en mai 2022... trente-cinq ans après son suicide.

F.H.

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Vos réactions (1)

  • Heureux

    Le 29 avril 2023

    De quitter bientôt de façon volontaire ce monde de fous.

    Pr André Muller

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