ANGIOMATOSE BACILLAIRE : DEUX COUPABLES

L'angiomatose bacillaire (AB) est provoquée par une protéobactérie difficile à cultiver. La première technique permettant de mettre en évidence cette bactérie dans les tissus a été, en l990, l'amplification par PCR du gène microbien codant pour l'ARN ribosomal 16S. Avant même que l'agent infectieux ait pu être isolé, la comparaison de ce gène avec ceux de bactéries connues a permis des rapprochements phylogéniques. Proche parent de l'agent de la fièvre des tranchées (Rochalimea quintana), de celui de la verruga peruana (Bartonella bacilliformis), et de celui de la maladie des griffes du chat (Afipia felis), le microbe ainsi défini semblait correspondre à une espèce nouvelle, baptisée Rochalimea henselae (voir ABD 183).

En l991, R. henselae a pu être cultivée à partir de prélèvements sanguins par la technique de lyse-centrifugation. Mais jusqu'à présent, les tentatives pour cultiver les prélèvements cutanés avaient toujours échoué. Cet obstacle vient d'être franchi à San Francisco grâce à une technique de coculture avec des cellules endothéliales. Surprise : au moins deux espèces bactériennes peuvent être responsables de l'AB. D'autre part, les observations présentées montrent combien les lésions précoces d'AB sont difficiles à reconnaître cliniquement et histologiquement. La mise au point d'un diagnostic bactériologique devrait permettre la reconnaissance plus précoce des formes de début ou des rechutes et aboutir à une redéfinition du spectre clinique et histopathologique de l'AB.

Un diagnostic difficile

Quatre patients sont étudiés, tous séropositifs pour l'HIV, homosexuels, âgés de 34 à 51 ans,et ayant moins de 150 lymphocytes CD4 par mm3. Le mode de transmission n'est suggéré que dans un cas, où les lésions initiales sont apparues sur des griffures de chat aux jambes. Un autre patient élevait un rat. Aucun ne signalait de piqûre d'insecte. Les premiers signes cliniques et histologiques sont en règle peu spécifiques. En fait, un seul patient avait d'emblée des papules angiomateuses cliniquement évocatrices. Dans un autre cas, les lésions ont été prises pour des plaques de lichénification après une gale. Chez les 2 patients restants, l'inflammation cutanée témoignait d'une infection profonde : cellulite de l'aine dans un cas, ostéomyélite du tibia dans un autre. Ces malades n'ont eu des lésions cutanées cliniquement évocatrices d'AB qu'après des mois d'évolution.

La biopsie cutanée ne résout pas le problème de l'identification précoce des lésions cutanées d'AB : tous les patients ont eu une ou plusieurs biopsies non contributives avant que le diagnostic soit posé. La prolifération vasculaire évocatrice n'apparaît souvent qu'au stade d'infection cutanéo-viscérale profuse avec altération de l'état général. Les biopsies cutanées précoces ne montrent qu'une suppuration non spécifique, où seule la PCR permettait jusqu'à présent de reconnaitre la présence de Rochalimea. Les colorations argentiques, peu maniables, ne peuvent être utilisées en routine. La possibilité de cultiver la peau à la recherche de Rochalimea sera peut-être une solution. Les exemples qui sont présentés ici ne concernent que des stades tardifs (un patient sur deux avait des hémocultures positives) et il reste à établir que la culture est possible sur des lésions cutanées plus précoces.

Coculture avec des cellules endothéliales

Dans un seul des 4 cas, l'inoculation directe du broyat cutané sur gélose solide a permis de cultiver Rochalimea henselae. Les colonies obtenues suscitent des dépressions irrégulières dans la gélose. Pourquoi une telle inoculation a-t-elle été un échec chez les 3 autres patients et dans les cas étudiés précédemment ? Le tableau clinique et pathologique de l'AB suggère une interaction étroite entre l'agent infectieux et les cellules endothéliales. Au sein des lésions, l'activation et la multiplication de ces cellules sont comparables à celles induites par les facteurs angiogènes sur les cultures tissulaires. Par analogie avec ce qui a été décrit pour l'agent de la maladie des griffes du chat, les auteurs ont supposé que dans les lésions cutanées, le bacille de l'AB devenait en retour dépendant de cet environnement vasculaire particulier, et par suite incapable de s'adapter sans transition aux milieux de culture usuels. La culture a donc été faite dans un premier temps en présence d'une culture monocouche de cellules endothéliales bovines (CPA). Après 9 à 36 heures de coculture apparaît un trouble du surnageant, qui est ensemencé sur gélose chocolat. Après la coculture, la viabilité des cellules CPA n'est pas altérée, mais leur morphologie se modifie. De plates et étalées, les cellules endothéliales deviennent allongées et plus tubulaires. Seules les cellules endothéliales semblent capables de favoriser cette adaptation du germe, les deux autres lignées cellulaires testées (fibroblastes de souris et HeLa) n'ayant pas permis sa multiplication. Dans le cas cité plus haut où le germe avait poussé directement sur gélose, la coculture a été négative. Dans les 3 autres cas sont apparues, après 6 à 20 jours, des colonies lisses d'emblée, contrairement à celles de R. henselae.

Le come back de quintana

Contre toute attente, la bactérie isolée chez ces 3 patients était Rochalimea quintana, ex-candidat malheureux au titre de bacille de l'AB, qui fait ici un retour surprenant. Ce résultat est confirmé dans tous les cas par la PCR qui montre que les séquences génomiques sont bien celles de R. quintana et que le germe,contrairement à R. henselae, exprime une citrate-synthétase. On se souvient ici d'un cas de Relman où la PCR avait identifié de l'ARN 16S de R. quintana dans des lésions cutanées d'AB, ce résultat ayant alors été considéré comme un artéfact d'amplification. De plus, R. quintana a pu être isolé en petites quantités par inoculation directe sur gélose à un stade ultérieur de l'évolution chez un des patients. Si la responsabilité de R. quintana semble ici bien établie, il reste à comprendre pourquoi cette bactérie, à l'origine en 1916 d'une épidémie de fièvre transmise par les poux, est devenue grâce à un mode d'inoculation mystérieux et sur le terrain particulier du SIDA, responsable de lésions angiomateuses qui n'ont jamais été décrites dans la fièvre des tranchées.

Traitement mouvementé

On connait la fréquence au cours de l'AB du SIDA des résistances secondaires au traitement ou des rechutes à l'arrêt. Deux autres difficultés sont à souligner : la possibilité de réactions fébriles initiales ou de rechutes sous une forme très atypique.

Les 4 patients ont été traités par érythromycine ou tétracyclines. Deux d'entre eux ont fait après deux jours de traitement une fièvre à 40° et des myalgies. Dans un cas, où cette réaction avait fait interrompre l'érythromycine, elle s'est reproduite sous doxycycline, suggérant un phénomène toxique de type Jarish-Herxeimer. Cela avait d'ailleurs été signalé dans des cas de péliose hépatique traités par doxycycline. Des germes apparentés à Rochalimea comme Brucella ou Bartonella provoquent des réactions analogues. Le paracétamol paraît suffisant pour les atténuer. Plus inattendue, la possibilité de rechute sous forme de phlébites suppurées est ici signalée pour la première fois. Un des patients a présenté, un mois après l'arrêt de l'érythromycine, de multiples phlébites superficielles du bras, où on isolait à nouveau R. quintana et qui ont guéri avec la reprise de l'érythromycine.

Une maladie à redéfinir

Les résultats présentés ici suggèrent que le domaine des infections à Rochalimea reste à définir. Au moins deux d'entre elles peuvent être à l'origine des manifestations "classiques" de l'angiomatose bacillaire. Mais le développement du diagnostic bactériologique montre que des signes généraux ou cutanés peu spécifiques ou inattendus sont fréquents et que cette infection doit être recherchée beaucoup plus systématiquement. D'autres espèces de Rochalimea seront alors peut-être incriminées. Sur le plan épidémiologique, le vecteur de la maladie reste mystérieux et l'hypothèse de la responsabilité du chat ou de ses puces pourra peut-être progresser grâce aux cultures chez l'animal. Enfin la comparaison des différentes formes histocliniques de la maladie devrait faire avancer la recherche des facteurs responsables du caractère angiogénique des lésions. *

 

Koehler J.E. et coll. : "Isolation of Rochalimaea species from cutaneous and osseous lesions of bacillary angiomatosis". N. Engl. J. Med., 1992 ; 327 : 1625-1631.

François Blanc

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