Anticoagulation des épisodes de FA infra-clinique, apparemment futile…

L’anticoagulation orale, par inhibiteur direct du facteur II ou Xa (NACO) plus que par anti-vitamine K afin de réduire le risque hémorragique, est efficace en prévention de l'accident vasculaire cérébral (AVC) ischémique chez les patients atteints de fibrillation auriculaire (FA). Le traitement anticoagulant oral n'est souvent initié qu’en prévention secondaire de l’AVC.

La surveillance systématique du rythme cardiaque peut conduire à une détection plus précoce de la FA. Les dispositifs cardiaques implantés permettent la surveillance continue du rythme cardiaque et peuvent enregistrer de courts épisodes d'arythmies auriculaires au moyen de capteurs intracardiaques ou sous-cutanés, appelés FA infra-clinique ou épisodes auriculaires à fréquence élevée (Atrial High Rate Episodes, AHRE).

L'activité électrique cardiaque enregistrée lors des AHRE ressemble à celle enregistrée lors de la FA ce qui incite certains cliniciens à initier un traitement anticoagulant oral chez les sujets présentant des AHRE, en particulier chez ceux qui ont plusieurs facteurs de risque d'AVC ou chez ceux dont les AHRE durent plus de 24 heures. En raison de leur rareté, de leur brièveté et de leur nature épisodique, les AHRE ne sont généralement pas diagnostiqués chez les patients qui ne font pas l’objet d’une surveillance du rythme à long terme. On ignore si la survenue d'AHRE chez des patients sans FA (documentée sur un électrocardiogramme [ECG] conventionnel) justifie l'instauration d'un traitement anticoagulant.

L'essai NOAH-AFNET 6 (Non–Vitamin K Antagonist Oral Anticoagulants in Patients with Atrial High Rate Episodes) a été mené afin de comparer l'efficacité et l'innocuité du traitement anticoagulant oral par edoxaban, un NACO inhibiteur du facteur Xa, à celles de l'absence d'anticoagulation chez des sujets présentant des AHRE sans FA documentée, et des facteurs de risque d'AVC.

Un essai randomisé de grande ampleur

Cet essai randomisé multicentrique, en double aveugle, contre placebo, a inclus 2 536 sujets âgés de 65 ans ou plus qui présentaient des AHRE durant au moins 6 minutes, sans antécédent de FA documentée sur un ECG, et au moins un facteur de risque supplémentaire d'AVC (insuffisance cardiaque, hypertension artérielle, diabète, antécédent d’AVC ou de pathologie athéromateuse) ; ils ont été répartis au hasard selon un rapport de 1:1 pour recevoir de l'edoxaban (n = 1 270) ou un placebo (n = 1 266).

Les AHRE éligibles pouvaient avoir été enregistrés par un stimulateur cardiaque, un défibrillateur, un dispositif de resynchronisation ou un enregistreur en boucle implanté doté de capacités de surveillance du rythme. L'âge moyen était de 78 ans, 37,4 % étaient des femmes, la durée médiane des AHRE était de 2,8 heures, le nombre médian d’AHRE était de 2,8 dans chaque groupe, la médiane du score CHA2DS2-VASc (utilisé pour prédire le risque d'AVC ischémique chez les patients atteints de FA, il varie de 0 à 9, des scores plus élevés indiquant un risque plus élevé) était de 4. Le critère de jugement principal en matière d'efficacité était un critère composite de décès d'origine cardiovasculaire, d'AVC ou d'embolie systémique. Le résultat en matière de sécurité était un composite de décès quelle qu'en soit la cause ou d'hémorragie majeure.

Interruption de l’essai pour futilité

Après un suivi médian de 21 mois, et alors que le recrutement prévu était achevé, l'essai a été interrompu prématurément, du fait d’événements de sécurité et des résultats d'une évaluation allant contre l’utilité de l'edoxaban. Un événement principal lié à l'efficacité s'est produit chez 83 patients (3,2 % par année-patient) dans le groupe edoxaban et chez 101 patients (4,0 % par année-patient) dans le groupe placebo (rapport de risque RR : 0,81 ; IC à 95 %, 0,60 à 1,08 ; P = 0,15).

L'incidence des AVC était d'environ 1 % par année-patient dans les deux groupes. En revanche un événement lié à la sécurité est survenu chez 149 patients (5,9 % par patient-année) dans le groupe edoxaban versus 114 patients (4,5 % par patient-année) dans le groupe placebo (RR : 1,31 ; IC à 95 %, 1,02 à 1,67 ; P=0,03), soit une augmentation de 30 % sous edoxaban. Les hémorragies majeures ont concerné 53/2 534 (2,1 %) participants sous edoxaban versus 25/2 508 sous placebo (1 %), P = 0,002. Une FA diagnostiquée par ECG s'est développée chez 462 des 2 536 patients (18,2 % ; 8,7 % par patient-année).

Ainsi, parmi les patients présentant des AHRE détectés par des dispositifs implantables, l'anticoagulation par l'edoxaban n'a pas réduit de manière significative l'incidence d'un composite de décès d'origine cardiovasculaire, d'AVC ou d'embolie systémique par rapport au placebo, mais elle a conduit à une incidence plus élevée d'un composite de décès ou d'hémorragie majeure.

Il est important de remarquer l’incidence basse des AVC dans les deux groupes chez ces sujets à risque d’AVC présentant des épisodes rares et brefs d’arythmie auriculaire sans FA documentée par ECG, faible incidence qui n’a pas été davantage réduite par le traitement anticoagulant. Même si ces résultats ne peuvent pas immédiatement être généralisés aux autres NACO, ils ne sont pas en faveur d’une anticoagulation des AHRE.

Dr Isabelle Méresse

Référence
Kirchhof P, Toennis T, Goette A, et al. ; NOAH-AFNET 6 Investigators. Anticoagulation with Edoxaban in Patients with Atrial High-Rate Episodes. N Engl J Med. 2023 ; publication avancée le 25 août. doi: 10.1056/NEJMoa2303062.

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