ATTENTION : INGESTION DE CAUSTIQUES

Les otorhinolaryngologistes de Rouen ont rapporté 584 observations d'enfants hospitalisés en 19 ans pour suspicion d'ingestion de caustiques. Cette importante série a ainsi permis d'analyser la pertinence du protocole de prise en charge, actuellement retenu, de ces enfants

La gravité des lésions a été évaluée en fonction du type de caustique ingéré (pH, nature et concentration, forme liquide ou solide) et de l'état clinique de l'enfant (brûlures buccales, douleur, état de choc). Une endoscopie a été réalisée devant la présence de lésions muqueuses bucco-pharyngées et/ou d'un état de choc mais aussi en cas de simple suspicion d'ingestion, l'absence de lésions buccopharyngées n'excluant pas la présence de lésions œsophagiennes.

Le bilan endoscopique était effectué en urgence sous anesthésie générale et les caractères de la brûlure caustique appréciés en fonction du niveau, de leur profondeur et de leur étendue, circonférencielle ou non. Il a ainsi été possible de classer les brûlures en 3 stades :

- stade I : œdème et érythème muqueux ;

- stade II : exulcérations et fausses membranes ;

- stade III : ulcérations nécrotiques et hémorragiques.

Dans les brûlures de stade I, l'alimentation orale a été autorisée ; la normalité constante du transit baryté de contrôle (TOGD) au 45e jour a fait supprimer cet examen du bilan de surveillance.

En présence de lésions graves (stades II et III), une sonde nasogastrique de calibrage, en silicone, a été mise en place à travers l'endoscope, permettant l'alimentation intragastrique en l'absence de lésions. Une antibiothérapie à large spectre et un traitement anti-reflux ont été prescrits systématiquement. Les corticoïdes n'étaient indiqués en cure courte qu'en cas de lésions laryngées associées.

Une endoscopie de contrôle a été réalisée 3 à 4 semaines après la mise en place de la sonde. Elle a permis d'individualiser deux situations :

- soit la cicatrisation muqueuse était obtenue permettant l'ablation de la sonde. Un contrôle du TOGD était réalisé au deuxième, puis au septième jour pour s'assurer de l'absence de sténose.

- soit la muqueuse n'était pas cicatrisée : la sonde était alors maintenue en place et le traitement associé conservé pendant encore 3 à 4 semaines avant un nouveau contrôle, le traitement étant renouvelé jusqu'à la guérison définitive.

Le délai de cicatrisation muqueuse témoignait de la profondeur de la brûlure et avait une valeur pronostique. La sonde n'a été retirée que lorsque la cicatrisation muqueuse avait été obtenue. Le TOGD (toujours effectué à J2 et à J7 après l'ablation de la sonde) a alors permis d'évaluer le calibre œsophagien.

La sténose a été combattue par des séances de dilatation par voie antérograde sous anesthésie générale (en cas de sténose serrée, elles ont été effectuées par voie rétrograde au moyen d'une gastrostomie). Les séances ont été suivies au rythme de 3 par semaine au début, puis espacées progressivement jusqu'à l'obtention d'un calibre œsophagien adapté à l'âge. Tous les enfants ayant présenté une évolution sténosante ont subi à distance une endoscopie et un TOGD de contrôle.

Les lésions graves les plus fréquentes sont dues à la soude caustique

Sur les 584 enfants hospitalisés, 23 ont présenté des brûlures graves. Ils avaient entre 2 et 13 ans, avec un pic de fréquence entre 2 et 5 ans ; dans 22 cas, il s'agissait d'une ingestion accidentelle. Le plus souvent le caustique ingéré était de la soude caustique (18 cas dont 11 fois sous forme de Destop®), mais aussi de la potasse (1 fois) et des acides (4 fois). L'eau de Javel n'a jamais été responsable d'accidents graves. Quatorze brûlures de stades II et 7 brûlures de stade III ont entraîné 9 sténoses et un décès précoce. L'enfant décédé avait présenté au 9e jour une hémorragie cataclysmique par rupture d'une artère sous-clavière rétro-œsophagienne (il avait probablement ingéré un mélange d'acide chlorhydrique et d'acide sulfurique).

Sept à 67 séances de dilatation ont été effectuées (en moyenne 38 séances) ; le temps nécessaire pour obtenir un calibre œsophagien adapté à l'âge a été de 3 à 27 mois (moyenne 8 mois à partir de la cicatrisation muqueuse) ; ensuite la période d'entretien s'est étalée de 4 à 80 mois (dilatation tous les mois puis tous les 6 mois).

D'autres complications ont été observées et traitées avec succès : une perforation œsophagienne, une médiastinite, une dyspnée laryngée et une sténose du pylore.

La durée totale du traitement de ces brûlures graves a duré de 6 mois à 8 ans (moyenne : 3 ans et demi). Chez 3 enfants, une sténose résiduelle compatible avec une alimentation normale a persisté dans 2 cas et avec une alimentation mixée, dans 1 cas. Il s'agissait des brûlures les plus graves avec les temps de cicatrisation les plus longs et le nombre de séances de dilatation le plus important.

Le risque de cancérisation des œsophages brûlés reste difficile à préciser ; aucune observation n'a été rapportée ici, avec un recul de 10 à 186 mois (en moyenne 8 ans). D'autres équipes proposent dans ce type de brûlures graves des œsophagoplasties ; ces interventions ne sont pas dénuées de complications vitales ou de séquelles fonctionnelles (une série a cependant été rapportée avec 29 résultats sans séquelles sur 49 cas). En outre, le devenir à long terme de ces plasties n'est pas encore connu.

 

Marie J.P. et coll. : "Ingestion de caustiques chez l'enfant. A propos de 23 brûlures graves". J. Toxicol. Clin. Exp., 1992 ; 11 : 387-400.

Nicole Triadou

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