Bientôt en pleine lumière

Paris, le samedi 27 mai 2023 – La ministre des Professionnels de santé sera chargée de mener le projet de loi légalisant le suicide assisté et l’euthanasie.

Si vous demandez à l’homme de la rue de citer un membre du gouvernement, peu de chances qu’il vous cite spontanément le nom d’Agnès Firmin Le Bodo. La normande de 54 ans n’est pas la membre de l’exécutif la plus connue, c’est le moins qu’on puisse dire. L’intitulé de son poste, un brin étrange (elle est « ministre déléguée chargée de l’organisation territoriale et des professions de santé) n’aide pas, tant il est difficile de cerner quelles sont ses attributions et comment elles se distinguent de celles de ses collègues du gouvernement.  Mais les choses pourraient bientôt changer. Car depuis ce dimanche, on sait que c’est elle qui portera à la rentrée ce qui sera sans doute la grande réforme sociétale du second mandat d’Emmanuel Macron : la légalisation de l’aide active à mourir.

A priori, cette catholique pratiquante, encartée au RPR dès l’âge de 15 ans qui a toujours milité à droite, n’était pas prédestinée à défendre une telle loi. Mais cette pharmacienne de profession, ancienne députée et proche d’Edouard Philippe, a évolué sur ce sujet. Comme elle l’a expliqué dans une interview au journal Le Monde en septembre dernier, ses convictions ont été chamboulées par un drame personnel, la mort de sa mère.

« Tu me fais la piqure ? »

C’est en 2012 que sa mère, alors âgée de 67 ans, s’est vu diagnostiquée un cancer du pancréas, avec un très mauvais pronostic. Pendant plusieurs mois, la mère de la future ministre se bat contre la maladie. Jusqu’à cette journée du 7 janvier 2013 restée dans la mémoire de la future ministre. Ce jour-là, alors que les deux femmes sont seules dans la chambre d’hôpital, sa mère lui demande « tu me fais la piqure ? ». « Je n’ai pas le droit » lui répond sa fille. Sa mère mourra seulement une semaine après mais cette ultime demande va faire beaucoup réfléchir celle qui n’est pas encore députée. « Son choix était rationnel, exprimé de façon très claire, très consciente, j’aurais aimé pouvoir lui dire oui et si j’avais pu lui dire oui, je lui aurai dit oui » commente dix ans plus tard Agnès Firmin Le Bodo.

Forte de ce passé douloureux, la ministre a donc pris sa mission très à cœur, lorsqu’elle a été chargée, en septembre dernier, de mener des concertations avec les soignants sur la fin de vie, tandis que son collègue bien plus connu Olivier Véran chapeautait la convention citoyenne sur la fin de vie. Multipliant les entrevues, les réunions mais aussi les déplacements à l’étranger, dans les pays qui ont d’ores et déjà autorisé l’euthanasie et/ou le suicide assisté, la ministre a acquis une expertise sur le sujet. Des travaux qui lui ont fait comprendre que la question de la fin de vie n’était pas binaire. Elle se rappelle notamment avoir rencontré un homme qui, alors qu’il souhaitait au départ se faire euthanasier en Belgique, a finalement su trouver du réconfort grâce aux soins palliatifs. « Il faut en profiter pour avancer sur les soins palliatifs, c’est une pierre angulaire des débats » affirme d’ailleurs la ministre.

Préférée à François Braun

Cet engagement sur le sujet et ces connaissances acquises sont donc désormais récompensés et c’est bien elle qui portera le projet de loi sur l’aide active à mourir. Si elle a été préférée à son « supérieur » François Braun, a priori destiné à porter ce texte, c’est, sans doute, parce que ce dernier n’a pas caché dans un récent entretien au Monde avoir des doutes sur la légalisation de l’euthanasie. La rumeur veut que la chanteuse Line Renaud, très engagée sur cette question et proche du couple Macron, ait personnellement écrit au Président de la République pour s’inquiéter de cette prise de position du ministre de la Santé.

Agnès Firmin Le Bodo sait que le débat qui va bientôt s’ouvrir au Parlement risque d’être difficile, tant la question de l’euthanasie et du suicide assisté est complexe et soulève des débats éthiques et philosophiques. Elle sait notamment que ses anciens amis de droite ne lui pardonneront pas de défendre une telle réforme, comme ce fut le cas lorsqu’elle a voté la PMA pour toutes en 2021 et comme se fut le cas pour Simone Veil au milieu des années 70. « La société est fracturée et radicalisée, mais on doit pouvoir trouver la petite voie, on doit pouvoir parler sereinement et s’écouter » espère la ministre.

Si elle parvient à faire adopter ce grand bouleversement sociétal sans trop d’anicroche, la discrète ministre peut espérer laisser sa trace dans l’histoire législative…et peut être aussi faire oublier qu’elle a obtenu peu de succès dans son travail de ministre des Professionnels de santé, les relations entre les médecins et le gouvernement étant pour le moins exécrables. « Cela fait dix mois que je suis ministre et j’ai l’impression d’être utile, j’ai lancé des chantiers, la santé des professionnels de santé, ce sont des choses utiles, partir des territoires et commencer par les territoires », commente cet éternel optimiste, qui s’apprête à livrer sa plus dure bataille.

Quentin Haroche

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