Briser les chaînes

Jakarta, le samedi 26 mars 2016 – C’était sa petite fille. Il l’aimait. Mais il était désemparé, démuni, acculé par ses voisins, par les guérisseurs, par la peur. Cette petite fille a révélé des troubles mentaux graves qui étaient redoutés et moqués par les gens du village. L’enfant détruisait les récoltes des paysans, avait un comportement dérangeant et inquiétant. Les guérisseurs sont venus et lui ont dit qu’il n’y avait rien d’autre à faire que d’attacher son enfant. D’attacher sa petite fille. Il l’a fait. Pendant quinze ans. Jour et nuit. Et quand la jeune fille a tenté de s’enfuir en creusant la terre de la pièce où elle avait été enfermée, il lui a lié les mains dans le dos. Pendant quinze ans, jour et nuit. Et un jour il l’a libérée. Et un jour il a parlé.

Pratique interdite depuis quarante ans

Le témoignage de ce père indonésien a été recueilli par l’Organisation non gouvernementale (ONG) Human Right Watch qui a publié cette semaine un rapport sur les conditions déplorables dans lesquelles vivent les personnes souffrant d’un trouble mental en Indonésie. Vivre est un bien grand mot : les traitements subis par ces patients sont tels que le rapport n’hésite pas à utiliser le terme « d’enfer » dans son titre. La plus fréquente des maltraitances est le fait d’être continuellement attaché. La pratique porte le nom de « pasung », qui signifie pilori. La personne est attachée par un pied ou une main à une chaîne, elle-même souvent reliée au sol, ou à un mur. Ce lien est permanent : il n’est pas même dénoué au moment des repas ou pour aller aux toilettes. En 1977, cette pratique a été officiellement interdite. Elle demeure cependant très fréquente, recommandée notamment par les guérisseurs aux familles. Human Right Watch estime ainsi que plus de 57 000 personnes ont été soumises au pasung dans leur vie et que 18 800 sont actuellement entravées. « Vous pouvez jeter une pierre n’importe où à Java et vous toucherez quelqu’un soumis au pasung. C’est tellement répandu ici » relève Yeni Rosa Damayanti directrice de l’Association indonésienne de santé mentale.

Un psychiatre pour 400 000 personnes

La peur des troubles mentaux, considérés comme la marque d’une possession démoniaque, n’est pas seule en cause dans la fréquence de cette pratique.  La pauvreté empêche également de nombreuses familles d’espérer une prise en charge différente. Par ailleurs, l’offre en soins psychiatrique est très restreinte. On compte entre 600 à 800 psychiatres, soit un pour 300 000 à 400 000 personnes (soit environ 100 fois moins qu’en France), tandis que la moitié des 48 institutions psychiatriques est concentrée dans quatre des 34 provinces du pays. Dans ces établissements, l’attachement des patients est également fréquent. Les conditions de prise en charge sont d’une manière générale souvent contraires au respect des droits de l’homme. Manque déplorable d’hygiène, confinement d’un grand nombre de patients dans une même pièce, internements de très longue durée, maltraitances, violences et contraception de force sont fréquemment observés dans ces institutions, qui utilisent par ailleurs des remèdes traditionnels. En lançant une campagne de sensibilisation intitulée Brisons les chaînes, l’organisation souhaite d’une part sensibiliser les pays du monde entier à l’importance d’une prise en charge bienveillante des personnes atteintes de troubles mentaux et inciter le gouvernement indonésien à l’action, en particulier pour qu’il fasse appliquer l’interdiction du « pasung ».

Le rapport d’Human Right Watch

Aurélie Haroche

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