C’était déjà pire avant

Paris, le samedi 4 avril 2015 – La volonté farouche du gouvernement de généraliser le tiers payant à l’ensemble des consultations d’ici 2017 a donné à certains blogueurs des talents d’écrivain de science fiction. Les médecins jouent sur la toile à s’imaginer dans deux ans quand il faudra passer plusieurs longues minutes en début de consultation pour régler les problèmes administratifs, et quand un temps minime (pénurie de praticiens oblige) pourra être consacré à l’examen, au diagnostic et au traitement de la pathologie. Sur son blog "Cris et Chuchotements" la gastro-entérologue Marion Lagneau s’est ainsi récemment prêtée à l’exercice. Elle décrit la façon dont une consultation débutera probablement en 2017 : « Pardon, Mme Michu, excusez moi, avant de vous soigner, nous devons tout d’abord régler la question administrative. Donnez moi, je vous prie, votre carte vitale, et votre attestation de mutuelle. Et aussi, avez-vous transmis à la sécu votre relevé d’identité bancaire, afin qu’elle puisse vous prélever l’euro retenu sur chaque consultation ? Vous savez que sinon, je ne peux faire le tiers payant » débute le rendez-vous. S’en suit une longue liste des situations auxquelles le médecin pourra être confronté : absence de disponibilité de sa carte vitale par le patient pour diverses raisons, difficultés du malade de se souvenir du nom de son médecin traitant ou encore vérification de l’ouverture des "droits" nécessitant de pouvoir disposer de l’attestation de mutuelle (souvent manquante ou non valable). Autant de petites tracasseries administratives qui pourraient durer jusqu’à sept minutes par consultation selon le docteur Lagneau.

Acte I : le médecin traitant

Mais cette anticipation légèrement apocalyptique ne doit nullement faire croire en un idyllique présent. Aujourd’hui déjà et de façon croissante, les démarches administratives minent la relation médecin/malade, donnent un poids considérable à la dimension financière et freinent toute velléité d’installation, notamment en groupe. C’est l’auteur du blog "Armance", médecin généraliste, qui l’expose sur son blog dans une note récente en listant l’ensemble des évolutions auxquelles ont été confrontés ces dernières années médecins et patients, présentées systématiquement comme des avancées pour les uns et/ou les autres et qui n’ont abouti qu’à une perte de temps, d’énergie et sans doute de passion pour ce métier. Au commencement fut le médecin traitant. En se basant sur quelques études signalant le potentiel danger du nomadisme médical, « des cadres des caisses d’assurance maladie ont soufflé dans le cornet des conseillers ministériels qu’il serait bon d’y mettre un terme ». Et les conseillers ministériels ont eux aussi vu que cela était bon : le dispositif médecin traitant était créé. Au sein du cabinet de groupe où l’auteur d’Armance travaille et qui comptait alors deux praticiens, au moment de l’instauration du "médecin traitant", il fut décidé de mettre en commun les dossiers des malades. « Il a été proposé aux patients de consulter le médecin de leur choix en fonction des désirs et des disponibilités, sachant que le médecin consulté avait à chaque fois accès à la totalité de leurs données médicales. Et la déclaration de médecin traitant, dans tout ça ? On laisse les patients choisir, mais la majorité s’en fiche, alors c’est celui qui passe par là à ce moment là qui signe ».

De la nécessité de soigner la désignation du médecin traitant

Bien mal leur en prit. Car au deuxième jour, "On" décida pour "responsabiliser" les patients, que la non déclaration d’un médecin traitant entraînerait un remboursement moindre ainsi que la consultation "hors parcours de soins". Panique chez les patients du cabinet d’Armance (et sans doute dans de nombreux autres en France) qui avaient peine à se souvenir de celui qu’ils avaient "désigné" comme leur médecin traitant. « On a hésité entre faire rechercher l'information par la secrétaire et noter cet élément systématiquement dans chaque dossier, ce qui l'aurait occupée... un certain temps, ou cocher la case "médecin traitant remplacé" en fin de chaque consultation pour garantir un remboursement aux patients sans passer un temps en fin de consultation à chercher à savoir qui a tamponné ce fichu formulaire ils y a quelques mois ou années », raconte Armance. L’affaire se corsa encore lorsqu’on chargea les fameux médecins traitants de réaliser pour leurs patients les démarches en vue de l’obtention du régime Affection longue durée (ALD). Au sein du cabinet de groupe, plus possible d’effectuer ces démarches indifféremment pour n’importe quel patient, quel que soit le médecin traitant désigné, car en cas de discordance entre le médecin demandeur et le médecin traitant, les requêtes pouvaient être rejetées ! Ces exemples permettent déjà de constater combien un dispositif présenté comme destiné à améliorer la prise en charge des patients et l’efficacité du système a en réalité principalement abouti à multiplier les tracasseries administratives pour les patients et les médecins.

Pour toucher 40 euros, passez obligatoirement par la case médecin traitant

Mais le pire était à venir. Bientôt, les questions financières s’invitèrent d’une drôle de façon dans les relations médecins/malades. Car plutôt que de s’orienter vers une augmentation du prix de la consultation, les autorités décidèrent d’allouer un forfait de quarante euros annuel pour chaque médecin traitant prenant en charge un patient atteint d’une maladie chronique. Dès lors la désignation du médecin traitant ne pouvait plus reposer sur un système aléatoire (qui est disponible signe le formulaire). La solution a été trouvée au sein du cabinet d’Armance. « Après mon installation, certains patients qui bénéficiaient (du régime ALD, ndrl) et qui étaient suivis par mon associé ont pris l'habitude de me consulter plutôt que lui, pour des raisons qui ne les concernent qu'eux. Mais les faits sont là. Pour limiter les tracas administratifs, et aussi dans un souci d'équité au sein du cabinet, nous avons décidé avec mon associé de proposer à ces patients de désigner comme médecin traitant celui qu'ils consultaient le plus pour leur pathologie chronique, ce qui a été très bien accepté, et assez facile à faire, car ils n'étaient pas si nombreux » résume-t-elle. Derrière l’apparente simplicité ici exposée, on devine cependant combien dans d’autres cabinets, cette "innovation" a pu donner lieu à des tracasseries administratives et probablement à des vexations.

Comment dissuader les jeunes de s’installer en groupe (et de s’installer tout court)

Dans cet exposé des contraintes administratives qui se sont peu à peu accumulées sur les épaules des médecins, Armance évoque d’une part leur impact sur la relation médecin malade mais insiste également sur leur incidence sur le fonctionnement d’un cabinet de groupe. Les exemples les plus marquants des conséquences délétères de ces nouveaux dispositifs sont probablement l’introduction de la rémunération sur objectif de santé publique et l’extension de la rémunération forfaitaire. La blogueuse explique comment ces dispositifs ne peuvent que pénaliser les nouveaux installés au sein d’un cabinet de groupe et ruiner l’égalité espérée. « Sur certains critères, la rémunération est calculée en fonction du nombre de patients qui ont choisi le médecin comme médecin traitant, avec des seuils. Au dessus de huit cent patients, l'un des coefficients augmente. (…) Dans le cabinet où j'exerce, où nous sommes maintenant trois médecins, les montants de la rémunération versée à chacun ont varié avec un facteur dix, (le dernier installé a touché une somme dix fois moindre que le plus ancien) lié en grande partie à la répartition administrative des patients entre les différents médecins. Comment y remédier dans un cabinet de groupe? Reverser les sommes? Mais elles sont calculées aussi sur des critères de pratique médicale personnelle. Et on ne connait rien du mode de calcul. Est arrivée ensuite l'extension de la rémunération forfaitaire: pour chaque patient qui a désigné un médecin traitant, le médecin reçoit un forfait de cinq euros par an. L'inégalité entre le premier et le dernier installé se creuse » explique-t-elle, observant que ces différents éléments ne peuvent être que très dissuasifs à l’installation de jeunes médecins au sein de cabinet de groupe d’une part et d’une manière générale d’autre part, d’autant plus que certaines aides à l’installation sont octroyées en fonction des seuils d’activité retenus pour le calcul de la ROSP. « J'ai cru en m'installant en association que le cabinet de groupe, c'était l'avenir, que ça permettait de se donner les moyens d'avoir un bel outil de travail, de salarier des gens, d'échapper à la solitude professionnelle, de garantir une qualité de soins et une accessibilité en échappant au burn-out. Trois ans après la mise en place du ROSP et des rémunérations forfaitaires, je constate que le dispositif est totalement inadapté à ce fonctionnement, et totalement dissuasif pour les jeunes installés. Les déserts le resteront encore pour un moment. Les patients attendront » conclue-t-elle.

Derrière cette description, est mise à jour la détérioration du quotidien des médecins et de la relation médecin/malade sous le coup d’une pression administrative de plus en plus importante. Le tiers payant ne fera que s’ajouter à une longe suite de contraintes toujours plus pesante.

Pour le (re)découvrir, vous pouvez consulter ces blogs :
http://armance.overblog.com/2015/02/medecin-traitant-rosp-et-petites-mesquineries-du-quotidien.html
http://www.cris-et-chuchotements.net/2015/03/consultation-2017.html

Aurélie Haroche

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