Ceux qui croyaient au tiers payant...

Paris, le samedi 2 août – Il est peu dire que la volonté affichée par Marisol Touraine depuis plusieurs mois de généraliser le tiers payant a mis le feu aux poudres chez les médecins libéraux. On ne compte plus les interventions syndicales s’insurgeant contre cette mesure. Les plus farouches opposants au tiers payant estiment que sa généralisation va profondément modifier le rapport entre les médecins et les patients ; transformant les premiers en « guichet gratuit », tandis que les seconds en useront plus encore que jamais avec les professionnels de santé comme avec des biens de consommation. Par ailleurs, les critiques sont multiples quant au risque d’augmentation des dépenses de santé. Cette position est largement reprise sur les blogs de médecins, qui lorsqu’ils font l’énumération des multiples vexations que leur imposent les caisses d’assurance maladie et le gouvernement n’oublient jamais de faire mention de cette généralisation du tiers payant.

Utile et sans danger

On trouve pourtant sur la blogosphère des défenseurs de cette dispense d’avance de frais chez les médecins. « Je suis médecin généraliste, et je pratique le tiers-payant depuis plus de quinze ans » commence ainsi un post récent du médecin généraliste et écrivain Christian Lehmann sur son blog « En attendant H5N1 ». Au-delà de cette "confession ", il n’hésite pas à défendre sans nuance ce dispositif en rappelant : « Le tiers-payant existe, depuis longtemps, et les médecins le pratiquent, depuis longtemps. Certains parce qu’ils sont conscients de faciliter ainsi le recours aux soins de certains patients, et parce que cela leur permet de faire honorer les « petits actes » comme les actes plus lourds ». Praticien militant, Christian Lehmann n’est pas le seul à se montrer favorable au tiers payant. Sur son « Journal de bord de jeune médecin généraliste », Docteur Milie se montre également presque dithyrambique sur ce système. « Pour résumer, mon avis personnel et qui n’engage que moi (et dont on se fiche surement)  c’est que je suis très favorable au tiers-payant que je pratique de manière quasi-systématique. C’est un point de vue idéologique d’une part et pratique d’autre part. (…) Je pense également que le tiers-payant est réellement utile et même nécessaire pour beaucoup de patients pour qui le paiement est réellement un frein et entraine un retard de soins. Penser le contraire est être à en dehors de la réalité ». Chez les deux auteurs, cette conscience de l’utilité du tiers payant s’accompagne de la conviction qu’il n’est pas inflationniste et les deux blogueurs de citer la quasiment unique étude de l’IRDES conduite sur le sujet il y a vingt ans, à la demande de la Mutualité française. « Le tiers-payant existe, et aucune des études menées depuis des années n’a  mis en évidence ce que clament nombre de ses détracteurs, à savoir qu’il pousserait à la consommation de soins par des patients irresponsables » martèle Christian Lehmann, tandis que Docteur Milie observe : « Je suis convaincue et les études le montrent que le tiers-payant n’est pas inflationniste, et que la surconsommation de soins ne vient pas du patient mais du médecin et de son éducation des patients et je suis surtout convaincue que les patients ne sont pas moins respectueux s’ils ne payent pas, les miens sont très respectueux en tout cas. Je ne pense pas que le fait de payer change quelque chose ».

Des opposants conservateurs dénonçant une "vilénie bolchévique"

Cette défense du tiers payant s’accompagne chez les deux blogueurs d’une critique des opposants à ce dispositif. Elle est sans nuance et clairement politique chez Christian Lehmann. « Je passe sur les cris d’orfraie de ceux qui ont toujours vilipendé le tiers-payant chez le généraliste comme une vilenie bolchévique » commence-t-il mais ne peut cependant s’empêcher d’ajouter plus loin. « Le tiers-payant existe, et a toujours été combattu par une frange conservatrice de la profession, considérant que le patient doit payer de sa poche pour que le soin ait un sens. Mais non contents de camper sur leurs positions, leurs syndicats réactionnaires ont tout fait pour empêcher les généralistes (et seulement les généralistes) de pratiquer le tiers-payant s’ils le souhaitaient ». De son côté Docteur Milie est moins catégorique et plus sentimentale mais observe : « Je suis triste parce que j’entend des choses qui me font mal, parce que je lis des phrases comme "ce sont les bénéficiaires de la CMU qui oublient le plus d’annuler des RDV " que je trouve aussi fausse que choquante, parce que tout le monde se lâche sur le sujet et que je sens que ça peut déborder vite, parce qu’on stigmatise des populations qui ne le méritent pas. C’est étonnant d’avoir si peu de considération pour les patients. Je suis dépitée de voir ce que certains de mes confrères pensent, même certains que j’apprécie. J’essaye de comprendre pourquoi le tiers payant fait peur et je me rends compte une fois de plus que mes idées sont minoritaires. Cela m’afflige et me rend triste comme souvent quand je regarde le monde qui m’entoure ».

« Marisol Touraine, moderne Marie-Chantal »

Ces deux défenseurs du tiers payant qui font entendre une voie discordante sont-ils pour autant favorable à sa généralisation ? Sans doute pas. Les deux blogueurs se montrent frontalement opposés à l’orientation dessinée par Marisol Touraine. Là encore l’argumentation de Christian Lehmann est bien plus politique. Après un long développement sur les liens troubles entre les mutuelles et assureurs et le pouvoir politique, à gauche comme à droite, il finit par conclure : « Conformément aux préceptes néolibéraux, et au dogme de la réduction des dépenses publiques, (…) il faut réduire les dépenses sociales, quoiqu’il en coûte. Et pour ce faire, basculer progressivement la prise en charge de la protection sociale de la Sécu vers les complémentaires, affolées par ce gigantesque marché. La mise en place du tiers-payant vise, dans ce contexte, à habituer le patient à ne plus payer le professionnel de santé directement, non pas tant pour lui faciliter l’accès aux soins, mais pour permettre un désengagement progressif et invisible de la Sécurité Sociale au profit des complémentaires. Ce qui se joue, c’est l’indépendance professionnelle du soignant, mise à mal par l’assureur-payeur, bien éloigné d’une logique solidaire » analyse-t-il. Autre objection dessinée par Christian Lehmann, qui découle de la première, soit la place de plus en plus prépondérante des mutuelles, la généralisation du tiers payant promet d’être une fumeuse usine à gaz. « Le seul moyen de généraliser le tiers-payant serait dans un premier temps, d’assurer un payeur à guichet unique, l’Assurance-Maladie, qui règle le professionnel de santé directement puis se retourne vers les complémentaires. Frédéric Van Roekeghem y rechigne : le cost-cutter que Chirac a mis en place, que Sarkozy a apprécié, que Hollande a conforté, a suffisamment taillé dans les effectifs des caisses pour que ce qui hier, du temps de l’option référent, était envisageable, le soit beaucoup moins aujourd’hui, alors que les dossiers en attente s’empilent dans les CPAM, incapables même de comptabiliser correctement le nombre de patients qui ont déclaré tel ou tel médecin comme médecin traitant. Quand on n’est même plus capable de tenir à jour correctement un listing du nombre de patients d’un médecin, comment organiser le remboursement des actes, et gérer la multiplicité des 600 complémentaires et la grande médiocrité informatique et administrative de nombre d’entre elles ? ». Enfin, Cette argumentation se double d’une dénonciation de la stratégie d’affichage de Marisol Touraine, à propos de laquelle il lance sans indulgence : « Marisol Touraine, moderne Marie-Chantal, n’en a rien à faire. La ministre veut laisser une marque, une marque « sociââââle », et l’intendance suivra ».

Pendant qu’on parle du tiers payant, on ne parle pas du reste

On ne trouve pas chez Docteur Milie des considérations aussi politiques, mais l’idée de la généralisation du tiers payant est cependant également fustigée. Ce que regrette ce médecin généraliste de Seine Saint Denis c’est le caractère obligatoire du dispositif. « Pourquoi aussi le rendre obligatoire? Obligatoire est le mot qu’il ne faut pas prononcer à des médecins libéraux. C’est juste pour braquer tout le monde (…) ? Alors certes, si on ne rend pas obligatoire, il risque d’être peu pratiqué mais je pense qu’il y a d’autres moyens que de rendre obligatoire pour promouvoir quelque chose. Et de plus je peux comprendre que tout le monde ne soit pas de mon avis et ne veuille pas se laisser imposer une pratique dans laquelle il ne se reconnait pas. N’aurait-on pas pu dans un premier temps imaginer de promouvoir et d’étendre le tiers-payant sur la part obligatoire. Actuellement, il y a encore des caisses qui réprimandent les médecins qui le pratiquent. On aurait pu promouvoir largement le tiers-payant auprès des médecins et des patients, peut-être même rendre obligatoire aux médecins  le tiers-payant social, ou imaginer des primes ou que sais-je et puis éventuellement un jour le généraliser. Et/Ou dans un premier temps, le limiter à la part obligatoire. Déjà ça aurait été déjà une grande étape » remarque-t-elle. En outre, à l’instar de Christian Lehmann, elle redoute très fortement les complexités administratives et informatiques. Enfin, les deux auteurs regrettent que ce sujet ait pris toute la place et permette à Marisol Touraine de passer sous silence les autres enjeux du système de soins. « Je m’attarde un instant sur l’utilisation politique qui est faite par Marisol Touraine de cette mesure : incapable de traiter les vrais sujets, à savoir la désertification médicale liée à la totale déconnexion des tarifs de remboursement par rapport à la réalité économique de la pratique médicale, elle botte en touche, menant des campagnes médiatiques successives. (…)Aujourd’hui, elle fait mine de découvrir le tiers-payant, quand le problème n’est pas « qui paie le médecin ? » mais « comment un médecin peut-il indéfiniment fonctionner correctement avec des tarifs déconnectés du coût de sa pratique ? »  écrit par exemple Christian Lhemannn.

Marisol Touraine entendra-t-elle les critiques qui viennent de son propre camp ?

Cette critique de la politique de Marisol Touraine par des praticiens pourtant favorables au principe du tiers payant et dont les affinités politiques semblent clairement à gauche devrait plus encore que les multiples sondages montrant l’hostilité générale des médecins à cette idée provoquer une prise de conscience chez le ministère de la Santé. Mais rien n’est moins sûr.


Pour lire en entier les analyses de Christian Lehmann et Docteur Milie :
http://enattendanth5n1.20minutes-blogs.fr/
http://www.docteurmilie.fr/wordpress/?p=1443

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Vos réactions (15)

  • Pour le salariat des médecins

    Le 02 août 2014

    Il me semble que devant tant d'hypocrisie de mes confrères et des différents gouvernants, la seule solution viable,honorable et logique est le salariat des médecins. Ainsi les gardes seront assurées,la permanence territoriale des soins aussi et chose importante mes confrères seront salariés avec tous les avantages de cet état.
    Un peu de courage et de réalisme.
    Je vis dans un pays qui le pratique, les médecins ne sont pas malheureux.

    Dr Alain Viguier

  • TP, les choses changent

    Le 02 août 2014

    Je me souviens au début de mon installation avoir reçu une lettre de la MSA après avoir pratiqué un TP. En gros elle me le réglait cette fois de façon exceptionnelle mais ne le ferait plus à l'avenir...et si un patient avait des difficultés à régler je devais l'orienter vers l'assistante sociale...
    Lors d'une réunion avec la CPAM j'ai posé la question ...je pensais qu'ils craignaient la fraude sur les feuilles de soins (c'était il y a 20 ans). On m'a répondu que non mais que c'était pour éviter une concurrence déloyale entre les médecins qui le pratiquaient et les autres.
    Les choses changent. CQFD

    Dr Pascale Bliscaux

  • Tiers-payant : la dernière démagogie

    Le 03 août 2014

    Seule une véritable libéralisation, mettra un terme à la destruction de toute l'économie médicale; en limitant la solidarité collective, d'abord à la ressource collective, et en ne couvrant pas tous les risques, toutes les pratiques médicales par la SS.
    Ce que défendent, Dr. Lehmann et Dr Milie, est ce qui a permis d'arriver à la destruction de cette économie, en 40 ans, à la modification de la relation medecin-patient, permettant à ces médecins, probablement la main sur le cœur, de faire de nombreuses consultations... Nous savons que statistiquement, les médecins en secteur II font moins d'actes et prescrivent moins de médicaments. C'est un secteur II à honoraires libres qui devrait être obligatoire; et cela éviterait à la SS de payer des charges à la place des médecins en secteur I. L'inverse du tiers-payant qu'il faut. Il faut se souvenir, que nos aïeux médecins, avant la SS, pouvaient soigner des indigents par des actes gratuits, ou dans des dispensaires, selon.
    Le seul avantage du tiers-payant, sera de faire couler le système, un peu plus vite, dans ce siècle, car aucun système de médecine étatisée, n'a jamais été le vecteur du progrès médical. Et les médecins actuels, qui viennent des anciens pays communistes, peuvent le confirmer. Si la médecine étatisée, était un idéal, pourquoi les hôpitaux publics, sont-ils en déficits?
    La médecine a un coût, de plus en plus cher, et cela fait 40 ans, que les politiques disent aux français que c'est gratuit et que tout est dû. Beau résultat du conventionnement et d'avoir oublié que les règles économiques sont identiques quelque soit le secteur. Le tiers-payant enfonce le clou de l'étatisation de la médecine.

    Dr Christian Trape

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