Charcot en 2021

Quand certains parlent encore de conversion hystérique, neurologues et psychiatres intéressés par la question parlent aujourd’hui plutôt de « trouble neurologique fonctionnel ». Cette maladie mal aimée souffre encore de nombreux clichés : difficile à diagnostiquer, patients compliqués à suivre, physiopathologie sombre, symptômes incurables etc… Il y a aujourd’hui un enjeu majeur d’information, et de déstigmatisation, auprès des patients mais aussi auprès des praticiens. Pourtant ces troubles sont décrits depuis longtemps, ils sont sévères, handicapant, souvent chroniques. Ils correspondent à environ 15 % des motifs de consultation en neurologie.

Rappelons donc la définition du trouble neurofonctionnel : il s’agit d’un symptôme ou déficit touchant la motricité volontaire, les fonctions sensitives ou sensorielles, associé à un examen clinique qui doit mettre en évidence une incompatibilité entre les signes constatés et une maladie neurologique connue. On retient souvent qu’il s’agit d’un diagnostic d’élimination, pourtant des signes positifs existent, tel que le signe de Hoover, dont la spécificité est de 100 %, décrit en 1908 (extension automatique de la hanche atteinte lors de la flexion forcée de la hanche saine).

Un défaut du sens de l’agentivité

Les patients souffrant de troubles neurofonctionnels sont encore aujourd’hui suspects de simulation. Des données d’imagerie cérébrale fonctionnelle déjà anciennes permettent pourtant de bien différencier ces situations (Spence, 2000). Des progrès considérables ont été faits dans la compréhension du trouble, grâce à l’apport conjoint des sciences cognitives et de l’imagerie cérébrale fonctionnelle. On considère aujourd’hui qu’un défaut du sens de l’agentivité des actions est à l’origine de la production des symptômes. Autrement dit, lorsqu’un patient souffre par exemple de mouvements anormaux fonctionnels, il ne perçoit pas ces mouvements comme émanant de sa propre « volonté ».

Sigmund Freud a posé l’hypothèse d’une conversion de conflits inconscients en symptômes physiques. Ces symptômes ont pour conséquence un « bénéfice secondaire » qui permet d’échapper à une situation menaçante (comme par exemple le mutisme qui protège d’un secret de famille). La lecture contemporaine de ce trouble permet de compléter cette approche en distinguant les facteurs prédisposants, précipitants, et pérennisant (correspondant aux bénéfices secondaires). Si on ne retrouve pas toujours de traumatismes psychiques, qui ne sont d’ailleurs pas plus fréquents que dans d’autres maladies neurologiques, les antécédents d’abus sexuels sont en revanche particulièrement fréquents (40 % des cas).  

Un modèle bio-psycho-social

Il est aujourd’hui clair que les troubles neurofonctionnels ne sont pas particulièrement liés à la personnalité histrionique. Lorsqu’un trouble de personnalité peut être identifié, il s’agit souvent d’une personnalité obsessionnelle, ou d’un trouble de personnalité de type « état limite ». Un antécédent neurologique est souvent retrouvé : épilepsie, traumatisme crânien, ou encore anomalies à l’IRM cérébrale. Un évènement est souvent associé au déclenchement de la maladie : une blessure, une maladie grave, un traumatisme psychique, une forte émotion.

En guise de « bénéfice secondaire », on retrouve en réalité souvent une situation complexe et angoissante qui vient pérenniser le trouble, comme par exemple une procédure judiciaire en cours.

L’annonce du diagnostic, et son explication est capitale dans le traitement. Un site internet destiné aux patients existe : http://neurosymptoms.org/. L’idée est que le patient intègre qu’il ne s’agit pas d’une simulation, qu’il s’agit bien d’une maladie liée à un problème fonctionnel au niveau cérébral, dans lequel vont intervenir des facteurs biologiques, psychologiques et sociaux. Dans les cas des crises non épileptiques psychogènes (CNEP) par exemple, cette étape permet de faire disparaitre les crises dans un tiers des cas !

La clé du traitement est la pluridisciplinarité, entre le neurologue, le psychiatre, le psychologue. Dans certains cas des kinésithérapeutes formés peuvent apporter un regard particulier sur les troubles moteurs, et ainsi aider à « normaliser » le schéma moteur pathologique à grand renfort d’éducation thérapeutique et de réentrainement. Cette approche donne des résultats intéressants, qui surtout se maintiennent dans le temps. La stimulation magnétique transcrânienne donne de très bons résultats, même si son mécanisme d’action est encore imparfaitement compris dans cette indication. Les inhibiteurs de la recapture de la sérotonine peuvent aider mais l’idée est qu’il faut surtout un plan structuré pour s’attaquer aux causes du trouble (et la psychothérapie a alors toute sa place). Le message clé est surtout qu’il est tout à fait possible de soulager ces patients, contrairement aux idées reçues.

Dr Alexandre Haroche

Référence
J-F Allilaire, S Aybek, B Garcin, C Hingray, G Rauline, C Azuar. Hystérie 2.0. 19ème Congrès de l’Encéphale. Du 20 au 22 janvier 2021 (virtuel).

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