Combien tu gagnes ?

Paris, le samedi 16 mai 2015 – En filigrane, la question est dans tous les esprits. Surtout en ces périodes de déclaration fiscale. Mais si le tabou autour de l’argent et plus encore des revenus demeure prégnant en France, il l’est plus encore lorsque le sujet concerne les médecins. Notre pays n’est pas encore parvenu à dépasser une conception manichéenne de l’argent : aussi une action "noble" telle celle de soigner ne peut être compatible avec une denrée aussi perverse que la monnaie. Ainsi, non seulement l’omerta se fait sur les revenus réels des médecins, mais demeure tenace l’idée selon laquelle ils comptent parmi les plus nantis et qu’à cet égard toute velléité d'augmentation est presque obscène. C’est dans ce contexte que plusieurs blogueurs se sont attelés à afficher la plus grande transparence sur ce qui échoit sur leur compte en banque à l’issue de leur (harassant ou pas) mois de labeur.

Après Borée il y a plusieurs années et l’ophtalmologiste Docteur Zigmund sur son blog Le Rhinocéros regarde la lune, trois médecins généralistes, au statut différent (collaboratrice, installée et remplaçante) ont décidé de faire leur "coming out fiscal" pour reprendre une expression du Docteur Zigmund.

Des jeunes médecins perdus

Si les auteurs de Farfadoc, Docteur Millie et Docteur Gécé prennent le soin toutes trois de le répéter, il existe autant de revenus différents que de médecins, leurs "déclarations"  présentent cependant plusieurs points communs. D’abord, les trois praticiens déplorent le tabou persistant sur les questions d’argent en France. « Je n’ai jamais compris cette drôle de manie française de pouvoir discuter de sa toux et de ses crachats, ou de son opération d’ongle incarné partout avec n’importe qui, mais par contre "houlala faut pas parler de combien on gagner, c’est pas poli" » remarque Farfadoc. Docteur Millie se fait l’écho de cette observation notant : « L’argent est plutôt un tabou dans notre société. Particulièrement en ces temps troublés pour la médecine générale ». Cette loi du silence a plusieurs conséquences. Non seulement, elle favorise les préjugés au sein de la société, mais elle empêche également les étudiants et candidats à l’exercice libéral une projection pertinente. Les trois médecins généralistes rapportent en effet qu’elles ont souvent été confrontées à des interrogations d’internes remplaçants timides sur ce point. Or, comme le constate Docteur Millie : « Il est difficile de se situer, entre la réputation de nantis et la réalité qui est que effectivement les médecins gagnent très bien leur vie mais que cela est à pondérer avec un temps de travail hebdomadaire important et un système de paiement à l’acte pouvant rendre la pratique épuisante et frustrante et qui ne favorise pas la bonne médecine » signale-t-elle.

Des charges très importantes

C’est donc pour faire œuvre de pédagogie que les trois praticiens font la transparence sur leur compte. Leur profil n’est sans doute pas totalement "typique" de l’ensemble des médecins généralistes ; notamment parce que les trois praticiens se sont refusés à un rythme stakhanoviste. Farfadoc cumule cependant quarante heures de consultations par semaine, des gardes et des astreintes, auxquelles s’ajoutent « toutes les heures invisibles (formation, compta, gestion du cabinet médical, heures passées à essayer de joindre des confrères fantômes sur mes jours de repos), les heures à la fac et les heures à penser aux patients et aux responsabilités que je ne suis pas toujours certaine d’assumer comme il faut » résume-t-elle. Plus brièvement, Docteur Millie indique qu’elle travaille 35 heures et Docteur Gécé, remplaçante et fraichement thésée l’équivalent d’un « gros mi temps ». Ces rythmes de travail particuliers expliquent que leurs revenus finaux soient quelque peu différents de ceux qui s’affichent régulièrement dans les rapports officiels. Cependant, à l’instar de tous leurs médecins, leur situation financière se caractérise par la lourdeur de leurs charges. Ainsi, elles s’élèvent au total à 75 889 euros pour Farfadoc (dont le cabinet compte deux associés et deux collaboratrices) et 50 000 euros pour Docteur Millie (dont le loyer, Seine Saint Denis oblige, est plus faible). Ces charges pèsent très fortement sur leurs revenus bruts qui s’élèvent pour la première à 121 000 euros et 110 000 euros pour la seconde.

Inférieur au salaire horaire moyen d’un cadre

L’exercice de transparence permet donc de relativiser fortement certaines estimations régulièrement avancées. Il permet également aux médecins de proposer un chiffre plus facilement comparable avec le reste de la société. Farfardoc indique ainsi gagner environ 3 440 euros par mois, Docteur Millie 5 000 euros et le docteur Gécé dont la situation est un peu différente (puisque ses charges sont très restreintes) 3 157 euros. Les trois médecins prennent le soin de rappeler qu’il s’agit de revenus largement supérieurs à la moyenne des Français ; des revenus qui plus est qui devraient contribuer à rassurer les étudiants sur la pratique libérale. Cependant, elles notent également que de très nombreux facteurs entre en jeu, notamment la question du temps. D’abord, le temps accordé aux différentes activités est difficile à mesurer. Surtout, on ne peut faire l’économie, lorsqu’on s’intéresse aux revenus des médecins, d’une réflexion sur le lien direct entre volume d’activité et niveau des revenus. Or, des consultations nombreuses ne riment pas nécessairement avec qualité, remarquent-elles. Enfin, outre ces considérations, si les bloggeuses ne se risquent pas frontalement à des comparaisons avec d’autres corps de métier, Farfadoc juge : « Cela ne me semble pas (…) délirant », tandis qu’allant plus loin, Borée avait à son époque (2011) calculé son taux horaire qui atteignait « un peu moins du double du salaire horaire moyen français » et qui était « inférieur au salaire horaire moyen d’un cadre ».

Deux fois moins qu'au Québec

Enfin, la comparaison qui fait défaut dans ces "déclarations"  concerne celle avec les revenus des médecins à l’étranger. Il y a quelques années, le blog Je serais médecin au Canada, un jour, s’était prêté à l’exercice. Il avait constaté que « les médecins gagnent au Québec mieux leur vie qu’en France ». Jouissant d’actes mieux rémunérés, ils souffrent également de charges bien moins élevées. Au total, il estimait le revenu net d’un médecin généraliste par mois à 4 400 euros en France, contre 8 540 euros pour un médecin généraliste au Québec où la vie est sensiblement aussi chère (voire moins) qu’en France. Et comble, concluait l’auteur : « Les médecins québécois fuient assez massivement vers l’Ontario ou vers les USA car (…) le Québec est la province ou les médecins sont les moins bien payés. On estime ainsi que les médecins gagnent 40 % de plus dans les autres provinces… l’herbe est toujours plus verte ailleurs… ».

Si lassés de votre déclaration fiscale, vous voulez régler vos comptes ailleurs, vous pouvez consulter ces pages :
http://boree.eu/?p=1487
http://lerhinocerosregardelalune.blogspot.fr/2012/04/jaurais-du-faire-tueur-gages.html
https://farfadoc.wordpress.com/2015/05/09/un-sou-est-un-sou-enfin-plus-ou-moins-ca-depend-des-charges/
http://www.docteurmilie.fr/wordpress/?p=1576
https://docteurgece.wordpress.com/2015/05/09/les-dessous-des-sous/
https://medecinquebec.wordpress.com/2012/09/23/combien-gagne-un-medecin-au-quebec/

Aurélie Haroche

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Vos réactions (2)

  • L'herbe est plus verte ailleurs

    Le 16 mai 2015

    Bravo pour cet article qui enlève un voile et qui aborde le sujet tabou de l'argent gagné par les médecins.
    Il faut reconnaître qu'être médecin à ce jour en France fait partie des vocations car il y a beaucoup de responsabilité comparé avec d'autres "cadres" qui gagnent au moins aussi bien sans être soumis à un stress aussi grand.
    La comparaison du revenu du médecin français avec le revenu du médecins du Québec est excellente et explique pourquoi des médecins spécialistes partent de plus en plus. Il faudra peut-être comparer aussi avec des pays européens comme l'Allemagne, le nord de l'Europe, et pourquoi pas la Suisse. Et je vous assure que c'est dans le même sens: l'herbe est plus verte ailleurs!

    Dr Loana Kloos

  • Revenus, mais d'où ?

    Le 16 mai 2015

    On se fera une idée réelle lorsque les déclarations de revenus seront accessibles à tous.
    Parlez de revenus et opposer les charges, c'est comme parlez de jours de repos et opposer charge de travail. Autrement dit, c'est confondre paire de chaussettes et père de famille. Restons raisonnables : on demande les revenus et rien d'autres. On saura aussi quelle sont les ressources des agriculteurs et quelles sont les déductions et réductions auxquelles ils ont droit, même si j'en connais quelques unes, celles des hommes politiques, celles des ouvriers de chez Peugeot. Quant aux enseignants, on les trouvent au moins 3 fois par ans dans les hebdomadaires. A vos kiosques !
    Dr Larochelle

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