Commerce triangulaire : quelle mortalité ?

Paris, le samedi 24 décembre 2022 - Durant plus de 400 ans, la traite des esclaves par l’Europe a déraciné 15 à 20 millions d'Africains vers les Amériques et les Caraïbes. Ce commerce triangulaire (car il concerne trois continents) a provoqué une hécatombe qui mobilise les historiens - notamment en France, troisième pays négrier après le Portugal et l’Angleterre. Il s’avère que la traversée de l’Atlantique n’est pas seule en cause : le transfert vers les côtes, puis l’année suivant l’arrivée en Amérique étaient également émaillés de nombreux décès, sans compter la mort sociale et ses effets psychologiques.

Retourner au Pays après la mort

Le trajet en mer durait de moins de 2 mois à plus de 3 mois. Sur les bateaux, si les fièvres et dysenteries n’épargnaient pas le personnel de bord, les esclaves payaient un lourd tribut, aggravé par la méfiance dans la médecine des Blancs, et de leurs aliments. Certains en effet les croyaient cannibales : le vin était le sang des Noirs, le fromage leur cerveau et l’huile résultait de leurs corps pressés. Ajoutés à cela la terreur de la mer, l’importance du rituel d’inhumation, certains se jetaient par-dessus bord. Des esclavagistes tentaient d’enrayer les suicides en … mutilant les suicidés, car la tradition voulait que le corps soit intègre pour retourner au Pays après la mort.

On estime la mortalité aussi grande avant que pendant la traversée. Les esclaves pouvaient être vendus par des Africains (certains pratiquaient déjà l’esclavagisme) : captifs de guerre criminels, victimes d’enlèvement ou de créanciers, de justice réparatrice ou de situation familiale dramatique (sacrifice d’un membre de la famille). Maltraités déjà avant le départ, en mauvaise condition physique, ils n’arrivaient pas tous sur la côte.

Extension du domaine de la fièvre jaune

Parmi les fièvres en cause : variole, paludisme, fièvre jaune, typhoïde et autres infections digestives (surtout en mer). Ces maladies tuaient aussi les blancs sur le continent, avec une mortalité de 20 à 50% la première année, au point que l’Afrique noire était surnommée « tombeau de l’homme blanc ». On constatera qu’il ne s’agit nullement de couleur lorsqu’en 1820, les Noirs Américains affranchis subiront au Libéria (créé pour eux) la même mortalité, rendant caduque la théorie d’une protection génétique contre les maladies tropicales.

A la fin du 18ème siècle, la vaccination obligatoire contre la variole a contribué à la diminution de la mortalité, comme l’amélioration de la vitesse des bateaux -la durée du trajet étant un facteur essentiel. En revanche, l’interdiction de la traite par les Britanniques en 1807 a été suivie d’une augmentation de la mortalité des esclaves transportés « illégalement ».

Le commerce triangulaire eut aussi pour conséquence l’introduction de la fièvre jaune en Amérique latine (vomito negro) ; un « effet collatéral » difficile à quantifier.

*D’après l’exposé de l’historien Guy Saupin lors des journées d’automne de la Société de médecine des voyages, à Nantes.

Dr Blandine ESQUERRE

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