COMPLICATIONS NEUROLOGIQUES DES INFECTIONS GRAVES

La majorité des état infectieux graves partagent une symptomatologie clinique commune associant polypnée, tachycardie, fièvre ou hypothermie et syndrome d'hypoperfusion aboutissant à une insuffisance multiviscérale à dominante hépato-rénale dans 20 à 50 % des cas.

Même s'il n'est pas l'objet d'une prolifération infectieuse directe, le système nerveux n'est pas épargné. Toutefois, malgré leur fréquence et leur importance pronostique, les manifestations neurologiques des grands états toxi-infectieux, déjà signalées par des auteurs du XIXe siècle tels que R. Bright ou W. Osler, restent paradoxalement mal documentées et facilement banalisées.

Aussi, C.F. Bolton et coll. ont rappelé qu'une étude prospective effectuée sur 69 patients sévèrement infectés, a permis de retrouver chez 70 % d'entre eux des signes d'encéphalopathie dans les heures suivant une hémoculture positive. Des signes de souffrance diffuse du système nerveux central (SNC) dominent la symptomatologie : baisse de la vigilance et de l'attention, confusion, désorientation, rigidité oppositionniste.

Rarement retrouvées, les crises comitiales, les déficits focaux et les atteintes des nerfs crâniens doivent faire rechercher une localisation névraxique ou méningée du processus infectieux : abcès, méningite, empyème, thrombophlébites septiques.

L'encéphalopathie septique se démarque des autres encéphalopathies métaboliques par la rareté de l'astérixis et des myoclonies. Aussi, en l'absence de signes de foyer et d'anomalies biologiques majeures, d'autres conditions susceptibles de perturber le fonctionnement du SNC par un mécanisme hémodynamique ou toxique doivent être envisagées et éliminées : embolies graisseuses, embolies pulmonaires, insuffisance surrénalienne, choc hyperthermique.
Devant des signes de dysfonctionnement peu spécifiques, l'approche du diagnostic d'encéphalopathie septique repose donc sur une démarche d'élimination. L'étude du LCR y contribue en montrant l'absence de réaction cellulaire et l'élévation éventuelle, toujours modérée de la protéinorachie. L'électro-encéphalogramme s'avère extrêmement sensible dans la détection de l'encéphalopathie septique à ses stades les plus précoces. Cet examen se montre particulièrement utile en unité de soins intensifs chez un patient réanimé, artificiellement ventilé et donc difficilement évaluable cliniquement. Il montre 4 stades successifs de perturbations de l'électrogenèse cérébrale, fortement corrélées dans leur gravité avec le pronostic vital : stade I = rythmes q diffus, stade II = rythmes D intermittents, stade III = ondes triphasiques diffuses, stade IV = tracé alternant aréactif (ondes lentes séparées par des plages isoélectriques).

Ces aspects électriques rappellent ceux de l'encéphalopathie anoxique, mais s'en distinguent par une meilleure réversibilité sous réserve d'une antibiothérapie efficace.

Quel mécanisme ?

L'ignorance du mécanisme de l'encéphalopathie septique réduit à des hypothèses établies par analogies avec d'autres situations expérimentales ou cliniques. Ainsi, l'absence de lésions cérébrales à l'examen neuropathologique et la réversibilité plaident en faveur d'un dysfonctionnement métabolique. La survenue de troubles identiques dans des contextes non infectieux tels que les syndromes des grands brûlés orientent vers un mécanisme assez général de souffrances tissulaires. Dans ces différentes situations, les macrophages et les
lymphocytes initient la réaction inflammatoire par libération de
médiateurs polypeptidiques : les cytokines. Or, l'injection intraventriculaire de hautes doses d'interleukines I ou II, chez l'animal, modifie le comportement et l'EEG de ce dernier : le sommeil lent se trouve facilité. Au cours du sepsis, la barrière hémato-encéphalique acquiert l'activation locale inappropriée de l'hémostase avec formation de microthrombi.

La souffrance multiviscérale et multifonctionnelle qui accompagne les grand syndromes infectieux, ne restreint pas ses effets délétères au névraxe et n'épargne pas le système nerveux périphérique puisque l'incidence des neuropathies de cause "indéterminée" y atteint 70%, donc la même fréquence que celle de l'encéphalopathie. De type axonal, elle frappe électivement les fibres motrices et entraîne une quadriplégie ascendante respectant cependant les nerfs crâniens avec abolition des réflexes et paralysie ventilatoire : l'impossibilité d'interrompre la ventilation assistée en unité de soins intensifs constitue un mode de révélation fréquent.

Les vitesses de conduction nerveuse sont relativement respectées mais l'amplitude des potentiels moteurs et sensitifs diminue. En électromyographie de détection, la fréquence de décharge des unités motrices s'accélère, des potentiels géants et des aspects de fibrillation apparaissent. L'étude neuropathologique montre l'absence d'inflammation et un aspect de dégénérescence axonale parfois responsable de lésions de chromatolyse au niveau du corps cellulaire.

Cytokines, TNF et Cie

Ces "neuropathies des états critiques" (NEC) résultent d'agressions nerveuses multifactorielles : carences en vitamines neurotropes, insuffisance rénale, exposition à des antibiotiques neurotoxiques, compressions tronculaires multiples liées au décubitus immobile et prolongé du patient. Leur survenue malgré les mesures préventives appropriées pourrait résulter de perturbations de la microvascularisation périneurale : les NEC semblent plus fréquentes chez les patients souffrant d'hypoxie sévère, mais il ne s'agit peut-être que d'un simple indice de gravité. Leur réversibilité n'est d'ailleurs pas toujours garantie. Bien que probable, le rôle des cytokines n'a pas été aussi clairement démontré qu'au niveau du SNC.

Au cours des états septiques graves, l'atteinte de la masse musculaire est évidente et facilement banalisée comme la simple conséquence d'une atrophie de non-utilisation. Parfois, elle résulte directement de l'agression bactérienne : des myosites généralisées avec douleurs et élévation des enzymes musculaires ont été imputées à la leptospirose, à des infections à Esterichia coli, à des légionnelloses. Dans les autres cas, le taux de phospho-créatine kinase plasmatique ne s'élève pas. En revanche, l'étude par résonance magnétique spectroscopique du phosphore 31 met en évidence une baisse du
rapport phosphore organique/phosphore minéral qui traduit l'effondrement du métabolisme énergétique du myocyte. La biopsie peut montrer une nécrose focale de fibres musculaires reproduite expérimentalement chez l'animal par injection locale d'interleukine I ou de tumor necrozing factor (TNF).

Au-delà de la complexité des grandes défaillances multisystémiques qui accompagnent les états septiques graves, l'action directe des cytokines semble donc émerger comme un dénominateur commun de neurotoxicité. Des anticorps monoclonaux dirigés contre ce type de dérivés (anticachectine, anti-TNF) ont déjà été utilisés avec succès pour contrôler les signes généraux des syndromes septiques graves. L'évaluation de leur impact spécifique sur leurs manifestations neurologiques apparaît donc à l'ordre du jour.

 

Bolton C.F. et coll. : "The neurological complication of sepsis". Ann. Neurol., 1993 ; 33 : 94-100.

Christian Meyrignac

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