Contre emplois

Paris, le samedi 27 septembre 2014 – Il est des réalisateurs qui semblent éternellement tourner le même film, des écrivains qui nous livrent infatigablement le même roman, des comédiens qui se composent toujours le même rôle. La clé de la réussite souvent s’observe dans la répétition : en ne se détachant pas de ce que l’on sait faire le mieux, en ne renonçant pas à son obsession première, on est (presque) assuré d’effleurer le succès. Cependant, à la joie de retrouver des œuvres aimés, à peine modifiées, à peine réactualisées, se mêle parfois une étrange lassitude, un regret de ne pas être surpris. Les artistes prennent parfois conscience de cette attente, tandis qu’eux-mêmes sourdement ressentent le besoin de prendre des chemins de traverse. Parfois, l’écart reste mince, mais il suffit cependant à créer l’étonnement. Jean Becker n’est pas l’homme d’un seul film, cependant, tous nous parlent d’évasion, de la possibilité d’un ailleurs, qui souvent est symbolisé par la nature, omniprésente que ce soit dans « Elisa » ou dans « Les enfants du marais ». Dans cet appel à la liberté, s’il existe des huis clos, terribles, (comme dans « Effroyables jardins » ou dans « Un crime au paradis ») ils doivent nécessairement être balayés, dépassés, renversés. Pas dans « Bon rétablissement », le dernier opus de Jean Becker, servi par un Gérard Lanvin et qui s’il n’est pas totalement à contre emploi dans son rôle de malade bougon contraint de rester cloué au lit, abandonne cependant pour un instant ses personnages de baroudeur à la forme physique étincelante. Dans « Bon rétablissement », point de nature et surtout un lieu quasiment unique : l’hôpital et la chambre de Gérard Lanvin. Et ici, même si Gérard Lanvin pense d’abord à s’échapper, la fuite n’est finalement pas la solution, tant l’univers hospitalier va finalement se révéler plus accueillant qu’hostile, le tout sans oublier l’humour, trait auquel sans doute pour notre plaisir Jean Becker ne renoncera jamais.

Contre l’enfermement

L’amour des grands espaces, des échappées caractérise également le réalisateur de documentaire Jean-Albert Lièvre. L’homme a notamment participé à la création de l’émission « Sur les routes d’Ushuaia », tandis qu’il a également sillonné le monde pour réaliser de passionnants reportages animaliers. Ces films sont donc bien loin d’un univers intimiste. Pourtant, dans son dernier ouvrage, sorti en salle cette semaine, nous sommes d’abord plongés dans un terrible enfermement : Flore, la mère du réalisateur, est atteinte de la maladie d’Alzheimer. Trois ans après le diagnostic, trois ans au cours desquels « ta peinture a changé » remarque le réalisateur, Flore est admise dans une maison médicalisée. Elle ne sort plus, elle ne rit plus, elle ne parle plus mais commence à développer quelques crises violentes, traitées par un lourd cocktail de médicaments. Voyant ainsi la dégradation de l’état de sa mère, dont il ne se résout pas à penser qu’il n’est que le fruit de la maladie, Jean-Albert Lièvre va décider d’emprunter un chemin de traverse, une voie très différente. Il sort Flore de son établissement et la ramène chez elle, en Corse, dans la maison familiale où tout a été organisé pour assurer un suivi et une présence 24h/24. Au contact de la nature, face à la mer et grâce à des soins personnalisés, Flore ne guérit pas, mais elle recommence à sourire, esquisse quelques pas, parvient même à se baigner. Le film, lumineux, ne se veut pas une œuvre militante, mais un message en faveur du maintien à domicile… même si ce chemin là est loin d’être accessible à tous les patients et à toutes les familles.

Contre soi

Ils ont également aussi décidé de vivre leur existence à contre emploi, les comédiens que l’on voit défiler dans le cadre du festival Orphée qui se déroule depuis le 13 septembre et jusqu’au 14 octobre dans plusieurs villes des Yvelines. Cette manifestation proposée en partenariat avec le Centre de Recherche Théâtre Handicap permet de découvrir plusieurs spectacles saisissants. On retiendra par exemple le one woman show d’Isabelle Fruchart, « Le Journal de ma nouvelle Oreille », où cette jeune femme sourde raconte comment pendant des années elle a essayé de vivre à contre emploi, contre sa surdité qu’elle déniait. De même, « Non Merci », pièce présentée par « La petite compagnie », évoque le destin de Théo, cloué sur un fauteuil roulant, résidant dans un centre spécialisé qui décide un jour de ne plus dire « merci », de ne plus être dépendant des autres et de prendre une autre route celle de l’indépendance et de l’autonomie.

Contre Molière

Sortir des sentiers battus, choisir le contre emploi ne sont pas toujours des entreprises aisées. A trop vouloir contrarier la nature des choses et des œuvres, on obtient parfois des résultats qui dérangent et qui agacent. Telle est dans une certaine mesure la pièce présentée au théâtre la Tempête. « La Grande nouvelle » écrite par Jean-Louis Bauer et Philippe Adrien affirme s’inspirer du célèbre « Malade imaginaire » de Molière. Sauf qu’ici Argan n’est pas seulement hypocondriaque, mais à la recherche de la jeunesse éternelle. Si cette modernisation de la pièce pourrait être pertinente, le choix des deux auteurs d’entourer « Argan » d’une transsexuelle en guise d’épouse, d’une ado gothique comme fille ou encore d’un homosexuel refoulé pour frère entraîne la multiplication de clichés et nous éloigne bien loin des sentiers battus de Molière (qu’il n’est pas si désagréable d’encore fouler).

Cinéma :
« Bon rétablissement », de Jean Becker, sortie le 17 septembre, 1h21.

« Flore », de Jean-Albert Lièvre, sortie le 24 septembre, 1h33.

Théâtre :
« Festival Orphée », du 13 septembre au 14 octobre, à Versailles, Fontenay le Fleury, Rambouillet, Marly le Roi et Saint Arnoult en Yvelines. http://www.orpheefestival.com/index.htm

« La Grande Nouvelle », de Jean-Louis Bauer et Philippe Adrien, théâtre La Tempête, du 12 septembre au 12 octobre, Cartoucherie, Route Du Champ de Manoeuvre, 75012 Paris.

Aurélie Haroche

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